80 ans de Nice-Matin: Éliane Maunoury, première femme parmi les cadres de la rédaction

Chaque samedi, nous vous proposons un focus sur un événement ou une personnalité qui a marqué l’histoire de "Nice-Matin". Aujourd’hui: Éliane Maunoury a été la première femme cadre dans une rédaction essentiellement masculine.

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Lionel Paoli Publié le 26/04/2025 à 09:10, mis à jour le 25/06/2025 à 16:43
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Au début des années quatre-vingt, Éliane Maunoury a été la première femme nommée cadre au sein de la rédaction de "Nice-Matin". Photo Lionel Paoli

"Que faisiez-vous, Mademoiselle, au mois de mai dernier ?" La question semble incongrue, voire déplacée. Mais le sexagénaire qui la formule d’un ton sec, perché sur son fauteuil surélevé, s’embarrasse rarement de circonlocutions. Éliane Maunoury comprend que son avenir dépend de sa réponse.

"Nous étions le 1er juillet 1968, explique-t-elle. J’étais en 2e année de Sup de Co et je candidatais pour un stage d’été à Nice-Matin. On m’a conduite dans le bureau de Michel Bavastro. Ce que le p.-d.g. du journal voulait savoir, c’est si je comptais parmi les étudiants qui avaient défilé sur l’avenue Jean-Médecin, au printemps, en hurlant ‘‘Bavastro au poteau’’ ! Je l’ai rassuré. Dans mon école, personne n’avait fait grève."

Cette précision apportée, la conversation prend un tour plus routinier.

"Mais je sentais qu’un autre truc l’ennuyait, sourit Éliane. J’ai appris plus tard de quoi il s’agissait : j’étais une fille ! Pour lui, dans un journal, c’était forcément une source de problèmes."

"Avant de rentrer rédiger, ils faisaient la tournée des bars"

À cette époque, la rédaction ne compte que deux femmes : Hélène Vuichard, épouse du Grand reporter Jean-Claude Vérots, et Arlette Sayac. "Plus brillante qu’Arlette, c’était difficile à imaginer, soupire Éliane. Elle écrivait magnifiquement bien. En outre, elle était d’une beauté magnétique !"

La stagiaire n’est pas admise d’emblée dans le cénacle des journalistes. Elle passe ses trois premières semaines au secrétariat du "patron".

"Une dame s’occupait du personnel, une autre des ventes. La troisième, Geneviève Marconetto, avait le titre de secrétaire générale de l’administration. Tous les matins, elles arrivaient à 8 h 45 précises. Michel Bavastro ouvrait les portes de son bureau à 8 h 50 pétantes et donnait ses ordres. Immédiatement, c’était comme une ruche ! Ça partait dans tous les sens ! Elles vivaient dans l’angoisse de déplaire ou de faire une bourde. C’était… effarant."

Éliane Maunoury passe ensuite une quinzaine de jours au service des ventes, sous la tutelle bienveillante de Max Bavastro (1), avant de rejoindre la rédaction locale. "J’y ai rencontré des gens formidables. Outre Arlette, qui m’a prise sous son aile, j’ai croisé Daniel Provence et Paul-François Leonetti (2) qui s’occupaient respectivement du tribunal et des faits divers. Avant de rentrer rédiger leurs papiers, ils faisaient la tournée des bars. Ils arrivaient parfois complètement bourrés, mais leurs articles étaient parfaits. C’est un mystère que la science, je pense, serait bien en peine d’éclaircir…"

Une offre mystérieuse

À l’issue de son stage, Geneviève Marconetto lui propose un contrat au secrétariat. Elle refuse. "Je ne voulais pas entrer dans un service où tout le monde tremblait du matin au soir !"

Douze mois s’écoulent. Alors qu’elle achève ses études, la jeune femme tombe sur une offre d’emploi mystérieuse : "Grande entreprise de la Côte d’Azur recherche diplômés de l’université". Elle candidate. Deux jours plus tard, un coursier frappe à sa porte et lui demande de se présenter d’urgence… à Nice-Matin.

"J’ai été embauchée le 1er août 1969, avec pour mission de créer un service de documentation, raconte Éliane Maunoury. J’y suis resté jusqu’à la fin de l’année 1972, en rongeant mon frein. Dès que j’en avais l’occasion, je proposais des articles. Certains étaient publiés. Finalement, le 1er janvier 1973, j’ai officiellement intégré la rédaction. D’abord à la locale de Nice, puis à L’Espoir Hebdo."

Désormais, on l’appelle "Maman"

En 1977, elle est chargée de la mise en page des éditions du Var. Puis, au début des années quatre-vingt, elle est bombardée adjointe du directeur départemental. "J’étais la première femme cadre chez les journalistes, sourit-elle. Cela paraît incroyable de nos jours, mais il y a quarante ans, le ‘‘Vieux’’ ne tolérait pas plus d’une rédactrice par agence et, bien sûr, aucune parmi les chefs de service. Toujours sous le même prétexte : éviter les ‘‘problèmes’’... Ma promotion a fait grincer quelques dentiers."

Quelque chose venait de basculer, de façon irrémédiable, dans la vénérable entreprise de presse azuréenne.

Au début des années 2000, nommée cheffe des Informations générales, Éliane Maunoury – au centre – faisait encore figure d’exception parmi les cadres de la rédaction. Photo DR.

De juin 1990 à novembre 1996, Éliane Maunoury est directrice adjointe de Corse-Matin. "Une période intense, se souvient-elle, car l’édition concurrente publiée par Le Provençal, La Corse, menait une offensive pour grignoter des parts de marché. Ça a été une guerre… et nous l’avons gagnée."

C’est au cours de cette période que la quadragénaire hérite d’un surnom inattendu : "Maman".

"On m’avait glissé que les Corses respectaient les mères, lâche la journaliste. Ai-je inconsciemment adapté mon attitude pour coller à cette image ? Je pense plutôt que mon empathie naturelle a été davantage mise à contribution. Je suis donc devenue ‘‘Maman’’. Et je le suis restée jusqu’à ma retraite !"

Éliane Maunoury obtient le grade de chef de service en mars 2000. À la tête des Informations générales, elle donne la pleine mesure de ses capacités.

Elle quitte le journal le 31 décembre 2004, non sans avoir eu la satisfaction de voir "monter dans l’encadrement", dans son sillage, "une nouvelle génération de femmes talentueuses".

Des journalistes pour lesquelles le fait de ne pas être un homme, enfin, n’était plus un handicap.

1. Le jeune frère de Michel Bavastro.
2. Père du maire d’Antibes Jean Leonetti.

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