Cela fait plus de 35 ans que Georges Malbrunot suit l’actualité, souvent dramatique, du Moyen-Orient. Pendant près de dix ans, il a même vécu dans cette partie du monde. Que ce soit pour l’AFP, La Croix, Europe 1… et aujourd’hui Le Figaro, il a tout vécu ou presque des guerres et autres soubresauts qui marquent les relations entre Israël et ses voisins arabes. Alors forcément, le regard qu’il porte sur la crise actuelle est des plus éclairants.
Avez-vous été surpris par l’ampleur, mais aussi l’audace de l’attaque du Hamas du 7 octobre?
J’ai effectivement été surpris par l’ampleur inédite de cette attaque et son caractère absolument barbare. À l’époque où j’habitais au Proche-Orient, entre 1994 et 2003, le Hamas, alors dirigé par le cheikh Yassine, perpétrait déjà des attentats, notamment contre des bus, mais jamais d’une telle ampleur. D’un autre côté, j’ai souvent dit à mes amis israéliens que, sans vision à moyen terme sur la question palestinienne, ils prenaient le risque de créer un Hezbollah bis à leur frontière sud. Que des esprits mal intentionnés, aidés par des puissances mal intentionnées, s’acharnaient à améliorer la capacité d’action du Hamas et que, tôt ou tard, la cocotte-minute qu’est la bande de Gaza sauterait.
La riposte israélienne est violente. Comment voyez-vous la fin de cette opération militaire, une fois que le Hamas aura été détruit, et alors qu’Israël répète à l’envi qu’il n’occupera pas Gaza?
Pour l’heure, personne ne sait y répondre car il n’existe pas de plan. Mis à part le fait que je doute qu’Israël arrive à détruire complètement les structures du Hamas, pour la simple et bonne raison qu’il est également présent en Cisjordanie, en Jordanie et dans les camps de réfugiés au Liban, la question de qui va gérer la bande de Gaza se pose. Certains verraient bien un retour de l’Égypte qui l’a déjà administrée de 1948 à 1967, mais l’Égypte ne veut pas récupérer la patate chaude. Et ce n’est pas à elle de régler le problème palestinien. D’autres évoquent le retour de l’autorité palestinienne, mais elle est en déliquescence et a perdu quasiment toute crédibilité. Quant à une éventuelle occupation israélienne, outre le fait que l’État hébreu ne le souhaite pas, pas plus que son allié américain, l’Iran et le Hezbollah en ont fait une ligne rouge.
Si les pays arabes condamnent la violence israélienne, aucun n’est prêt à accueillir des réfugiés palestiniens. Comment l’expliquer?
Pour régler le problème palestinien, certains responsables politiques israéliens ont évoqué la solution de déplacer de force les Palestiniens en Égypte ou en Jordanie. Je le répète: ce n’est pas aux pays arabes de régler la question palestinienne. La solution passe obligatoirement par un partage de la terre. Il faut deux états. En croyant que le conflit entre Palestiniens et Israéliens resterait de basse intensité, la communauté internationale a malheureusement laissé pourrir la situation et ça nous revient aujourd’hui comme un boomerang.
Craignez-vous un embrasement de toute la région?
La menace existe, mais on a vu que ni l’Iran, ni le Hezbollah n’en ont envie. Ils n’ont rien à y gagner. Et que ce soit Hassan Nasrallah, qui s’est montré très attentiste, ou Téhéran, le message envoyé à Tel-Aviv est le suivant: vos actions détermineront nos actions. Et puis, le Hamas et le Hezbollah n’ont pas forcément le même agenda. Il ne faut pas oublier qu’ils se sont affrontés pendant plusieurs années en Syrie.
Vous qui avez été otage, les conditions pour une libération rapide des otages du Hamas sont-elles réunies?
Même si quelques-uns ont déjà été libérés, il ne faut pas s’attendre à une libération rapide du reste des otages. Le Hamas a une carte très forte entre les mains et compte bien l’utiliser pour obtenir la libération des prisonniers palestiniens. Mais les négociations, avec le Qatar comme intermédiaire, existent. Le chef du Mossad, service de renseignement israélien, était d’ailleurs récemment à Doha pour discuter. Pour rester optimiste, on sait qu’un otage mort n’a pas de valeur. Mais avec l’opération militaire israélienne dans la bande de Gaza, il n’est pas impossible que des otages meurent dans les bombardements.
Le Qatar, que vous avez souvent critiqué, semble jouer un rôle central dans ces négociations. Quelles sont ses chances de succès?
Le Qatar peut se montrer efficace dans les négociations menées actuellement pour la libération des otages retenus par le Hamas car il parle à des gens auxquels nombre de démocraties occidentales refusent de parler. Joe Biden et Emmanuel Macron parlent au Qatar qui transmet au Hamas. Les canaux sont ouverts. Ce rôle central du Qatar confirme le double jeu de cette pétromonarchie qui, tout en cherchant à imposer son soft power, entretient des liens discutables avec les courants islamistes et certains mouvements terroristes.
Cette dépendance au Qatar est-elle une nouvelle preuve de ce que vous appelez le "déclassement français"?
Le déclassement de la France, notamment au Moyen-Orient, vient surtout de son incapacité à avoir une position équilibrée. Emmanuel Macron a eu raison de condamner immédiatement l’attaque du 7 octobre dernier perpétrée par le Hamas, mais le président de la République aurait dû dans le même temps rappeler que si Israël a le droit de se défendre, il doit aussi respecter le droit international. Quant à son idée, complètement farfelue et irréaliste, digne de l’administration de George W. Bush après le 11 septembre, d’étendre la coalition anti-daesh à la lutte contre le Hamas, elle démontre sa connaissance moins fine de la réalité du terrain.
On le voit avec l’augmentation des actes antisémites: le conflit entre le Hamas et Israël a été importé en France. Cela représente-t-il un réel danger pour l’unité nationale?
On constate en tout cas un renforcement de la polarisation entre ceux qui défendent Israël et les partisans de la cause palestinienne. Il règne aujourd’hui en France, pays qui concentre les communautés juive et musulmane les plus importantes d’Europe, une atmosphère extrêmement délétère en lien avec la situation au Proche-Orient. Et en jouant trop souvent sur l’émotion, au lieu de prendre du recul pour expliquer comment on en est arrivé là, les médias ont leur part de responsabilité.
1. Organisées par la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques et la Fondation pour la Recherche stratégique, ces deuxièmes Rencontres stratégiques de la Méditerranée se dérouleront au palais Neptune de Toulon les 9 et 10 novembre. Inscriptions préalables sur le lien suivant: https://billetto.fr/e/les-rencontres-strategiques-de-la-mediterranee-strategic-mediterranean-dialogue-edition-2023-billets-785434
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