Pour la défense de Christian Carpinelli, jugé depuis ce lundi aux côtés de 10 autres prévenus dans l’affaire des faux résidents belges en Principauté, le volet "corruption et trafic d’influence" abordé ces deux derniers jours par les magistrats était sans nul doute le plus épineux.
Cet ancien commissaire-divisionnaire monégasque de 72 ans, à la tête de la Section des résidents de la Sûreté publique jusqu’en mars 2013, est accusé d’avoir perçu des pots-de-vin et des cadeaux pour avoir délivré et renouvelé des cartes de séjour en Principauté à un richissime industriel belge devenu son ami, Pierre Salik, et à son proche entourage. Et ce de façon indue, puisque ces derniers, en réalité, ne résidaient pas de façon effective en Principauté. Une pratique permettant de frauder le fisc du Plat pays, qui, selon l’accusation, a perduré après sa retraite. L’ex-haut gradé de la police monégasque usant en effet de son influence et de son ancien statut hiérarchique auprès de deux ex-collaborateurs, également prévenus dans ce procès (Serge D. et René J.).
"J’ai été témoin des libéralités et j’ai compris…"
Les dénonciations de corruption proviennent de Bernadette L., ex-épouse de Christian Carpinelli, dans un contexte de divorce houleux, fin 2016, et sont à la genèse de l’affaire. "Avant sa retraite, je croyais mon ex-mari quand il me disait que les enveloppes d’espèces remises par Mr Salik étaient un remboursement des démarches entreprises pour lui à Monaco, du fait qu’il y venait peu souvent. Après, j’ai été témoin des libéralités de M. Salik et j’ai compris que mon ex-mari faisait des cartes de séjour pour lui et ses proches. J’ai compris que c’était de l’argent sale, l’argent de la corruption", explique Bernadette L., à la barre du tribunal. Selon ses dires, cela représentait 20.000 euros par an dans ses années police, puis 42.000 euros annuels après mars 2013, au moment où il officiait comme directeur de la sécurité à l’AS Monaco.
"J’ai dit et écrit beaucoup de déclarations fantaisistes"
Volontiers volubile devant le président du tribunal Florestan Bellinzona et toujours enclin à égratigner son ancienne hiérarchie et le système monégasque, Christian Carpinelli a maintenu sa dernière version livrée lors des 8 années d’instruction: non, dit-il, il n’a jamais rien perçu en sa qualité de policier. Oui, après sa retraite, il a bénéficié de Pierre Salik, "en toute amitié", de deux virements de 20.000 euros - "des frais d’études pour mon fils" -, de deux voitures et de cadeaux, pour son apport dans la célérité apportée aux dossiers de titres de séjours. Une somme de 150.000 euros a aussi été virée à Christian Carpinelli par Pierre Salik après le décès de son épouse, motivée comme un don de remerciement pour avoir soutenu cette dernière dans la maladie.
Pour l’accusation, éléments bancaires à l’appui, cet argent proviendrait plutôt d’une opération de blanchiment pensée par Christian Carpinelli, au terme d’un transit par un compte en Suisse. Un point qui sera ultérieurement débattu au procès.
Il semblerait que Christian Carpinelli craignait ces soupçons de corruption puisque, quelques jours avant son interpellation en novembre 2016, il exécutait des recherches sur Internet du type: "délai de prescription de la corruption". En garde à vue, puis dans deux lettres rédigées en prison, le Monégasque a reconnu les faits, non sans charger un autre prévenu du dossier - l’agent immobilier Jean-Louis C. -, dont il prétendait qu’il lui remettait des enveloppes d’argent pour accélérer les dossiers de ses clients, ce que ce Jean-Louis C. a toujours nié, y compris à l’audience.
Sur tout cela, Christian Carpinelli s’est rétracté. "Durant ma garde à vue et au début de ma détention provisoire, j’ai dit et écrit beaucoup de déclarations fantaisistes. J’étais dans un état dépressif majeur, comme un zombie. J’ai pensé au suicide", affirme-t-il, pestant, à l’instar de ses deux anciens collaborateurs, contre des "pressions" exercées en garde à vue par les enquêteurs. "Vos déclarations étaient pourtant très circonstanciées, pas à l’emporte-pièce", fait remarquer Florestan Bellinzona.
Julien Pronier, le substitut du procureur général, s’attarde ensuite sur un comportement suspect avant l’interpellation. "Pourquoi, s’il n’y a aucune problématique de corruption, dites-vous à Serge D. qu’il doit être prudent et vous joindre sur le second portable avec carte prépayée?". Réponse du prévenu: "Je suis dans la tourmente, je sais que je peux être sur écoute et bientôt interpellé. Alors je protège mon entourage et je les avertis de la situation."
"J’ai tenu à marquer le coup pour sa retraite"
Serge D., qui a succédé à Christian Carpinelli à la tête de la Section des résidents entre 2013 et 2015, a, lui, bénéficié de 5.000 euros de sa part. "J’ai tenu à marquer le coup pour son départ à la retraite et je lui ai versé une première somme en reconnaissance de son aide pour les dossiers des joueurs de l’AS Monaco qu’il a traités dans des délais rapides, justifie Christian Carpinelli. Quand il a travaillé pour le groupe Marzocco, j’avais toujours des dossiers de renouvellement des Belges qui se présentaient, et il a fait le lien avec René [attaché administratif à la section des résidents, lui aussi prévenu, N.D.L.R.]. J’aurais dû aller m’adresser directement au service des résidents. J’étais rentré dans cette facilité de le donner à Serge car ça fonctionnait bien. Pour moi, les dossiers n’étaient pas illégaux." Le président fait, au passage, remarquer le caractère "hors procédure" de la démarche, alors que la pratique courante veut que les résidents soient physiquement présents lors des rendez-vous de renouvellement.
Des abonnements à l’ASM pour donner l’apparence de résider à Monaco
Dans le but de donner corps à leur installation fictive à Monaco, Pierre Salik s’était inscrit à de prestigieux clubs de la Cité-Etat et avait souscrit à 7 abonnements à l’AS Monaco au nom de ses proches, lesquels bénéficiaient en réalité à Christian Carpinelli et ses proches. Dont Serge D., chez qui deux abonnements ont été retrouvés lors d’une perquisition. "Je ne m’en suis jamais servi. Car l’AS Monaco donnait des places et abonnements à la Sûreté publique, dont à une quinzaine de l’État-major avec accès au buffet." Christian Carpinelli avait aussi, par l’entremise de Serge D., donné 1.000 euros à René J. pour ses services rendus sur trois dossiers. S’il est déjà arrivé à ce dernier d’accepter des cadeaux d’administrés au moment des étrennes de Noël, il a néanmoins refusé la somme, vexé. "Selon moi, c’est clair et net, sans ambiguïté, cela est présenté sous l’angle des remerciements pour les dossiers des amis belges de Mr Carpinelli", soutient René J.
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