"C’est aux jeunes de s’emparer de cette histoire": entretien avec la journaliste Raphaëlle Duchemin

La journaliste Raphaëlle Duchemin présente l’ouvrage De l’ombre à la lumière – Le Var de 1939 à 1945. Un livre de témoignages et de récits de résistants varois sous l’occupation nazie.

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La rédaction Publié le 31/05/2025 à 12:49, mis à jour le 31/05/2025 à 13:54
Raphaëlle Duchemin, le 7 mai, à la librairie Falba à Toulon. Photo Camille Dodet

Le débarquement de Provence est souvent occulté par celui de Normandie. Ce livre rend hommage aux héros Varois de la Résistance?

Oui. En tout cas c’est le point de départ: replacer le débarquement de Provence mais aussi tout ce qui s’est passé en amont dans la grande Histoire. Et rappeler que ce débarquement des troupes était prévu pour se faire en même temps; "les deux mâchoires" c’était vraiment le marteau et l’enclume. Il se trouve que le débarquement de Provence a été décalé pour des raisons de logistique. Donc on a d’abord parlé du débarquement de Normandie parce que c’était le premier et que c’était massif avec les troupes américaines.

En quoi le débarquement de Provence est-il différent?

Quand on regarde le débarquement de Provence, on s’aperçoit que c’est le débarquement des Français (avec les colonies) en première ligne. Et ils ont pu accoster grâce au travail des résistants, des héros souvent méconnus, qui eux sont sur le territoire et qui œuvrent discrètement avec des petits sabotages, en faisant passer des informations, etc. Ils le disent dans les témoignages: on a débarqué quasiment les pieds au sec avec presque pas de difficultés… Parce qu’il y avait eu en amont tout ce travail de préparation. Les Allemands les attendaient, mais pas à cet endroit-là. Donc stratégiquement ça leur a ouvert un boulevard pour pouvoir remonter et repousser l’ennemi.

Vous avez eu des difficultés à recueillir ces témoignages?

Pas tant que ça. En fait ça marche beaucoup en tiroirs. Un premier témoin vous envoie vers un autre. Et puis finalement tout le monde se connaît de village en village. La difficulté ça a été de démarrer. J’ai eu la chance de faire un film l’année dernière sur le débarquement donc j’avais déjà une première matière et ça m’a permis de réutiliser cette base et de retisser l’histoire. À Draguignan, par exemple, le boulanger qui fabrique le pain pour les troupes allemandes, et qui met petit à petit du pain de côté pour pouvoir alimenter les résistants. C’est aussi ça la résistance, ce n’est pas seulement des faits d’armes.

Pourquoi ces héros sont-ils restés dans l’ombre?

Ils ont cessé d’en parler. Parfois ils n’en ont pas parlé à leurs enfants ou à leurs petits-enfants. Et nous, on avait à cœur de les remettre dans ce tableau historique. Sans eux les choses ne se seraient peut-être pas écrites de la même manière. Ce qui important aussi, ce sont les âges des gens qui parlent. On a des témoins qui ont été soldats alors qu’ils avaient 10, 11 ou 13 ans. D’autres étaient à peine plus âgés et ont dû s’enrôler. Donc peut-être que cela aussi fera écho chez les jeunes générations de Varois.

À travers ces histoires, vous souhaitez que les jeunes d’aujourd’hui puissent s’identifier?

Je crois qu’ils en ont besoin. Des jeunes ne savent pas pourquoi une avenue s’appelle François-Cuzin à Toulon. Il y a une histoire derrière. Et maintenant, en ouvrant ce livre, on la connaît. Certains passent tous les jours avenue de la Victoire mais ils ne le savent pas. Donc c’est important de leur donner de la matière sans faire un livre d’histoire avec des chapitres. Je voulais vraiment qu’on puisse se plonger dans des histoires particulières. Par exemple celle de Caroline Depallens (conseillère départementale et opticienne cours Lafayette à Toulon, Ndlr) qui un jour a vu un monsieur entrer dans sa boutique et dire: "Si je suis en vie, c’est grâce à votre grand-père."

Des témoignages vous ont particulièrement touchée?

Chaque histoire est vraiment unique. Une parmi tant d’autres, celle de Fabienne Guenoun qui en arrivant à Toulon a redécouvert qu’elle avait une partie de sa famille ici qui avait été déportée. Elle ne le savait pas. Elle n’a pas connu cette partie de sa famille et elle s’aperçoit qu’aujourd’hui il y a des immeubles au Mourillon et dans le centre-ville qui ont appartenu à sa famille. Donc il y a eu d’une certaine manière une spoliation. Mais cette histoire n’est pas connue. On ne parle pas de ça, ici à Toulon.

Comment expliquer ce silence?

Les gens sont taiseux chez nous. On a le verbe haut. On peut dire beaucoup de choses sur le ton de la rigolade. Mais les choses sérieuses on n’en parle pas. Et nous, on a voulu en parler dans ce livre. On essaie de se mettre à leur place. On se dit: qu’est-ce que j’aurais fait moi? Comment j’aurais agi? C’est facile quand c’est dans les livres. C’est facile de donner des leçons. Mai si demain ça se produisait, qu’est-ce qu’on ferait? L’objectif est aussi de montrer aux jeunes que c’est de leur devoir aujourd’hui de s’emparer de cette histoire pour continuer à la passer.

Il y a urgence à transmettre ces histoires à la nouvelle génération?

Oui. Je pense que c’est la bonne manière avec leurs codes, sur des petites histoires courtes, des témoignages à hauteur d’hommes, des dessins, qui vont faire qu’ils s’approprieront peut-être davantage les choses que si on leur donne un pavé sur la Seconde Guerre mondiale et qu’on leur demande de l’apprendre par cœur. En tout cas si c’est une porte d’entrée supplémentaire, on aura gagné. Et c’est quelque chose qu’on pourra partager en famille.

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