80 ans de "Nice-Matin" : Michel Bavastro, le "Cobra" vu par ses employés

Chaque samedi, nous vous proposons un focus sur un événement ou une personnalité qui a marqué l’histoire de "Nice-Matin". Aujourd’hui : patron emblématique du journal de 1949 à 1996, Michel Bavastro suscitait autant de craintes que d’admiration chez ses salariés.

Article réservé aux abonnés
Lionel Paoli Publié le 25/05/2025 à 09:10, mis à jour le 25/06/2025 à 16:43
recit
Maître après Dieu à la barre de son journal, Michel Bavastro inspirait la crainte, mais se souciait du bien-être de ses employés. Photo DR / archives N.-M.

"Vous vous souvenez, dans le film Le Jouet (1), du personnage interprété par Michel Bouquet ? Et cette scène extraordinaire où, directeur tout-puissant d’un grand journal, il demande à son rédacteur en chef, tétanisé, de baisser son pantalon ? Eh bien, la première fois que je l’ai vu, j’ai immédiatement pensé à Michel Bavastro."

L’éclat de rire de cet ancien cadre tonne comme un tonnerre. Il reprend, l’air mutin : "J’ai appris plus tard que l’auteur du scénario s’était inspiré de l’avionneur Marcel Dassault. Pourtant… L’attitude distante, l’autorité glacée, c’était exactement ça !"

Pour ses employés, il était "le Président", le "patron", voire – mezza voce – le "Vieux" ou "le Cobra". "C’était un personnage complexe, se souvient Maurice Huleu, grand reporter à Nice-Matin pendant quarante ans. Il terrorisait tout le monde ! Moi, il m’impressionnait. Avec lui, la foudre pouvait tomber brutalement. Aucune faute, aucun écart n’était toléré. Mais ce canard était ‘‘son’’ journal et il connaissait tous ses salariés. Si l’un d’eux était dans la gêne, s’il avait des difficultés financières, s’il était frappé par un deuil ou des problèmes de santé, il était toujours présent – avec un mot ou un chèque."

Des notes signées à l’encre verte

Ces deux facettes se percutent dans tous les témoignages. Côté pile, chacun évoque – avec un frisson rétrospectif – les notes de service signées à l’encre verte, sa marque de fabrique.

"J’ai reçu l’une de ces notes me priant instamment de justifier le fait que les ventes dans la ville de Vence avaient baissé de… sept exemplaires, sourit François Rosso, ancien chef d’agence. Aujourd’hui, cela fait sourire. Mais à l’époque, personne ne rigolait."

"À Cannes, un certain directeur se levait et mettait sa veste lorsqu’il avait Michel Bavastro au téléphone, jure Pascale Primi, ex-localière dans la cité des festivals. Un jour, le patron passe et m’interroge sur la situation politique. Je commence à lui répondre : ‘‘Je pense que…’’ Il me coupe aussi sec : ‘‘Je ne vous demande pas ce que vous pensez, mais ce qu’il en est !’’"

Au siège de Nice-Matin, route de Grenoble, les couloirs se vidaient sur son passage. Les convocations dans son bureau étaient redoutées. "On ne savait jamais ce qui nous attendait, résume un ancien journaliste. Parfois, on prenait une soufflante du président-directeur général, juste parce qu’on avait utilisé un mot inapproprié dans un article !"

"Il avait horreur des hommes barbus et des femmes en pantalon"

Le p.-d.g. attachait une importance capitale à la présentation. Pas question de se risquer devant lui en chemise – encore moins en tee-shirt. Son credo : "Une cravate n’étrangle pas le talent."

"Il y avait toujours une veste accrochée au portemanteau de la rédaction locale de Nice, témoigne Christine Rinaudo. Elle était saisie au vol par le rédacteur qui filait vers la direction générale comme on se rend à l’abattoir. Je me suis toujours demandé si le Vieux se rendait compte que les journalistes qu’il convoquait étaient tous habillés de la même façon ?"

"Michel Bavastro avait horreur des hommes barbus et des femmes en pantalon, poursuit la journaliste azuréenne. À Cannes, vers la fin des années quatre-vingt, j’étais en jean. Il m’a regardée en Z, de la tête aux pieds, puis il s’est enfermé avec le chef d’agence. Ce dernier m’a fait comprendre, peu après, qu’il serait appréciable que je vienne en jupe ‘‘de temps en temps’’."

Côté face, une autre image se dessine. Celle d’un patron qui se sentait personnellement concerné par les joies et les peines de chacun de ses employés.

Éliane Maunoury, qui a passé la totalité de sa carrière au siège de Nice-Matin, évoque une période difficile de sa vie marquée par un divorce. "Bavastro était au courant, glisse-t-elle comme une évidence. Un jour, il s’est présenté devant moi, il s’est penché et m’a dit à mi-voix : ‘‘Vous êtes jolie, vous êtes intelligente ; vous rebondirez !’’"

Quelques années plus tard, la journaliste se trouve dans l’ascenseur aux côtés du patron. "Mon père était en fin de vie, raconte-t-elle. Je revenais de l’hôpital où je l’avais trouvé ligoté sur son lit. J’étais choquée ! J’imagine que mon trouble se lisait sur mon visage. Michel Bavastro m’a tout de suite demandé si j’avais des soucis. Je lui ai tout expliqué ; il était hors de lui. Il m’a dit : ‘‘Je m’en occupe’’. J’imagine qu’il a dû passer un ou deux coups de fil… Le lendemain matin, mon père était détaché."

Dans la mémoire des anciens salariés, de tels récits abondent, presque aussi nombreux que les bouquets de fleurs envoyés par "le Vieux" pour une naissance, un mariage ou un deuil.

Les archives de la DRH contiennent encore d’anciens courriers, adressés à "Monsieur Bavastro", dans lesquels des familles le prient d’user de son "autorité morale" afin d’éviter qu’un salarié ne fasse une "bêtise".

"Aujourd’hui, ce genre d’attitude paternaliste paraîtrait intrusive et inacceptable, observe François Rosso. En ce temps-là, cela traduisait tout bonnement le regard d’un homme qui considérait le personnel de son journal comme les membres d’une famille. C’est le reflet d’une époque. On peut la regretter ou non ; ce qui est certain, c’est que ce temps est révolu. »


1. Premier film réalisé par Francis Veber en 1976 avec, notamment, Pierre Richard.

François Rosso et Pascale Primi, anciens journalistes, se souviennent du "Patron". Photo Patrice Lapoirie.

“Rhôooooooooo!”

Vous utilisez un AdBlock?! :)

Vous pouvez le désactiver pour soutenir la rédaction du groupe Nice-Matin qui travaille tous les jours pour vous délivrer une information de qualité et vous raconter l'actualité de la Côte d'Azur

Et nous, on s'engage à réduire les formats publicitaires ressentis comme intrusifs.

Si vous souhaitez conserver votre Adblock vous pouvez regarder une seule publicité vidéo afin de débloquer l'accès au site lors de votre session

Monaco-Matin

Un cookie pour nous soutenir

Nous avons besoin de vos cookies pour vous offrir une expérience de lecture optimale et vous proposer des publicités personnalisées.

Accepter les cookies, c’est permettre grâce aux revenus complémentaires de soutenir le travail de nos 180 journalistes qui veillent au quotidien à vous offrir une information de qualité et diversifiée. Ainsi, vous pourrez accéder librement au site.

Vous pouvez choisir de refuser les cookies en vous connectant ou en vous abonnant.