"C’est fou de voir autant d’animaux en à peine une heure" : tortues, dauphins, cachalots... Ils veillent sur les géants marins au large d'Antibes

Le regard fixe, Sidonie Catteau scrute une Méditerranée presque confondue avec le ciel sans nuages. Soudain, ses sourcils se haussent, sa bouche s’arrondit dans un cri de joie: "Là-bas! Une mobula saute hors de l’eau… la vache!" La raie manta disparaît aussitôt sous une rafale de clichés, telle une star insaisissable. Directrice du Centre de réhabilitation de la faune sauvage à Antibes, géré par l’association Émergence, Sidonie sort aussitôt ses fiches: heure et coordonnées GPS de l’observation, espèce repérée, photographie.

"Ces données permettent de cartographier la présence et la répartition à un instant T des cétacés, tortues, poissons-lunes, raies, oiseaux marins, etc., au large du cap d’Antibes et des îles de Lérins", résume la biologiste marine.

Ce suivi scientifique, baptisé NaturaScan, est mené depuis cinq ans selon un protocole rigoureux, les résultats sont partagés entre l’association et l’Office français de la biodiversité.

L’union fait la force

Ce samedi 28 juin, en cette matinée de canicule, le semi-rigide embarquant cinq bénévoles n’est pas seul. Vingt-deux bateaux, avec à leur bord plaisanciers et autres acteurs de la vie maritime, quadrillent aussi le site Natura 2000. "Nous profitons de la Saint-Pierre, fête des pêcheurs, pour impliquer et sensibiliser, une fois par an depuis 2022, les usagers de la mer à la mégafaune marine et à la protection de l’environnement", éclaire la scientifique, soulignant la collaboration avec la Société des Régates d’Antibes.

Un groupe de conversation en ligne, spécialement créé pour l’occasion, permet de suivre en temps réel la progression des équipages. Chacun explore une zone qui lui a été attribuée à l’avance et signale immédiatement toute observation d’animaux marins.

"Cette initiative ponctuelle vient compléter une habitude prise par l’association Émergence: celle de sortir en mer environ deux fois par mois, lorsque la météo le permet, afin d’assurer un suivi régulier", précise Stéphane Jamme, écologue.

Seules règles à respecter: ne pas approcher les animaux à moins de 100mètres, couper le moteur en leur présence et ne pas les poursuivre.

Avec un peu de patience et des paires d’yeux braquées dans toutes les directions, les créatures marines finissent par se montrer. D’abord, une discrète nageoire de Poisson-lune perce la surface, puis un banc de dauphins bleus et blancs surgit à son tour. "C’est fou de voir autant d’animaux en à peine une heure d’observation. Raison de plus pour informer les navires de leur présence régulière", réalise Sidonie Catteau, prévenante. Du côté des îles de Lérins, une tortue a été repérée, et un peu plus loin, un cachalot. "Ils ont même réussi à filmer la scène!"

Il faut dire que l’environnement est idéal, notamment pour les cétacés. "Une fosse profonde de deux kilomètres fait face à la côte; avec les courants marins et la proximité du continent, la zone attire un grand nombre de proies, et donc leurs prédateurs", enseigne Stéphane Jamme. Mais elle attire aussi les déchets…

Sur le chemin, un sac plastique et une grosse crépine recouverte de mollusques ont été repêchés. Eux aussi sont notés dans les fiches, en lien avec la Directive-cadre stratégie pour le milieu marin: "Afin d’en comprendre la provenance et les déplacements en mer". Un rappel saisissant du long chemin qu’il reste à parcourir malgré cette journée encourageante.

"Une sortie remarquable"

Des tendances concrètes sur l’évolution des populations de certaines espèces marines dans le département pourront être dégagées dès l’an prochain, anticipe l’association Émergence.

"Je dois dire que cette sortie a été assez remarquable: cinq des huit espèces majeures ont été observées en une seule matinée", observe cependant Sidonie Catteau, qui plaide pour un renforcement de la protection de ces secteurs marins classés. Une preuve que la biodiversité subsiste, même à proximité d’une côte très urbanisée. "Il suffit de prendre le temps d’observer."