Pas de téléphone à l’école, du CM2 à la Terminale. Si, sur le papier, son usage par les élèves demeurait déjà interdit au sein des enceintes scolaires de la Principauté, il en était tout autre dans les faits avec un contournement récurrent des règles.
L’annonce gouvernementale d’un dispositif de pochette à verrouillage automatique, dans laquelle les élèves devront ranger leur smartphone dès la rentrée de ce lundi 8 septembre [lire notre édition du 4 septembre], viendra donc instaurer une pause numérique salutaire pour les générations "Z" et "Alpha", dont le temps passé devant les écrans ne cesse de croître .
Si on ignore encore quelle sera la réaction des principaux concernés, qui s’exposent à des sanctions en cas de non-respect du règlement (convocation des parents, heures de colle voire exclusion si récidive…), la décision fait déjà consensus chez les parents d’élèves.
Harcèlement: "Cela va enlever beaucoup de problèmes"
"On a sondé les réseaux sociaux et le terrain: les parents sont tous ravis, relate Raffaella Olivieri, présidente de l’Association des parents d’élèves de Monaco (1.000 adhérents), consultée en amont par l’exécutif princier. Avoir un smartphone allumé est une distraction. En le coupant, on éloigne la dépendance à l’objet. On le voit dans la rue, le smartphone est un prolongement de leur main et contribue à l’isolement. En le coupant, ça oblige les enfants à être entre eux, à se parler, ça améliore les relations sociales."
Autre avantage, à ses yeux: limiter les situations de cyber-harcèlement et ainsi améliorer le climat scolaire. "Cela va enlever beaucoup de problèmes. L’an passé, il y a eu quelques cas de harcèlement – qui ont été bien gérés car repérés et sanctionnés – avec des enfants filmés en classe, des situations pas orthodoxes."
"Sauver 8 heures de la journée"
En instaurant ce dispositif – qu’elle juge "éducatif (...) pour faire réfléchir sur l’addiction" – l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports et son directeur Jean-Philippe Vinci, aspirent aussi à lutter contre l’inattention en classe. Dans les établissements scolaires étrangers où ce dispositif a été mis en place, une hausse de 42% d’attention moyenne en cours aurait été observée.
"Peut-être que certains se rueront sur leurs smartphones à la sortie des cours – ils le font déjà – mais on aura sauvé 8h de la journée, on aura sanctuarisé la période scolaire, salue Frédérique de Chambure, secrétaire générale d’Action Innocence Monaco.
Les écrans et smartphones provoquent bien des maux: des problèmes de mal-être (anxiété, angoisse) et d’interactions sociales, des troubles du sommeil et de la mémoire, des retards de langage mais aussi une fatigue et des maux de tête chroniques, de la sécheresse des yeux."
À ses yeux, cette mesure "formidable" du "No Phone" à l’école doit aller de pair avec l’accompagnement des parents. "Pour que ce soit accepté positivement, il est important d’expliquer à leurs enfants qu’elle n’est pas une brimade à leur encontre mais qu’elle est prise pour leur bien-être et leur réussite scolaire."
Plus globalement, l’association, qui informe et sensibilise la communauté monégasque aux risques et dérives liés à l’usage d’Internet (pornographie, violence, harcèlement), préconise l’achat d’un smartphone avec Internet après 13 ans.
"Avant, dans leur construction mentale, ils ne sont pas aptes à absorber ce à quoi ils vont être confrontés. On soutient donc ce contrat civil que des parents anglo-saxons de Monaco ont lancé en s’engageant à ce que leurs enfants n’en aient pas un avant cet âge. Il y a une prise de conscience chez beaucoup sur ces problématiques. Cela génère aussi moins de pression sociale pour l’enfant."
A Monaco, The British School propose un Nokia sans Internet
Depuis son ouverture en 2022, The British School of Monaco applique une consigne stricte: pas de téléphone entre ses murs. "C’est plus facile de partir de ce principe-là dès la création de l’école que de l’interdire après des années d’usage, reconnaît sa cofondatrice et directrice, Dr Olena Sullivan-Prykhodko. Les smartphones et les montres connectées sont ainsi laissés par les élèves dans un box à l’accueil, de 8h45à 16h.
"Les parents sont contents de cette mesure, personne ne s’y oppose. L’utilisation régulière des réseaux sociaux impacte le développement psycho-émotionnel des enfants, leur santé mentale, leur attention", analyse-t-elle.
Pour les 14-18 ans en scolarité individuelle – des sportifs professionnels entre autres –, le fameux dispositif de pochette à verrouillage magnétique est déjà expérimenté depuis le printemps 2025. " Ils gardent avec eux leur téléphone et en sont responsables. C’est une très bonne solution, que je soutiens, pour des lycéens."
60 Nokia vendus aux parents d’élèves par Monaco Telecom
Enfin, depuis septembre 2024, un partenariat noué avec Monaco Telecom propose aux parents l’achat pour leurs enfants d’un Nokia 3210 réédité… sans accès à Internet. Objectif: opérer une déconnexion numérique – et ainsi préserver les jeunes des dérives inhérentes à l’immensité du web – et revenir aux fondamentaux: appels et SMS illimités pour 8,99 euros par mois.
Selon Monaco Telecom, 60 Nokia ont été vendus depuis. L’école compte 100 enfants. "C’est une question d’éducation des parents et de les mener vers une décision plus saine pour le développement de leurs enfants", estime le Dr Olena Sullivan-Prykhodko qui, en avril dernier, a participé à une conférence du réseau Entreparents sur le rôle du numérique dans le développement des enfants et son impact sur les relations familiales.
Une explosion du temps d’écran chez les lycéens
En avril 2024, 1.300 lycéens avaient participé anonymement à une enquête ESPAD pour évaluer leurs comportements addictifs (alcool, cigarette, cannabis etc.), y compris sur le temps d’écran.
Et sur ce point-là, les données révélées début 2025 par l’Institut monégasque de la statistique et des études économiques avaient été particulièrement révélatrices d’une inquiétante tendance, notamment lors de la semaine et donc des jours d’école.
Près de 64% des jeunes interrogés déclaraient passer 2 à 5 heures par jour sur les réseaux sociaux, et donc devant des écrans, soit près de 10 points de plus qu’en 2019. Ils étaient 8,6% à avouer naviguer sur leur smartphone plus de 6h par jour en semaine.
En week-end ou en vacances, 58,4% affirmaient passer entre 2 et 5h par jour devant leurs écrans, soit 4,2 points de plus qu’en 2019. Plus alarmant: la tranche "6h et plus" explosait lors de ces temps de repos avec près d’un tiers des adolescents (30,2%) disant utiliser les réseaux sociaux plus de 6h par jour.
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