"J’ai 11 ans, on me passe les menottes": des collégiens azuréens visitent le camp des Milles avec un rescapé, son témoignage les glace

En 1942, il avait 9 ans. Albert Barmouth, enfant caché, a raconté son histoire. Face à lui, sur le site mémorial du camp des Milles, six classes de troisième l’ont écouté avec attention.

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Margot Lemoine Publié le 31/05/2025 à 12:01, mis à jour le 31/05/2025 à 12:01
Albert Barmouth face aux collégiens azuréens, le 26 mai 2025 au camp des Milles, à Aix-en-Provence. Photo Margot Lemoine

"Drancy, c’est trois bâtiments. Et au milieu, une baraque en bois, celle des fouilles. Quand j’y entre, une petite fille en sort. Son visage, je l’ai toujours devant les yeux. Il est plein de sang. Elle s’était fait arracher ses boucles d’oreilles." La voix d’Albert Barmouth vacille. Ses yeux s’embuent. Devant lui, deux cents collégiens retiennent leur souffle. Certains baissent la tête.

Lundi 26 mai 2025, veille de la journée nationale de la Résistance, cet homme de 91 ans a livré son histoire à six classes de 3e issues de collèges maralpins. Le conseil départemental des Alpes-Maritimes en est à l’initiative, dans le cadre de son plan d’actions mémorielles pour la citoyenneté. Les élèves ont passé une journée accompagnés de ce grand témoin. Ils ont visité le site mémorial du camp des Milles, à Aix-en-Provence, et participé à des ateliers.

Ancienne tuilerie industrielle, le site a été transformé dès 1939 en camp d’internement. Entre août et septembre 1942, environ 2.000 juifs y ont été déportés vers Auschwitz-Birkenau. Cinq convois partiront ainsi depuis les Milles. Drancy, où Albert a été interné, fut lui aussi un lieu de transit vers l’horreur.

Le "puits de lumière", seule pièce du camp des Milles traversée par les rayons du soleil. Photo Margot Lemoine.

"À l’école, je n’ai plus de copains. À la récré, on ne joue plus avec moi"

Le marathon mémoriel commence. Albert prend la parole, debout, sans micro. Face à lui: des élèves qui écoutent religieusement. Devant eux ne se tient plus un vieil homme mais un enfant, projeté en mai 1942, à Paris. "Une ordonnance impose l’étoile jaune aux juifs, dès 6 ans. Moi, j’en ai 9. Ma mère me la coud sur mon tablier. Je suis fier, j’ai une décoration", raconte-t-il en esquissant un sourire. Son regard se durcit. "À l’école, je n’ai plus de copains. À la récré, on ne joue plus avec moi. On me traite de “sale juif”."

Quelques mois plus tard, sa mère sent le danger approcher. Avec l’aide d’une assistante sociale, elle envoie ses deux fils aînés se cacher dans la Nièvre. "La famille Dionne m’a accueilli dans leur ferme. Nous ne manquions de rien. On avait un potager, des cochons, même des poules", se remémore Albert. Un élève demande: "Et si vous pouviez les revoir?" C’est un Albert pensif qui répond: "Je me mettrais à genoux. Je les embrasserais. Je leur dois la vie."

"On traînait près des cuisines pour mendier un bout de salade pourrie..."

En 1944, la mère et Jojo, le benjamin, sont arrêtés à Paris et envoyés à Drancy. Le nom de ses trois enfants figure sur son passeport. Deux gendarmes viennent chercher les enfants à la ferme. "Le 22 mars 1944, j’ai 11 ans et on me passe les menottes. Madame Dionne est devenue folle. Elle hurlait: “Mais vous n’avez pas honte?”", mime-t-il avec une justesse qui fait sourire les élèves. Le rire fuse, bref. Il sait qu’il doit détendre l’atmosphère. La suite est bien plus sombre.

Albert Barmouth, enfant caché pendant la seconde guerre mondiale, au camp des Milles, le 26 mai 2025. Photo Margot Lemoine.

Le lendemain, Albert arrive à Drancy. Il y voit cette petite fille, visage en sang. "La pire journée de ma vie, je crois", frissonne-t-il. La famille est restée douze jours dans le camp de Drancy.

Une élève hésite, puis questionne: "Qu’est-ce qui vous a fait le plus souffrir?" "La faim, répond Albert du tac au tac. On traînait près des cuisines pour mendier un bout de salade pourrie. Depuis je ne jette plus rien, même pas un morceau de pain."

S’ensuit un périple de neuf jours, en train, jusqu’en Turquie. Deux ans d’exil. En 1946, ils rentrent en France. Sa mère est gravement malade, diagnostiquée tuberculeuse. Les frères sont placés à l’orphelinat de Sainte-Oise.

"J’arrive au bout du chemin. La mémoire revient à la jeunesse"

Interrogé sur les nazis, Albert répond: "Certains disent qu’ils se comportaient comme des bêtes sauvages. Je leur réponds qu’il ne faut pas insulter les bêtes. Elles, elles tuent pour survivre. Eux, ils tuaient des bébés pour rien."

L’assistance suspendue à ses mots, Albert Barmouth conclut: "Vous êtes les relais de la mémoire. Il n’existe qu’une seule race, la race humaine. Embrassez les différences. Ne rejetez jamais l’autre."

Il marque une pause, puis lâche dans un souffle: "Les survivants disparaissent. J’arrive au bout du chemin. La mémoire revient donc à la jeunesse."

Ce qu'elles en ont pensé

Louna, 14 ans, collège Auguste-Blanqui de Puget-Théniers: "J’ai eu la chance d’entendre un témoignage bouleversant, à la fois choquant et captivant. Ce qui m’a marqué, c’est le choix courageux de sa mère. Elle a dû vivre un déchirement en envoyant ses enfants se cacher. Je vais en parler autour de moi parce que c’est important. Il est essentiel de comprendre et de continuer mon devoir envers ma patrie. On ne salira pas ce qu’ont fait les anciens."

Callie, 14 ans, collège Auguste-Blanqui de Puget-Théniers: "Rencontrer un témoin est devenu rare. Ils sont de moins en moins nombreux, alors pouvoir les écouter est un privilège. Ce qu’il nous a raconté m’a touchée, surtout quand il a parlé du couple qui l’a hébergé. Nous assimilons mieux qu’en cours. Il nous a transmis des valeurs essentielles: le respect, la tolérance, l’humanité. Et surtout, ne jamais laisser place au racisme ou à l’antisémitisme."

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