Affaire des "Dossiers du Rocher": congédié, l'ancien administrateur des biens du Prince sort du silence et dénonce une entreprise de corruption à Monaco

Quatre mois après son éviction par le prince Albert II, l’ancien Administrateur des Biens du Palais princier, Claude Palmero, sort du bois via son avocat, Me Pierre-Olivier Sur, pour dénoncer un système de corruption à Monaco dont il serait victime.

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Thomas Michel Publié le 04/10/2023 à 07:00, mis à jour le 04/10/2023 à 07:20
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Claude Palmero a été renvoyé de son poste d'Administrateur des Biens du Palais princier, en juin dernier à Monaco. Quelques jours auparavant il témoignait dans l'émission Complément d'enquête. Capture d'écran FranceTV

"Quand la confiance n’est plus là et lorsqu’il n’y a pas de réponses claires aux questions posées, il convient de prendre des décisions. Il faut aller de l’avant. Ce qui a été appelé les ‘‘Dossiers du Rocher’’ a fait déborder le vase (...) Si la confiance s’évapore, on ne peut plus travailler ensemble (...) J’ai donc pris la décision d’installer une nouvelle équipe qui me rendra des comptes."

Le 12 juillet dernier, le prince Albert II justifiait dans les colonnes du Figaro le départ de son chef de Cabinet, Laurent Anselmi, et de son Administrateur des Biens, Claude Palmero. Deux des membres de ce que les médias ont appelé le « G4 » avec l’ex-avocat du Prince, Thierry Lacoste, et l’ancien président du Tribunal Suprême de Monaco, Didier Linotte.

Un "G4" dont les correspondances, piratées par un commanditaire qui reste introuvable, ont été pendant des mois diffusées sur Internet et les réseaux sociaux sous l’intitulé "Dossiers du Rocher".

Le but ? Insinuer que ces quatre "amis" auraient, au mépris du Prince et de la Principauté, manigancé pour servir leurs propres desseins. Tous ont nié, saisi la justice, et disparu de la scène publique. Tous, sauf Claude Palmero, qui réclame en justice sa réintégration au Palais princier et, par l’intermédiaire de son avocat Me Pierre-Olivier Sur, s’exprime aujourd’hui dans Monaco-Matin pour "laver son honneur".

Votre client, Claude Palmero, ne souhaite pas s’exprimer en personne ?
Non. Il ne cherche pas la lumière et n’apparaît jamais en première ligne. C’est un technicien pur, professionnel et droit. Un homme austère, loyal et responsable. Ce n’est pas un joueur d’échecs ou un intrigant. Il n’a pas de stratégie de communication, mais il s’inscrit dans la continuité d’une relation de dévouement et de loyauté vis-à-vis de l’État et du Souverain qui se jouera, s’il le faut, face au juge.

"Claude Palmero souhaiterait pouvoir ne pas critiquer le Prince"

Pourquoi a-t-il entrepris cette action pour réintégrer son poste au Palais princier ?
Il a travaillé 22 ans, d’abord pour le prince Rainier III, puis pour le prince Albert II. Cette relation date de plus loin encore, puisque son père exerçait déjà les mêmes fonctions en 1980. Donc 43 ans ! Deux générations d’une même famille intègre, au service de deux générations d’une même famille princière. Dans ces conditions, le départ de Claude Palmero doit se faire dans l’honneur et la dignité. Donc à l’inverse de la révocation sans cause et sans fondement dont il a été victime. C’est cela qu’il veut faire effacer par la justice.


Aujourd’hui, M.Palmero se retourne contre le prince Albert II devant le Tribunal Suprême…
Claude Palmero a une très haute idée du sens de l’État et de la famille princière. De ce qu’elle représente aux yeux du monde. Il estime avoir travaillé pour l’une des plus prestigieuses institutions qui soit. Encore aujourd’hui, il souhaiterait pouvoir ne pas critiquer le Prince. Il est dans cette attitude révérencielle qui rend sa blessure plus douloureuse et insupportable encore. Pour lui, c’est très compliqué d’être judiciairement face au Prince. Son ennemi est ailleurs. Il s’agit d’une puissance hégémonique. Mais facialement, juridiquement, le véhicule des décisions créatrices ou privatives de droit n’est autre que le Palais.


Vous parlez d’une puissance hégémonique, quelle est-elle ?
C’est une pieuvre innommée, qui petit à petit a remplacé la loyauté par l’intrigue et qui exerce une influence néfaste du fait de sa position hégémonique.

Innommée ? Soyez plus précis…
Shakespeare dans Hamlet : « Il y a quelque chose de pourri au Royaume de Danemark ». Vous le voyez je ne désigne personne ! Mais en ce moment le système se délite. Tout le monde sait de qui il s’agit à Monaco et ailleurs.

Sans désigner la "pieuvre", pourquoi pensez-vous qu’elle s’est attaquée à votre client ?
Parce qu’il a été l’un des premiers, avec l’aval du Prince, à dénoncer devant la justice la corruption à Monaco. Attaqué depuis 15 ans, il est devenu une cible et un homme à abattre. Il savait le risque, mais il pensait que le Prince allait le protéger. Pourtant il fut révoqué ad nutum. Depuis il ressent une grande solitude qui est une source d’anxiété et d’angoisse. Par exemple, il est vraisemblablement sur écoute téléphonique, suivi, tracé dans tous ses faits et gestes à Monaco et ailleurs. Si le Prince a indiqué dans l’une de ses interviews récentes à votre journal qu’il se sentait "seul", a fortiori Claude Palmero est aujourd’hui extrêmement seul.

"Tous les coups ne sont pas permis"

Claude Palmero n’a pas perdu sa loyauté envers le Prince, pourtant il l’attaque en justice !
Juridiquement, nous n’avons pas d’autre choix puisque les décisions sont facialement signées par le Prince. Mais il y a des choses que Claude Palmero ne fera pas. Tous les coups ne sont pas permis !


Ont notamment été évoqués dans la presse des échanges de SMS avec le Prince…
Vous remarquerez que ces SMS ne sont jamais sortis. Mais vous savez aussi qu’à certains moments les procédures nous échappent. En particulier au pénal. Des perquisitions ont déjà eu lieu concernant le dossier dit "du Rocher" qui n’a rien à voir avec les instances que nous avons initiées à propos de la révocation de Claude Palmero. Alors c’est le secret partagé de Claude Palmero et du Prince qui a été fracturé. Claude Palmero n’y est pour rien. Ce qui m’inquiète c’est que la spirale judiciaire est un jeu de dupes qui risque de conduire à une catastrophe.

"Un coup de fil et on se retrouve autour d'une table"

Si vous poursuivez ces actions, c’est qu’aucun accord amiable n’a pas été possible. Pourquoi ?
Je ne désespère pas ! Un coup de fil et on se retrouve autour d’une table. Mais nous avons l’impression que les portes sont fermées. Nous le savons et tout le monde le sait à Monaco : Claude Palmero est un serviteur dévoué et un homme simple. Son train de vie est modeste. Il n’a jamais recherché la fortune et il est absolument incorruptible.

Un audit a été lancé au Palais princier après son départ, Claude Palmero est-il serein ?
Oui. Ce n’est pas l’audit qui l’empêche de dormir ! Il est intègre, droit et désintéressé. Ce dossier n’est pas une affaire d’enrichissement personnel…

Même dans la Crémaillère ?
Aucun sujet non plus. Il s’agissait d’un terrain (dont 90 % de l’emprise est en France) grevé de 200 millions d’hypothèques qu’il fallait purger. Si c’est l’État qui achète facialement, il y a un problème à cause de la situation juridique très complexe et de l’inflation sur le prix que cela aurait entrainé. Un véhicule juridique a donc été créé en concertation avec le gouvernement et confié à Claude Palmero qui, à travers une structure transparente, a acquis ce puzzle immobilier directement avec les moyens de l’État. Monaco en est donc devenu propriétaire exclusif. Claude Palmero n’a pas gagné un centime, ni la moindre parcelle immobilière. Je le répète, ce n’est pas cela qui l’empêche de dormir. Ce qui le rend malade c’est le harcèlement innommable qu’il subit depuis qu’il est parti.

"Le contexte de son éviction s’inscrit dans l’Histoire de Monaco"


Il vient d’où ce harcèlement ? Sous quelles formes ?
Je ne sais pas d’où il vient, ce que je sais, c’est que des personnes douteuses à l’influence délétère s’en donnent à cœur joie et que l’air est souvent irrespirable. Pourtant Claude Palmero répète fièrement à qui veut l’entendre, qu’il n’a aucune raison de partir de Monaco. Parce que ce n’est pas à lui de partir !

Votre client ira-t-il jusqu’au bout pour laver son honneur ?
Oui. Vous l’avez compris il ne s’agit pas d’un contentieux entre un salarié et un employeur. Au-delà de Claude Palmero, le contexte de son éviction s’inscrit dans l’Histoire de Monaco. A mon niveau d’avocat, concernant le fonctionnement de la justice à Monaco, je me pose la question de la séparation des pouvoirs, et je suis perplexe concernant ce à quoi j’assiste au Tribunal Suprême (voir notre encadré).

Prenons un exemple : le jour même où je fais une requête en récusation d’un juge qui, à mes yeux, a été désigné par une autorité incompétente pour suivre le dossier, ce même juge, confondant vitesse et précipitation, rend une ordonnance signée à Lyon (!) pour me donner tort sur la demande de réintégration ! Cela ne révèlerait-il pas un ordonnancement judiciaire devenu fou ?

Mais, les décisions de justice à Monaco sont soumises à la Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg. Alors, c’est tout le système de la justice à Monaco qui risque d’être passé au crible de la Convention européenne des droits de l’homme, dans sa haute définition du « procès équitable ». Je sais qu’au moment de l’adhésion de Monaco au Traité du Conseil de l’Europe, il y a eu des réserves. Mais aucune d’elle n’est intangible devant le juge de Strasbourg ! Et il n’y a pas que le Conseil de l’Europe, il y a aussi la justice française.

L’ancien Bâtonnier de Paris, Me Pierre-Olivier Sur, défend Claude Palmero devant le Tribunal Suprême de Monaco. DR.

Pourquoi le Tribunal Suprême de Monaco a refusé la réintégration de Claude Palmero

Administateur des Biens de la famille princière depuis novembre 2001, Claude Palmero, qui a fêté ses 67 ans en juillet, a officiellement été révoqué le 6 juin (Décision souveraine du 9 juin). Mais l’intéressé ne l’accepte pas. Le 13 juillet, l’ancien Bâtonnier de Paris, Me Pierre-Olivier Sur, a ainsi déposé au nom de Claude Palmero deux requêtes auprès du Tribunal Suprême de Monaco, une au fond pour contester sa révocation ad nutum et une d’urgence, en suspension de décision, afin d’obtenir sa réintégration. Réclamant a minima la somme de 1 million d’euros au titre des préjudices moral et corporel.

Une vie "bouleversée"


Si la décision sur le fond n’a pas encore été rendue ; le sursis à exécution a été rejeté le 5 septembre, le Tribunal Suprême considérant que la décision de révoquer Claude Palmero relève du choix "discrétionnaire" du Prince, qui est l’une de ses "prérogatives régaliennes". Rappelant, surtout, qu’il n’est pas un justiciable comme un autre. "Toute juridiction saisie, quelle qu’elle soit, est tenue de se déclarer incompétente si la procédure place le Prince souverain en qualité de défendeur."

Dans ces requêtes, Me Sur évoque la vie "bouleversée" de son client et "l’atteinte à (s)a réputation considérable". Un préjudice "grave" que seul l’argent ne saurait réparer. Le Bâtonnier pointe surtout l’absence de motivation du renvoi de son client. "S’agit-il d’une insuffisance professionnelle ? De manquements ? D’une perte de confiance ? D’une mise à la retraite ? Nul ne le sait ! Cette carence de motivation justifie à elle seule l’annulation", peut-on lire dans la requête aux fins d’annulation, qui conclut : "Il appartiendra au Prince de s’expliquer devant le Tribunal Suprême sur les véritables motifs de cette décision". Outre le fond, la forme de la procédure a heurté les conseils de Claude Palmero au cœur de l’été.

Jeu de chaises musicales au Tribunal Suprême

Le 17 juillet, le président du Tribunal Suprême Didier Linotte, dont le mandat arrive à terme, nomme son vice-président, Didier Ribes, rapporteur. Le 9 août, un arrêté de la Secrétaire d’État à la Justice, Sylvie Petit-Leclair, confie à Stéphane Braconnier, membre du Tribunal Suprême, la charge "d’assurer la continuité du service dans l’attente de la désignation des nouveaux président et vice-président du Tribunal suprême, de suivre les procédures en cours et prendre toute mesure urgente".

Une première "incongruité" selon Me Pierre-Olivier Sur, qui rappelle que la loi constitutionnelle ordonne que le Prince choisît les juges du Tribunal Suprême (article 89 de la Constitution), et non la Secrétaire d’État.

Puis le 11 août, Stéphane Braconnier abroge l’ordonnance du 17 juillet de Didier Linotte et note comme rapporteur un autre membre du Tribunal Suprême, Philippe Blacher.
Le 5 septembre, les avocats de Claude Palmero déposent alors un acte aux fins de récusations de Stéphane Braconnier et Philippe Blacher. "Et là, c’est le deuxième scandale !", pointe Me Sur. "Une ordonnance signée à Lyon dans l’urgence absolue, ce même 5 septembre, rejette notre requête de sursis à exécution."

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