Drones militaires, valises de cash et espionnage au Palais princier de Monaco? Notre enquête exclusive

La plainte pénale de la famille princière contre son ancien gestionnaire de fortune, Claude Palmero, pointe l’achat de matériels de renseignement au travers de la société MC Clic. Son gérant Erwan Grimaud, embauché juste avant l’émergence des "Dossiers du Rocher", se défend de toute malversation. Mais à qui profitaient les drones militaires et outils de cyber-renseignement?

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Eric Galliano et Thomas Michel Publié le 03/04/2024 à 07:00, mis à jour le 03/04/2024 à 08:30
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Drones furtifs, caisse noire pour des informateurs… L’ancien bras droit du Prince, Claude Palmero, est suspecté d’avoir joué les James Bond avec l’argent de la couronne et la complicité d'Erwan Grimaud. Illustration Karine Bottier

Il tient dans le creux de la main, ne pèse que 18 grammes, mais avec ses trois caméras ultrasensibles cet "hélicoptère miniature" est capable de mener discrètement, de jour comme de nuit, des missions de reconnaissance dans un rayon de 2 kilomètres. Grâce à la technologie Black Hornet, le Palais princier pourrait ainsi garder un œil sur toute la Principauté.

Au printemps 2022, le Palais a acquis trois de ces nanodrones norvégiens... Comme d’autres États. L’armée de terre française se vante même d’utiliser des Black Hornet en opération extérieure. Sauf que, là, c’est l’administration des biens de la couronne qui a réglé la facture à 120.000 euros de cet équipement très spécial.

Pourquoi le Souverain aurait-il passé commande de drones généralement réservés aux militaires et aux services de renseignement ? En fait, il n’en aurait même pas été informé ! Dans les couloirs du palais, on affirme que "Son Altesse" n’aurait découvert l’existence des trois Black Hornet qu’après le limogeage, en juin dernier, de Claude Palmero, son ex-comptable.

Comme le révèlent nos confrères italiens d’Il Fato Quotidiano, l’achat de ces trois drones de surveillance est d’ailleurs venu alourdir la plainte pour "abus de confiance" déposée par le prince Albert II et ses sœurs contre leur ancien gestionnaire de fortune.

1,10 million d’euros de factures "douteuses"

Tout un pan de la procédure est en fait dédié aux relations commerciales que Claude Palmero aurait noué ces dernières années avec la société MC Clic. Cette entreprise monégasque n’aurait pas seulement fourni au Palais les trois Black Hornet. Elle lui a aussi mis à disposition de puissants serveurs informatiques "de type OSINT", capables de scruter en temps réel le Net.

Un équipement hi-tech également utilisé en matière de surveillance. En fait, ce pourrait bien être une véritable "officine secrète de renseignement" qui aurait été mise en place avec l’entremise de la société MC Clic.

Une officine "imaginaire", selon Claude Palmero. "Il doit y avoir une confusion avec une précédente initiative, ironise-t-il. Dans le passé, le Prince avait voulu avoir un service de renseignement, dépendant de lui directement et créé in fine par lui : le Monaco Intelligence Service, doté de moyens très conséquents. L’expérience avait finalement tourné court et s’était achevée dans une certaine confusion."

Le nouvel entourage du Prince a en tout cas listé pas moins de 54 "factures douteuses", récentes celles-là, pour un montant de "plus de 1,1 million d’euros", et le plus souvent libellées sous l’intitulé "vague" de "prestations de conseil". Elles auraient été validées et payées rubis sur l’ongle par l’ancien administrateur des bijoux de la couronne, Claude Palmero.

"Aucune caisse noire"

Le Palais va jusqu’à s’interroger sur d’éventuelles reversions en liquide. Les étrennes de la fin de l’année 2022, versées au personnel princier en liquide, pourraient avoir été payées ainsi à hauteur de 260.000 euros. De telles présumées "fausses factures" auraient aussi servi à alimenter une "caisse noire". Et pourquoi pas à rémunérer discrètement un réseau d’indicateurs ?

De lourdes accusations qui ont conduit le fondateur et gérant de MC Clic, Erwan Grimaud, en garde à vue le mois dernier. Cet ancien étudiant en biologie et nanotechnologies de 34 ans, est finalement ressorti sans inculpation des locaux de la Sûreté publique monégasque après y avoir passé la journée.

Par la voix de son avocat, Me Paul Sollacaro, il se défend de toute malversation. "Aucune caisse noire", "aucune sortie d’espèces" et encore moins de fausses factures. La comptabilité de MC Clic serait transparente. "Et il peut le prouver", martèle Me Sollacaro.

Erwan Grimaud, qui a même été salarié à temps partiel du Palais jusqu’en août 2023 en tant que "conseiller sécurité", travaillait "pour le Prince et uniquement pour lui". Ce Monégasque entend d’ailleurs "rester fidèle et loyal" envers le Souverain. En revanche son conseil n’hésite pas à tirer à boulet rouge contre "le nouvel entourage" du prince Albert II qu’il accuse de "méthodes de barbouzes".


"De fausses et honteuses accusations sur des personnes qui ont été les fidèles exécutants de SAS le Prince"

De son côté, Claude Palmero, explique avoir fait appel à Erwan Grimaud pour éprouver et optimiser la sécurité du Palais princier. Mais aussi fouiner dans les profondeurs du web pour contrer les Dossiers du Rocher. Même si l’ex-comptable de la famille princière assure n’avoir exploité que des "sources ouvertes" pour un Souverain fasciné par la matière.

"Tout ce qui concernait la sécurité du Palais et de la famille souveraine en particulier, était bien entendu l’une de mes préoccupations majeures en ma qualité d’administrateur des biens. Et encore plus particulièrement depuis 2021", justifie-t-il, avant d’ajouter que "le Prince appréciait parfois de traiter directement avec les personnes concernées".

"Les relations avec Erwan Grimaud, qu’il connaissait personnellement, et qui a été embauché comme consultant sécurité par le Palais, s’inscrivent dans ce cadre. Annoncer le dépôt d’une plainte sur le fondement de ces contrats ne peut emporter aucune conséquence judiciaire dans un État de droit", estime l’ex-comptable du Prince.

Si Palmero n’y voit qu’une "énième tentative d’opération de communication organisée par les nouveaux conseils du Palais", pour lui, "cela n’excuserait en rien le fait, pour plaire à des intérêts privés, de porter de fausses et honteuses accusations sur des personnes qui ont été les fidèles exécutants de SAS le Prince".

La Principauté avait déjà servi de toile de fond à James Bond. Mais jusqu’à présent ça n’était que du cinéma...

Tout comprendre aux "Dossiers du Rocher" et à la situation à Monaco en quelques dates

Octobre 2021


Un site internet baptisé "Les Dossiers du Rocher" émerge et dévoile des dizaines d’échanges de mails piratés essentiellement sur la messagerie de Thierry Lacoste, ami d’enfance et avocat du Prince. Portant quasi-intégralement sur des projets immobiliers, ces communications entre l’administrateur des biens de la Couronne et de la famille princière, Claude Palmero ; Thierry Lacoste ; le haut fonctionnaire spécialisé en droit, Laurent Anselmi ; et le président du Tribunal suprême, Didier Linotte, tendent à démontrer que ce "G4" a profité de la confiance du Prince pour nourrir ses propres intérêts financiers lors de la conduite de projets publics.

17 octobre 2021


La pénaliste Me Marie-Alix Canu-Bernard dépose une plainte contre X à Monaco, au nom du "G4", pour violation du secret des correspondances et du secret professionnel et recel de ces informations. Plainte pour débusquer le "corbeau" derrière les Dossiers du Rocher et dans laquelle le prince Albert II se constituera partie civile.

28 octobre 2021


Le prince Albert II "condamne avec la plus grande énergie cette campagne diffamatoire" dans Monaco-Matin.

10 décembre 2021


Alors que le "G4" fait courir le bruit que le promoteur immobilier monégasque Patrice Pastor est le "corbeau", le Prince nomme Laurent Anselmi à la tête de son Cabinet, qu’il renouvelle entièrement alors que le "G4" le considérait comme "pastorisé".

Mai 2023 : la bascule


Après une charge médiatique de Patrice Pastor contre le "G4" et le refus du Parquet national financier d’instruire sa plainte, le Parquet général de Monaco s’autosaisit et décide d’ouvrir une enquête pour trafic d’influence. Déjà courroucé par les propos de son entourage dans l’émission "Complément d’enquête" le 11 mai, le Prince apprend l’existence de cette enquête et de faits troublants. Il coupe les ponts avec le "G4", puis renvoie Claude Palmero le 6 juin et écourte le mandat de Didier Linotte l’été.

12 juillet 2023


Dans un entretien au Figaro, le Souverain annonce avoir "diligenté un audit [au Palais] auprès d’un cabinet neutre, pour faire toute la lumière sur cette histoire".

13 juillet 2023


Patrice Pastor porte plainte à Monaco pour trafic d’influence, via sa SCI Esperanza, contre le "G4". Le Prince se portera partie civile en son nom.

17 juillet 2023


Des perquisitions sont menées à Monaco, Paris et Nice chez le "G4".

18 septembre 2023


Le prince Albert II et ses deux sœurs portent plainte au pénal contre Claude Palmero pour vol et abus de confiance.

4 octobre 2023


L’avocat de Claude Palmero, Me Pierre-Olivier Sur, dénonce dans Monaco-Matin un système de corruption dont son client serait victime, citant Shakespeare : "Il y a quelque chose de pourri au Royaume de Danemark".

Décembre 2023


Des perquisitions sont menées dans les bureaux de Patrice Pastor.

11 janvier 2024


Claude Palmero saisit la Cour européenne des droits de l’Homme "pour dénoncer les violations de la Constitution monégasque ainsi que des standards d’indépendance et d’impartialité de la justice qu’exige le Conseil de l’Europe" dans le cadre de son licenciement.

14 mars 2024


L’État monégasque se constitue partie civile dans l’enquête ouverte en mai contre le "G4" (à laquelle la plainte de Patrice Pastor du 13 juillet s’est ajoutée), s’interrogeant "sur les conditions dans lesquelles" il a été condamné à payer 136 millions d’euros d’indemnité à un promoteur après l’abandon du projet immobilier de l’Esplanade des Pêcheurs. Décision rendue par le Tribunal suprême présidé par Didier Linotte.

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