"L’impulsion donnée par le gouvernement contre le blanchiment d'argent est excellente", assure un ex-agent du FBI de passage à Monaco

Le Musée océanographique se fait l’hôte depuis ce lundi d’un colloque (5-6 février) autour d’un cheval de bataille de la Principauté: la criminalité financière et la coopération entre les États.

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Sacha Tisic Publié le 06/02/2024 à 08:15, mis à jour le 06/02/2024 à 08:15
Le colloque, réunissant environ 250 personnes hier matin, était organisé sous l’autorité de la Secrétaire d’État à la Justice, Sylvie Petit-Leclair, et sous le regard attentif du prince Albert II. Photo Direction de la Communication–Frédéric Nebinger

Alors qu’elle tente par tous les moyens de montrer patte blanche à l’Europe, la Principauté se retrouve engluée ces derniers mois dans des affaires dont elle se serait volontiers passée.

Entre l’imbroglio qui lie la famille princière et l’ex-administrateur des Biens du Palais, Claude Palmero, et l’inculpation du maire Georges Marsan pour corruption active et passive, trafics d’influence, prise illégale d’intérêt et association de malfaiteurs… le travail du gouvernement pour tenter de redorer l’image financière du Rocher est bien entaché.

L’ombre de Moneyval plane

Depuis plusieurs mois, Monaco est passée à la vitesse supérieure dans sa lutte contre le blanchiment de capitaux. Avec comme boussole la liste de Moneyval, la Principauté – placée en "suivi renforcé" par l’autorité le 23 janvier dernier – veut à tout prix éviter de tomber sur liste grise. Ce qui aurait des conséquences désastreuses pour les investissements étrangers en Principauté.

"La lutte contre la criminalité financière est une priorité", a ainsi déclaré devant le prince Albert II la Secrétaire d’État à la Justice, Sylvie Petit-Leclair, en préambule du colloque portant sur "La coopération internationale dans le cadre de la lutte contre le blanchiment".

Organisé ces lundi et mardi au Musée océanographique, ce colloque – qui a visiblement trouvé son public avec près de 250 personnes au rendez-vous hier – présentait un important volet de sensibilisation et d’information, notamment concernant les réussites de la Principauté en la matière.

La Secrétaire d’État à la Justice s’est félicitée d’une année plutôt positive dans la lutte contre le blanchiment, avec "un arsenal juridique" renforcé mais souligne que tout cela serait bien maigre sans les pays étrangers, dont "nous avons besoin [...] pour lutter avec efficacité".

500 millions d’euros d’avoirs saisis

Et tout cela se traduit en chiffres. En 2023, la Principauté a enregistré 49 "décisions de saisie en matière de blanchiment" et "17 demandes de main levée sur les cinq derniers mois", ce qui prouve pour Sylvie Petit-Leclair que ces "saisies dérangent". Sans parler des radiations d’entreprises à Monaco qui s’accélèrent [notre édition du 28 décembre].

Toujours sur l’année précédente, la justice monégasque a mis la main sur un demi-milliard d’euros d’avoirs en cash, actions, bijoux, biens immobiliers, etc. "On a davantage de produits saisis. Et leur consistance est différente. Avant, on était beaucoup sollicité par les pays étrangers en vertu de la demande d’entraide pénale internationale. Aujourd’hui, les juges d’instruction effectuent beaucoup de saisies à Monaco et les demandes émanant des autorités étrangères sont moins importantes. C’est très significatif pour nous, cela montre l’implication des juges d’instruction dans les dossiers nationaux", développe-t-elle.

Plus récemment, début décembre, le Conseil national a voté pour le troisième projet de la loi dite "Moneyval" qui devrait notamment amener plus de prérogatives aux enquêteurs. "Nous avons désormais d’autres dispositions légales concernant les enquêtes préliminaires, les saisies, les confiscations… On s’est doté d’un service de gestion des avoirs criminels [Autorité monégasque de sécurité financière, NDLR] effectif depuis le 1 janvier 2024 [...] On a maintenant des dispositions conformes au droit européen pour lutter contre le crime organisé", ajoute-t-elle. En attendant qu’un quatrième volet législatif soit voté, Monaco espère bien ne pas voir le couperet tomber. C’est-à-dire, celui d’un placement par Moneyval sur liste grise. La Principauté sera fixée sur son sort au mois de juin. Et d’ici là, le colloque se poursuit aujourd’hui avec quatre conférences au programme de 9 à 17h.

Grégory Coleman, ex-agent spécial du FBI Photo Direction de la Communication–Frédéric Nebinger.

Grégory Coleman, ex-agent spécial du FBI: "L’impulsion donnée par le gouvernement est excellente, il prend ces problèmes très au sérieux"

Invité ce lundi au colloque "La coopération internationale dans le cadre de la lutte contre le blanchiment" pour partager son expertise, Grégory Coleman est un ancien agent spécial du FBI. Mais ce qui le rend extrêmement spécial, ce sont ses faits d’armes. Aguerri dans la lutte contre les malversations financières, fort de 25 ans d’expérience dans ce domaine, c’est lui qui a mené les investigations contre Jordan Belfort, dont l’histoire a inspiré le film "Le loup de Wall Street".

Pourquoi c’était important pour vous d’être à Monaco?

Pour moi, ce qui est essentiel, c’est avant tout de partager mon expérience ici à Monaco. J’aime partager ce que je sais en matière de blanchiment, surtout aux nouvelles générations. Mon expertise peut permettre aux personnes concernées d’optimiser leur temps et d’être meilleur au travail. Maintenant je suis retraité, mais quand j’ai débuté, j’avais un mentor qui m’a appris à investiguer de la bonne manière. Vous savez, j’ai été en poste 25 ans à New York au FBI, j’y ai fait toute ma carrière et là-bas, tout est plus instantané, grand, rapide. L’expérience que vous accumulez à New York en une année, vous ne l’obtenez même pas ailleurs, dans certains endroits, après cinq ans.

Quel est le principal danger auquel doivent faire face les États aujourd’hui, en 2024?

La plupart des risques aujourd’hui viennent des cryptomonnaies, qui sont toujours en développement. Sans régulation de celles-ci, les conséquences peuvent être vraiment mauvaises. On sait qu’elles peuvent être utilisées pour du blanchiment ou pour financer des activités terroristes. Le monde a beaucoup changé, on le voit, et les gouvernements doivent avoir ça en tête et comprendre les mécaniques humaines à l’œuvre derrière ces méfaits financiers. Si vous ne prenez pas la mesure de l’enjeu, si vous ne comprenez pas comment tout cela fonctionne, comment bien investiguer ensuite? Beaucoup d’enquêteurs et de régulateurs ne comprennent pas encore cela.

Avez-vous l’impression que la Principauté fait ce qu’il faut pour lutter contre la criminalité financière?

Je n’ai jamais travaillé directement avec Monaco et je n’ai jamais envoyé de demandes de coopération à la Principauté. Mais de ce que je peux constater aujourd’hui, la seule chose que je peux évoquer, c’est l’impulsion donnée par le gouvernement qui est excellente, il prend très au sérieux les problèmes de criminalité financière. Ils ne veulent pas se retrouver sur liste grise et ils ont raison. Faire partie des pays vertueux est une bonne chose pour la réputation et l’investissement. Les changements se font dans le bon sens, en espérant que cela continue ainsi.

Monaco est-il une bonne place pour blanchir? Ou les malfrats se tournent vers d’autres destinations?

Vous savez, l’argent se blanchit partout, dans tous les pays. Ce qui se passe à Monaco aujourd’hui se passe également à Londres, à Paris, aux États-Unis… Une place n’est pas forcément meilleure qu’une autre. Ce qui va changer, c’est la réaction de la justice ensuite. Dans certains pays, il est vrai qu’elle préfère détourner les yeux. Mais je n’ai pas l’impression que Monaco fasse partie de ce cas de figure.

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