"Il s’est retrouvé dans une machine à laver": quinze ans après les inondations meurtrières en Dracénie, le père d'une victime témoigne
Les inondations du 15 juin 2010 ont causé la mort de 27 personnes en Dracénie et dans l'est-Var. Parmi elles, Franck Langelotti et Jérémy Fabrègue. Claude, père de ce dernier, est revenu sur les lieux du drame, à Trans-en-Provence.
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Carola CzerneckiPublié le 15/06/2025 à 08:15, mis à jour le 19/06/2025 à 10:21
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Aujourd'hui paisible , la Nartuby déchainée peut tout emporter sur son passage . Photo Carola Czernecki
Le regard tourné vers la cascade de la Nartuby, Claude Fabrègue, 71 ans, observe le débit de l’eau. "Elle est blanche la rivière, je la connais parfaitement. Quand j’étais gamin, je venais pour l’ouverture de la pêche à la truite", se souvient ce passionné de pêche et de chasse.
Mais depuis 2010, l’homme, pourtant natif de Trans-en-Provence, n’y met les pieds que très rarement. "Je passe au village par nécessité, assure l’ancien technicien en œnologie domicilié à Draguignan. Ça me rappelle de trop mauvais souvenirs."
Il revient sur cette nuit tragique de juin 2010, ou son fils Jérémy, 24 ans, a perdu la vie, emporté par une Nartuby en furie. Il rentrait à la maison avec son collègue de travail Franck Langelotti, 40 ans, également disparu.
Le chaos en Dracénie
"Mon fils travaillait pour une société de transport de carburant au Muy. Ce jour-là, il était en congés. Mais on lui a demandé de suivre un stage sur la sécurité à Rognac, dans les Bouches-du-Rhône", raconte Claude Fabrègue.
De retour en Dracénie en fin de journée, Jérémy et Franck s’arrêtent au dépôt du Muy, aux lieudits Les Ferrières, en attendant que la situation se calme.
Car sur les communes environnantes, en ce début de soirée, c’est le chaos.
Les lignes téléphoniques sont coupées, et les deux hommes injoignables. "On retrouvera son téléphone… Au bord de la rivière", se souvient tristement le père de Jérémy.
Les deux employés décident de quitter l’entrepôt pour rejoindre Draguignan vers minuit, à bord d’une Peugeot 206 noire louée par l’entreprise.
Arrivés à Trans-en-Provence, ils tentent de se diriger vers la cité du Dragon, et se retrouvent très vite piégés. "Ils ont vraisemblablement traversé le village, mais il n’y avait personne pour les en empêcher!", déplore le retraité.
Selon des témoignages, la voiture des deux hommes se serait retrouvée au niveau du centre de loisirs, non loin du Pont Vieux et de la cascade.
Des jeunes présents sur les lieux ont fait signe aux deux passagers de ne pas avancer… En vain.
De nuit, dans une eau boueuse, il s’est retrouvé dans une machine à laver
"Comme ils voulaient rentrer, ils ont cherché des solutions… Mais il ne fallait pas venir par là!", lâche le Dracénois.
Le véhicule s’est alors soulevé et a été emporté par les eaux vers le chemin du Calant, terminant sa course à plusieurs dizaines de mètres de là, dans les gorges de la Nartuby.
Le père de Jérémy ose à peine imaginer l’instant: "De nuit, dans une eau boueuse, il s’est retrouvé dans une machine à laver, contextualise-t-il. Avec mon épouse, nous l’avons attendu toute la nuit. On a compris le matin qu’il y avait eu un problème."
Le corps de Franck Langelotti est retrouvé le lendemain. Celui de Jérémy a été découvert deux jours après, dans la rivière, en direction de La Motte.
Et la suite ne s’invente pas: "Ça a été laborieux, quand ça vous arrive, vous ne savez plus si vous avez envie de vivre… Ou pas, témoigne Claude, les yeux larmoyants. Heureusement qu’on a nos trois petits-enfants, on ne peut pas revenir en arrière."
Chaque année, une réception autour du lavoir rend hommage aux victimes. "Sa bande d’amis est toujours présente, mais mon épouse, elle, n’est jamais venue", livre le retraité.
Un "lâcher de ballons" viendra saluer la mémoire de Jérémy, ce dimanche 15 juin, sur les lieux du drame. "Il aurait fêté ses 40 ans en septembre prochain", ajoute Claude Fabrègue.
Une plaque commémorative près du lavoir rend hommage aux victimes du 15 juin 2010, sur la commune de Trans-en-Provence. Photo Carola Czernecki .
Une plainte… et un non-lieu
Sur la plaque commémorative fixée sur le mur de la pharmacie du village, les noms des victimes des intempéries sont gravés dans le marbre.
Seul un espace reste vacant. "Je n’ai pas souhaité y voir inscrit le nom de mon fils", livre Claude Fabrègue.
"La première responsable de sa mort, c’est la mairie! J’ai de la haine pour ces gens-là, je ne l’oublierai jamais. Ce sont des sal****!", lance-t-il.
Ces gens-là, ce sont les élus de l’époque, et plus particulièrement le maire de la commune contre qui Claude Fabrègue a porté plainte pour homicide.
Trois ans après, la procédure mènera à un non-lieu. "Ils se sont tous protégés!", lâche le Dracénois, membre de l’Association des sinistrés du 15 juin (ADS 15) (1).
Des services de sécurité absents ?
L’homme dénonce le manque de protection dans le village le soir du drame, alors que les "systèmes d’alertes n’existaient pas":"Vers 17 heures ce soir-là, je rentrais chez moi et l’accès était bloqué. Je suis passé par la route militaire", se souvient-il.
Mais la nuit tombée, plus personne sur les lieux, selon ses dires: "Excepté un policier municipal, les services de sécurité pour interdire l’accès étaient totalement absents."
Sans parler de l’état de la rivière, en 2010: "Un cèdre de trois cents ans est parti à la rivière. On n’avait jamais vu ça!, s’exclame le Varois. Un entretien régulier aurait probablement suffi à éviter la catastrophe. Elle était violente, certes, mais on l’a laissée passer."
1. Présidée par Khémissi Makabrou, l’ADS 15 a été créée à la suite de la catastrophe de 2010.
Elle a contribué à l’étude de travaux en cours sur la rivière.
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