Personne n’a manifestement pensé à actualiser la page Internet du Tribunal suprême de Monaco. Aujourd’hui encore, le site officiel de la plus haute institution judiciaire monégasque - l’équivalent du Conseil constitutionnel en France - présente Didier Linotte comme son président.
L’ancien recteur de l’académie de Nice, agrégé de droit public, a pourtant quitté ses fonctions le 8 août 2023, au terme de son mandat et sur fond d’opération "mains propres" en Principauté.
Didier Linotte est l’une des victimes de la révolution de palais qui s’est nouée l’été dernier… Et l’un des quatre membres de ce "G4" qui, à en croire les "Dossiers du Rocher", tirait les ficelles à Monaco. Mails piratés à l’appui, un mystérieux corbeau accuse depuis 2021 quatre très proches collaborateurs du prince Albert II d’avoir fait "main basse" sur les affaires du pays.
"C’est un faux! Je n’ai jamais eu de compte en Suisse"
Au cœur de ce prétendu "trafic d’influence" figurent l’ancien administrateur des biens de la couronne, Claude Palmero, l’ex-chef de cabinet du souverain, Laurent Anselmi, l’ami d’enfance du Prince, l’avocat Thierry Lacoste, et donc le plus haut magistrat de la Principauté, Didier Linotte. [lire ci-dessous]
Le concernant, l’histoire vient de rebondir. Le 14 mars dernier, jour de l’anniversaire du Prince, le gouvernement s’est fendu d’un communiqué annonçant son intention de s’associer à une "récente procédure pénale", sans pour autant en préciser les contours. Il pourrait s’agir de la plainte que Patrice Pastor, au travers de la SCI Esperanza, s’est empressé de déposer après la chute du "G4"… Et dans laquelle le prince Albert II s’est lui-même déjà constitué partie civile.
Si l’État monégasque a finalement décidé de suivre la même voie judiciaire, c’est parce qu’il en est venu à "s’interroger sur les conditions dans lesquelles" le Tribunal suprême l’a condamné, en juin 2020, à verser une indemnité de 136 millions d’euros au groupe Caroli après l’abandon d’un projet de logements et de musée d’archéologie sur l’Esplanade des Pêcheurs. De quoi jeter l’opprobre sur l’impartialité de la plus haute juridiction de Monaco… Quitte à alimenter le doute sur l’intégrité de celui qui la présidait à l’époque.
Des accusations de "trafic d’influence", voire de "corruption", auxquelles Didier Linotte avait déjà dû faire face au moment de la sortie des Dossiers du Rocher. Le mystérieux corbeau, derrière lequel beaucoup croient discerner l’ombre du promoteur immobilier Patrice Pastor, avait alors accusé le plus haut magistrat de la Principauté de posséder un compte en Suisse. Document à l’appui.
"Je crois que c’est une société que j’avais créée avec un associé et ami"
"C’est un faux! Je n’ai jamais eu de compte en Suisse", martèle aujourd’hui encore Didier Linotte. "Je hais la corruption", tranche ce haut fonctionnaire français qui, au travers de sa longue carrière, a travaillé au cabinet de plusieurs ministres français, de François Léotard à René Monory, en passant par Raymond Barre.
L’ancien juge suprême n’aurait donc pas de compte bancaire en pays helvète, dont acte… Mais, selon nos informations, ses affaires auraient bel et bien été liées à une société basée à Genève, la Devacco SA. Didier Linotte l’aurait presque oubliée. Interrogé sur la question, il hésite un instant… "Je crois que c’est une société que j’avais créée avec un associé et ami, Noël T. (1). Mais c’était avant que je n’arrive à Monaco. À l’époque j’envisageais de m’installer professionnellement en Suisse."
La Devacco SA a bien pour objet social de faire du conseil juridique. En revanche, elle a été créée le 20 juin 2013. Soit trois ans après la nomination de Didier Linotte au Tribunal suprême dont il est devenu le président le 19 juillet 2012. "De toute façon elle a très peu fonctionné, assure-t-il. Mon épouse ne voulait pas aller en Suisse, plaisante l’ancien haut magistrat monégasque. Elle préférait acheter un centre équestre en France." Qui, à l’entendre, lui aurait coûté "beaucoup d’argent".
Le fait est que les comptes personnels de Didier Linotte renflouent régulièrement ceux de la SCI Sulli au travers de laquelle les époux Linotte possèdent, depuis juillet 2013, une propriété équestre à Beaumont-sur-Lèze en Haute-Garonne. Mais face à ces dépenses apparaissent aussi des recettes. Notamment des virements réguliers de la société suisse Devacco SA, qui va verser plusieurs milliers d’euros tous les mois à Didier Linotte de juin 2013 à octobre 2015. Près de 250 000 euros au total étalés sur 30 mois.
Jusqu’à la mise en liquidation de la société Devacco, qui ne sera finalement radiée que tout récemment, le 23 juin 2023. Formalité accomplie par Noël T., l’"associé et ami" du plus haut magistrat de Monaco, et pour lequel Didier Linotte avait intercédé en Principauté, dans le cadre d’un projet de clinique privée.
Il n’avait d’ailleurs pas été le seul. Les noms des autres membres du présumé "G4", de Claude Palmero à Laurent Anselmi, apparaissent dans des correspondances plaidant, jusqu’auprès du ministre d’État Michel Roger, la cause de Noël T.. C’était en 2012, juste avant que ce dernier ne s’associe en Suisse avec Didier Linotte dans la société Devacco SA.
1. Nous n’avons pas réussi à entrer en contact avec Noël T.
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