"80 ans après, je fais toujours des cauchemars": elle a survécu aux deux bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki
Dernière survivante des deux bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki, Kinuyo Fukui nous a accordé une interview. Quatre-vingts ans après les faits, elle raconte l’indicible.
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P.-L. Pagès avec Takashima TsutomuPublié le 06/08/2025 à 04:05, mis à jour le 06/08/2025 à 04:05
interview
À 94 ans, Kinuyo Fukui n’a rien oublié des terribles journées des 6 et 9 août 1945 lorsque les États-Unis ont largué une bombe atomique respectivement sur Hiroshima puis Nagasaki.Photo DR
Si elle n’a pas quitté l’île de Honshu, Kinuyo Fukui habite aujourd’hui dans la ville d’Aomori. À l’extrémité nord de la grande île japonaise. Bien loin de la commune martyre d’Hiroshima. À 94 ans, la vieille dame, lunettes rondes et cheveux gris attachés en arrière, est la dernière survivante des deux bombardements atomiques qui ont poussé l’Empire du Soleil levant à capituler le 2 septembre 1945. Quatre-vingts ans plus tard, celle qui n’était qu’une adolescente lorsque les villes d’Hiroshima et Nagasaki ont été en partie rasées n’a rien oublié de ces deux effroyables journées.
Racontez-nous ce que vous avez vécu le 6 août 1945 à Hiroshima.
Le matin du 6 août 1945, on a entendu retentir les sirènes d’alerte. Ce n’était pas la première fois, mais comme jusqu’à présent Hiroshima n’avait jamais été prise pour cible, tout le monde a cru que le ou les avions américains allaient continuer leur route pour bombarder un port militaire situé plus loin. Et puis j’ai vu une grande lumière. Située à 1,8km de l’épicentre, la maison de deux étages, une construction en bois traditionnelle, que nous habitions avec mon père a été soufflée. C’est mon frère de 12 ans qui m’a sauvée des décombres. Ça ne se voit plus mais, outre une blessure à la tête, j’ai été assez sérieusement brûlée et je suis devenue définitivement sourde de l’oreille gauche.
Pourquoi avoir choisi alors de rejoindre Nagasaki qui a été bombardée à son tour le 9 août?
Notre maison d’Hiroshima étant détruite, on a décidé de nous réfugier à Nagasaki où ma mère, séparée de mon père, habitait. Le train à bord duquel nous circulions a dû s’arrêter à six kilomètres avant le centre de Nagasaki. Avec mon frère, on s’est mis à l’abri sous le train, en se couvrant les yeux et en se bouchant les oreilles, et on n’a pas bougé jusqu’au soir. On ne le savait pas encore mais la seconde bombe atomique avait explosé une petite heure avant que notre train soit stoppé. Quand on a enfin décidé de se mettre en marche pour gagner la maison de ma maman, il y avait des cadavres partout sur le chemin et on n’avait pas d’autre choix que de leur marcher dessus!
Êtes-vous consciente d’être une miraculée?
En réalité, quand j’étais bébé, ma mère a bien cru que j’étais morte. J’avais déjà été miraculée une première fois en quelque sorte. Mais pour en revenir aux deux bombardements auxquels j’ai survécu, même s’il est difficile de savoir si mon exposition aux radiations en est la cause, j’ai quand même dû effectuer pas mal de séjours à l’hôpital tout au long de ma longue vie.
Avez-vous perdu des proches dans ces deux bombardements?
Mon frère Kuniyoshi, de deux ans mon cadet, a souffert de problèmes d’estomac tout au long de sa vie. Était-ce une conséquence des bombardements? Là encore, il est difficile de l’affirmer. Il a quand même vécu jusqu’à l’âge de 84 ans.
Comment vit-on avec ces souvenirs-là?
Quand les bombes atomiques ont été larguées sur Hiroshima et Nagasaki, j’avais à peine 14 ans et mon frère 12 ans. Nous étions très jeunes. C’était terrible. Et je me suis demandé: pourquoi impose-t-on tant de souffrances à des enfants? Pourquoi devons-nous vivre ces horreurs? J’ai bien sûr essayé d’oublier ces moments, mais c’est impossible. Même 80 ans après, je fais toujours des cauchemars!
Quand Vladimir Poutine menace d’utiliser l’arme nucléaire, ou que la Corée du Nord multiplie les essais de missiles balistiques, cela vous inquiète?
Oui, j’avoue que la perspective d’un conflit nucléaire m'inquiète. J’ai surtout peur pour les enfants. Je ne veux pas que ce que j’ai connu il y a 80 ans se répète.
Avez-vous milité contre l’arme nucléaire?
Je suis bien évidemment contre les armes nucléaires, mais je n’ai jamais milité à proprement parler au sein d’associations. En revanche, depuis 2016, date où je suis retournée à Nagasaki pour la première fois à l’occasion de commémorations, j’ai accordé pas mal d’interviews à des journalistes japonais afin de témoigner de ce que j’avais vécu. C’est ma façon de militer.
En avez-vous voulu aux Américains?
Pas vraiment. À quoi cela aurait-il servi? C’est un peu comme si vous étiez en colère contre Dieu après un tsunami… J’ai préféré tourner la page, même si les souvenirs sont tenaces.
Avez-vous été victime de discriminations parce que vous étiez une "survivante"?
Pendant très longtemps, je suis restée plutôt discrète sur cette partie de ma vie. Malgré tout, lorsque je me suis mariée en 1952, il a fallu que je présente à ma future belle-famille des papiers prouvant que j’étais en bonne santé, que je ne souffrais d’aucune maladie en lien avec mon exposition aux radiations.
Kinuyo Fukui chez elle à Aomori lors de notre interview en visioconférence. Photo DR.
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