"Un membre d'un peuple autochtone vient à Monaco et c'est historique": rencontre avec deux messagers d'espoir au Green Shift Festival

Présent à Monaco pour le Green Shift Festival, Jorge Quilaqueo, guérisseur Mapuche, et Sabah Rahmani, journaliste et anthropologue, délivrent un message d’espoir et de reconnexion au vivant porté par les peuples autochtones.

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Propos recueillis par Loris CHAIR Publié le 07/06/2024 à 10:25, mis à jour le 07/06/2024 à 12:06
Jorge Quilaqueo et Sabah Rahmani avant la cérémonie de l’eau et la table ronde organisée par la Fondation Prince Albert II. Photo Dylan Meiffret

Ce mercredi s’est ouverte la deuxième édition du Green Shift Festival. Pour l’occasion, nous avons rencontré deux des intervenants programmés pour la soirée d’ouverture, Sabah Rahmani, journaliste anthropologue, et Jorge Quilaqueo, machi (homme-médecine, guérisseur) originaire et représentant du peuple autochtone des Mapuche du Chili. Ils étaient présents pour participer à une table ronde autour de la reconnexion avec le vivant.

Jorge Quilaqueo est aussi venu pour procéder à une cérémonie de l’eau, dont le déroulé consiste à unir différentes eaux (de rivière, de pluie, de montagne, de volcan, etc.) en parallèle d’incantations, avant de déposer ce mélange dans la mer, en l’occurrence la Méditerranée. Cette présence est d’autant plus symbolique que la Grande Bleue est la mer la plus polluée du monde (1,25 million de fragments de microplastiques par km2, selon WWF) en plus d’être le théâtre de nombreux drames humains.

Ensemble, ils ont répondu aux questions sur leur présence à Monaco et sur le rapport des différents peuples avec la nature.

Avec l’expertise et l’expérience que vous avez auprès des peuples autochtones, en particulier Mapuche, quelle est leur relation avec la nature et dans quelle mesure est-elle transposable dans nos sociétés occidentales?

Sabah Rahmani: L’idée est de partir d’une relation d’échange et non de prédation et d’exploitation avec la nature. Dans leur culture, cette relation est équilibrée. Ils considèrent que tout le règne du vivant est, par définition, vivant, c’est-à-dire que le règne minéral, végétal, animal et aussi cosmique existe ensemble. Les peuples autochtones ne vont pas exploiter toutes les ressources, ils vont prendre juste le nécessaire et faire une offrande pour remercier la nature de leur avoir donné de quoi survivre. De notre côté, on peut changer notre conscience par rapport à la nature dans notre industrie et avoir une relation de respect et pas de surexploitation. Avant de prélever, penser à l’équilibre en changeant notre conscience.

En quoi diffèrent nos visions du rapport à la nature, que l’on soit issu d’un peuple autochtone ou d’une société industrialisée?

Jorge Quilaqueo: Nous [les Mapuche], nous sommes une communauté, tout est différent, on travaille collectivement et la structure c’est la réciprocité, c’est une structure solidaire et ancestrale en lien avec la famille, les clans et les villages. Nous voyons le système occidental comme très individualiste et égoïste, mais ce qui est triste c’est que ce système s’est transformé en un système destructeur. À l’inverse, nous préservons les forêts et les arbres millénaires, nous prenons soin de nos rivières et nos sources qui sont connectées aux plaques souterraines de l’Antarctique. Depuis tout petit, nous recevons une éducation qui respecte la nature et notre communauté lutte contre des grandes multinationales qui détruisent nos forêts et nos rivières.

Vous prenez souvent la parole pour transmettre votre message, comment est-il reçu par les différents publics et en particulier les plus jeunes?

S.R.: Depuis 5-7 ans, j’ai remarqué une évolution avec une vraie demande des citoyens d’une reconnexion à la nature. Que ce soit les adultes ou les jeunes. Ce qui est intéressant ce sont les questions des enfants qui ont beaucoup moins de tabous et sont beaucoup plus ouverts que les adultes. Le but des prises de parole n’est pas de dire qu’il faut ressembler aux peuples autochtones mais de s’inspirer d’eux pour faire évoluer notre rapport à la nature.

J.Q.: C’est sans doute la première fois qu’un machi du peuple Mapuche vient ici à Monaco. C’est donc un jour historique pour le public. Dans tous les lieux où nous sommes allés, les gens étaient très émus des cérémonies effectuées. Quant aux jeunes, on les appelle la génération "digitale". Ce sont eux qui ont le plus besoin de la parole en lien avec la nature. Ils ne l’ont pas au quotidien. Quand je parle avec les jeunes, ils sentent que c’est important d’écouter ces paroles anciennes d’un peuple qui existe depuis plus 25.000 ans.

Il faut agir pour atteindre un équilibre

Comment allier développement et reconnexion avec la nature quand certains peuples sont d’ores et déjà touchés par la crise climatique et étant bien souvent les plus défavorisés?

J.Q.: Nous devons tous faire notre part, tel un colibri qui agit sur des points très précis, pour ensuite atteindre des échelles plus grandes. Il faut agir pour atteindre un équilibre et que la nature agisse en réciprocité avec les humains.
S.R.: Il faut voir pourquoi ces peuples sont en grande souffrance, peut-être ce sont les conséquences d’un système destructeur. On doit changer notre rapport à la nature, mais pour le faire il faut changer nos consciences, nos regards. Comme on dit, ‘‘Bien penser, bien dire, bien faire’’. Être au service du vivant et des autres, c’est se rendre service à soi-même. Le développement doit aller dans ce sens.

L’évolution n’est pas une régression

Pourquoi être présents et diffuser votre message dans une région du monde très urbanisée comme Monaco et plus généralement la Côte d’Azur?

S.R.: Il est essentiel de toucher et sensibiliser tous les publics car la nature concerne tout le monde. Monaco est certes un symbole de ce système destructeur mais en parallèle on voit que beaucoup de très belles actions sont menées, notamment par la Fondation Prince Albert II. Ce paradoxe montre que rien n’est perdu et que tout peut être modifié. L’évolution, ce n’est pas une régression. C’est là que l’inventivité humaine doit se montrer moderne et respectueuse.
J.Q.: Ce paradoxe a beaucoup de sens. C’est comme les fleurs qui poussent dans les ordures, elles peuvent résister. Chez nous la flor de loto est une plante médicinale. Comment une fleur peut vivre et survivre alors que tout est contaminé autour, en plus d’avoir la sagesse de guérir?

Ce qu’il faut savoir...

Jorge Quilaqueo est machi au sein de son peuple Mapuche du Chili. Il parcourt l’Europe et la France depuis plusieurs années pour délivrer un message de sensibilisation sur les dangers du changement climatique.

Sabah Rahmani est journaliste et anthropologue. Elle travaille en lien avec des communautés et leaders autochtones depuis 27 ans. Elle accompagne ces derniers lors de prises de parole en parallèle de diriger la collection Voix de la Terre chez Actes Sud. Elle a également écrit un livre sur le sujet en 2019, intitulé Paroles des peuples racines.

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