"Combien de portés disparus sont enterrés sous X?": depuis 19 ans, ce Varois n'a plus de signe de vie de son oncle

Antoine D'Amore, un habitant de La Garde revient sur la disparition de son oncle Sauveur Rappa en février 2006 dans cette même commune. "On avait besoin d'un coup de main. On était paumé!". Il milite pour un fichier regroupant l'ADN des personnes portées disparues et ceux des corps ou d'ossements non identifiés

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Peggy Poletto Publié le 14/07/2025 à 04:00, mis à jour le 14/07/2025 à 08:57
Antoine D'amore, enfant, avec son oncle Sauveur Rappa, porté disparu à La Garde depuis juin 2006 Photo Facebook A.R et DR

"Vous voulez que j'aille le chercher où? C'est plus facile à retrouver un vivant qu'un mort!". 

Ces mots prononcés par un fonctionnaire de police en février 2006, Antoine D'amore, neveu de Sauveur Rappa, porté disparu depuis 2006, ne les a jamais oublié. "Cela fait 19 ans que je me demande ce qu'il est arrivé à mon oncle. Dix-neuf ans que je me dis que l'on aurait pu faire des choses qui n'ont pas été faites". 

"J'ai vu ton oncle! Non, couillon, c'était moi"

Tony a aujourd'hui l'âge que ton "tonton Lolo" avait lorsqu'il a disparu. Il a les mêmes cheveux grisonnants, un visage si ressemblant. "Un jour, un copain m'a appelé pour me dire qu'il avait vu mon oncle sur un marché aux puces. Je lui ai demandé où. Mais, je lui ai répondu, couillon, c'était moi!". 

Depuis le 3 février 2006, ce retraité qui vend de temps en temps encore de la cade sur les marchés pour s'occuper l'esprit, vit avec ce mystère. Que s'est-il passé? Que lui est-il arrivé? "C'est fou, mais le temps n'efface rien. Du moins, pour moi. J'aurais tellement aimé le retrouver, me recueillir quelque part". 

Il ne se leurre pas Tony. Si son oncle n'a plus donné signe de vie à ses trois enfants, à ses petits-enfants, à sa famille d'origine italienne, c'est qu'il n'est plus de ce monde. "Vous savez, lorsque nous sommes allés au commissariat, on avait l'impression de déranger. Il était parti, il était majeur. Point. Il n'y a personne pour vous dire que faire dans ces cas-là". 

Un sexagénaire sous tutelle

Deux décennies plus tard, le désormais sexagénaire se souvient de cet oncle avec lequel il s'entendait bien, comme avec un grand frère. Il y avait une complicité entre cet homme divorcé revenu vivre chez sa mère au Pont-de-Suve et ce jeune garçon que sa grand-mère gardait. "Mon oncle, c'était son dernier, alors elle le couvait", s'amuse-t-il à raconter avec tendresse. 

Puis, la vie de toute famille a basculé. Dans l'inquiétude, dans la tristesse, l'attente et le vide. Sauveur Rappa a disparu et rien ne sera jamais pareil pour ses proches. Il y a ceux qui sont dans le déni et ceux qui, comme Antoine, ne cesseront jamais de penser à résoudre ce mystère. 

"Une chose est certaine: il n'a pas choisi de partir volontairement ailleurs. Il n'avait pas la santé et n'avait pas les moyens. Il était sous tutelle, gérée alors par ma tante à Antibes. Elle lui donnait 50 euros pas semaine pour ces petites courses. À part venir me voir sur le marché à La Garde et aller au PMU, sa vie était réglée comme du papier à musique". 

Depuis son appartement gardéen bordé de pins parasols où les chants des cigales bercent les lieux, Antoine D'amore n'a rien oublié.

En rappel depuis le toit jusqu'au 7eme étage

Tout a commencé le vendredi 3 février 2006. La femme de ménage s'est présentée au domicile de Sauveur Rappa à la résidence Romain-Rolland. Personne n'a ouvert. Elle a tapé encore, mais rien. La porte est restée close. "Elle est passée sur le marché où j'avais mon stand pour me prévenir. Elle m'a dit d'aller vite voir chez tonton Lolo". 

Face à cette portée fermée à clef, il a pensé à un malaise, un accident. Du bas de cet immeuble, les fenêtres de l'appartement étaient toutefois ouvertes, en pleine hiver. Bizarre. "On a appelé les pompiers. Le plus simple aurait été de passer par la porte, mais il aurait fallu la police et un serrurier". 

Les sapeurs-pompiers sont alors monté sur le toit du bâtiment pour descendre en rappel jusqu'au septième étage. A l'intérieur, c'était désert. Pas de trace de l'occupant. "On nous a dit: il n'est pas là". 

Situé à une centaine de mètres, le commissariat semble l'endroit pour alerter sur la situation. "On nous a dit qu'il était majeur et qu'il avait le droit de disparaître volontairement. Qu'il fallait attendre 48 heures et revenir. Mon oncle était handicapé, malade, n'avait quasiment pas d'argent et sa vie quotidienne se résumait à ses déplacements au centre-ville de La Garde!". 

Une mobilisation populaire

Le lendemain, l'un de ses cousins a cassé la porte pour inspecter les lieux. "Ce n'était pas un très bon enquêteur. Il a juste vu qu'il y avait du linge dans la machine à laver", remarque Tony. "Qui est préparé à vivre une telle situation. Que faire? Où chercher? On n'était pas aidé...". 

La mobilisation populaire va alors s'organiser. "On a commencé par faire le tour du quartier. Il y avait des travaux. Mon oncle de Grasse m'a rejoint le dimanche, on a continué. Dès le lundi, on a fouillé encore et encore dans les environs, dans le Plan de La Garde, dans les ruisseaux. On allait interroger les gens qui le connaissait. On a également porté plainte pour disparition". 

Mais rien ne semblait bouger du côté de la justice et de la police. La dernière trace de sa présence, en vie, remontait au mardi 31 décembre. "Il avait appelé sa soeur, ma tante, dans les Alpes-Maritimes depuis une cabine téléphonique. Il ne lui a rien dit de particulier". 

Le 14 ou 15 février 2006, Var-matin diffuse le portrait de Sauveur Rappa avec sa photo en guise d'appel à témoins. 

"On avait besoin d'un coup de main. On était paumé!"

"Il a fallu attendre le 21 février 2006, soit trois semaines plus tard, pour qu'une enquête soit ouverte. On a contacté le maire [Jean-Louis Masson, à l'époque] qui nous a renvoyé vers la police municipale, Joël Canapa, l'élu d'opposition, nous a aidé pour que l'on puisse mettre des affiches". 

Tony a réuni plus de 300 personnes sur la place de La Garde pour manifester en vue de déclencher des investigations. L'élan de solidarité a été là. Des bénévoles distribuaient ou collaient des affiches partout, aux péages, dans les bus... 

"On avait besoin d'un coup de main. On était paumé! On se demandait ce qu'il fallait faire. Quand un proche disparait, surtout il y a 19 ans, vous étiez laissé en plan!", constate-t-il. 

De fausses pistes en fausses pistes jusqu'à Gap

Antoine D'armore (le bien nommé, Amour en italien) est parti sur des fausses pistes à Antibes, au bord de l'autoroute à Fréjus, sur le chemin de la Foux. Il s'arrête d'un coup lors de la conversation et sourit. "Vous ne savez pas ce qu'il m'est arrivé?". 

Un jour, un interlocuteur l'informe que la pension de son oncle est versée à Gap et lui communique une adresse. Rapido, Tony se rend dans la ville préfecture du département des Hautes-Alpes. "J'arrive et là, je vois un Toulonnais. Je me suis dit que mon oncle était là". 

Un appel téléphonique brise son enthousiasme. "Ma source me disait que ce n'était pas à Gap, mais dans une association au nom phonétiquement similaire qui s'occupait de tutelles dans le Var. J'avais vu Gap...". 

Quid de l'enquête?

Un appel à témoins a été diffusé en 2006 pour retrouver ce gardéen domicilié à la résidence Romain-Rolland Photo DR et image d'illustration.

La justice a pris, selon Antoine D'amore, trop de temps à prendre la mesure des choses. "J'espère que vingt ans après, on ne fait plus ainsi avec les familles des disparus? C'était comme si mon oncle n'avait pas existé, comme si ce n'était pas un majeur en danger, comme s'il ne lui était rien arrivé". 

Des jours, des semaines et des mois sont passés entre la disparition qui a pu survenir le mardi 31 janvier 2006 et non le 3 février. "La petite jeune fille qui faisait traverser les enfants de l'école et qu'il avait l'habitude de saluer ne l'a pas vu ce jour-là. Le mercredi, il n'y avait pas école. Le jeudi, silence aussi", en déduit le neveu. 

Face à l'inertie des autorités, la famille a choisi de compter sur les compétences d'un enquêteur privé. "Il a réuni des éléments. On peut légitiment penser qu'il a pu être victime d'un acte criminel et que son corps a été dissimulé. En ce qui concerne le départ volontaire, c'est n'importe quoi". 

Et si l'ADN parlait pour les disparus

En 2006, Antoine D'amore, en lien avec l'association MANU en charge de l'aide aux familles victimes d'une disparition, évoquait déjà la nécessité de mettre en place un fichier ADN afin de faire des relations entre les corps ou ossements non identifiés et les disparitions déclarées. 

Inlassablement, il s'interroge: et si le corps de son oncle avait été retrouvé? Et si aucune relation n'avait été faire avec sa disparition? "Aujourd'hui encore je me demande combien de personnes portées disparues sont enterrés sous X?".  

Sa réflexion lancée il y a près de vingt ans trouve une résonnance particulière. En 2023, la réouverture du dossier de disparition de Valérie Pichon le 3 juin 2003, par le Pôle de Nanterre, a permis après vingt ans d'attente à sa famille d'avoir (enfin) une réponse. 

L'affaire Valérie Pichon, identifiée 20 ans après

Il a fallu 6 mois à Nathalie Turquey, juge d’instruction au Pôle Cold Case de Nanterre, pour découvrir que Valérie Pichon avait été enterrée sous X, à quelques mètres de son domicile. Son corps avait été découvert dans les bois, sans être identifié, peu de jours après sa disparition. 

Aucun rapprochement n'avait été fait entre les deux affaires. L'exhumation a permis de certifier, grâce à l'ADN, qu'il s'agissait bien de la jeune femme recherchée par ses proches depuis vingt ans. 

Les prélèvements génétiques en cas de disparition pourraient permettre à des familles de retrouver les leurs et de faire leur deuil. 

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