Janvier 2017, vœux de la Sûreté publique à Monaco. "J’ai été extrêmement choqué et déçu d’apprendre que certains au sein de cette direction avaient failli. En oubliant que leur rôle consiste à servir le bien public, avec responsabilité et équité, sans aucun parti pris, ils ont trahi la confiance placée en eux par leur hiérarchie, jusqu’au plus haut sommet de l’État." À la tribune, le prince Albert II rebondit fermement à l’annonce, deux mois plus tôt, de l’ouverture d’une information judiciaire pour trafic d’influence, corruption, faux et usage de faux, abus de confiance et blanchiment. Dans le viseur, une dizaine d’inculpés dont trois policiers, à commencer par Christian Carpinelli, commissaire principal et chef de la Division de police administrative, en charge de la section des résidents jusqu’en mars 2013.
Ce dernier est alors en détention provisoire à Monaco où il passera dix mois et demi jusqu’à sa sortie sous contrôle judiciaire et avec obligation de soins, en octobre 2017. Christian Carpinelli est alors suspecté d’avoir délivré et renouvelé des cartes de séjour temporaire (renouvelable chaque année) et ordinaire (tous les 3 ans) à des 15 résidents belges et suisse fictifs contre des pots-de-vin.
À partir de ce lundi, et potentiellement jusqu’au 18 juin, il sera jugé avec dix autres inculpés - dont 9 maintenus sous contrôle judiciaire - devant le tribunal correctionnel de Monaco.
Un scandale en Belgique
À l’origine de l’affaire, des écoutes téléphoniques visant en septembre 2016 l’un des proches amis de Christian Carpinelli et directeur d’agence immobilière, Jean-Louis Coletti, dans une tout autre enquête ouverte pour escroquerie.
Officiellement locataires en Principauté, des résidents Belges sous-loueraient en réalité des biens sans les occuper, pour échapper au Fisc dans le plat pays. Des soupçons que l’ex-femme de Christian Carpinelli aurait confirmés à la police. Elle qui avait déposé une plainte, à la même période, contre son ex-mari pour harcèlement et extorsion.
En Belgique, cette fraude massive fait grand bruit et une enquête lancée en 2017 conduira l’État à réclamer 99,6 millions d’euros à des contribuables pour "fraude à la domiciliation". Des transactions pénales venant clore ces procédures les années suivantes.
En 2019, la RTBF révélait ainsi que l’Inspection spéciale des impôts avait ouvert en un an 147 dossiers contre des Belges "simulant" une résidence à Monaco. Et en juillet 2023, le sujet rebondissait encore au Parlement belge, où le député Marco Van Hees incitait son gouvernement "à s’inspirer de ce qu’avait fait le général de Gaulle" pour lutter contre les "fraudeurs" belges "domiciliés fictivement à Monaco".
Système organisé et pacte corruptif?
À Monaco, un système organisé a ainsi été remonté et, selon nos informations, les aveux n’ont pas manqué lors des différentes gardes à vue. Électricité laissée dans les appartements pour faire tourner les compteurs, relevés des boîtes aux lettres organisés, abonnements dans des clubs locaux… Tout aurait été calculé et ficelé par le duo Carpinelli-Coletti pour que les faux résidents évoluent sous les radars de l’administration. Les faits, qui s’étendent entre 2000 et 2016 pour le principal accusé, auraient même perduré quelques mois par l’intermédiaire de deux autres agents de police dont la réelle implication sera à définir, tout comme la mainmise, ou non, de Christian Carpinelli sur leurs agissements. Lui aurait perçu plusieurs dizaines de milliers d’euros par an pour ses services rendus aux Belges.
La crainte du grand déballage
En dehors de la police, huit inculpés prendront place sur le banc de la cour d’appel [la salle du tribunal correctionnel étant trop petite, ndlr]: l’ex-épouse de Christian Carpinelli et sept salariés de l’agence Immobilia 2000 aux niveaux de responsabilité variés. De la standardiste et la secrétaire-comptable suspectées de complicité d’abus de confiance, au gérant sous le coup de huit chefs d’accusation, en passant par un livreur et le chef comptable.
Christian Carpinelli estime être un "exemple, une victime politique" et a toujours clamé vouloir "défendre son honneur". La crainte des dernières années dans les couloirs du tribunal étant que sa détermination emporte tout, et que son témoignage vire au grand déballage de l’ancien n°2 de la police.
Pour se défendre, Christian Carpinelli peut, depuis peu, compter sur Me Pierre-Olivier Sur, l’ancien bâtonnier de Paris qui n’a cessé de fustiger la justice monégasque dans les médias depuis qu’il défend l’ancien administrateur des Biens du Palais princier, Claude Palmero. Avocat qui connaît le dossier de longue date pour avoir défendu par ailleurs deux des résidents belges fictifs.
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