"L’Énigme publique n°1": le livre de cet expert psychiatre décortique la "logique suicidaire" de Xavier Dupont de Ligonnès, disparu dans le Var

L’expert psychiatre Daniel Zagury décrit le cheminement qui aurait conduit Xavier Dupont de Ligonnès à tuer sa famille… avant de mettre fin à ses jours. Interview.

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Eric Marmottans Publié le 18/05/2025 à 07:15, mis à jour le 18/05/2025 à 08:32
interview
Xavier et sa future épouse Agnès au "Byblos" à Saint-Tropez en juillet 1982. Repro DR

Daniel Zagury est une figure de l’expertise psychiatrique judiciaire. Il a dressé les profils de Guy Georges, Michel Fourniret… et tant d’autres criminels. Ce spécialiste se penche dans son dernier ouvrage, L’Énigme publique n° 1 (Seuil), sur l’une des affaires les plus marquantes de ce premier quart de siècle.

Daniel Zagury est expert honoraire près la cour d’appel de Paris. Photo Astrid di Crollalanza.

Ce nouvel opus consacré à Xavier Dupont de Ligonnès se lit d’une traite. Comment et pourquoi l’homme soupçonné d’avoir assassiné les membres de sa famille en avril 2011 – avant de disparaître dans le Var – se serait-il décidé à commettre l’irréparable? C’est la question à laquelle s’efforce de répondre l’expert.

Comment vous est venue l’idée d’une "enquête psychique" sur Xavier de Ligonnès ("XDDL")?

D’abord parce que, comme n’importe quel Français, je suis plus qu’intrigué par cette histoire. Avant de l’étudier, je n’avais pas d’opinion préconçue. Le deuxième point, c’est que je me suis dit, à travers ce cas qui intéresse tout le monde, que j’allais pouvoir parler de la psychiatrie, de l’expertise… Ça me tient à cœur, j’ai consacré ma vie à la psychiatrie publique.

Votre analyse est documentée, vous avez aussi rencontré des membres de son entourage… Qu’est-ce qui a été le plus pertinent?

J’ai eu quelques petits échanges avec sa sœur aînée, mais elle n’a pas donné suite. Elle est manifestement tellement bouleversée qu’elle se tient à l’écart. J’ai lu sa première audition, j’ai trouvé que c’était ahurissant de précision, de lucidité, d’intelligence… Je crois qu’elle avait à peu près tout compris. En définitive, mon bouquin, c’est sa version très étoffée. J’ai aussi regardé ce qu’il se passait sur des sites catholiques. De Ligonnès s’est beaucoup épanché sur sa vie, il écrivait tout le temps.

Alors non, je ne l’ai pas vu, c’est sûr. Mais il y a des gens que je vois et pour lesquels je fais des expertises insuffisantes, parce qu’ils n’ont pas dit grand-chose. Là, j’en sais à peu près dix mille fois plus que si j’avais vu quelqu’un qui était resté sur sa réserve. Donc je ne me sens pas du tout mal à l’aise avec ça.

Quel portrait dressez-vous de "XDDL"?

C’est quelqu’un de complexe. Quand on fait son profil psychologique, il est aussi orgueilleux que timide et complexé. Il est sûr de lui, mais en même temps, il ne l’est pas du tout… Il est tourmenté et il a l’air assuré. Tout, chez lui, est comme ça, il a plusieurs facettes.

Fort heureusement, nous ne sommes pas réductibles à quelques traits de caractère accentués. Mais il y a chez lui quelque chose d’absolument singulier, qui est ce que j’appelle le compartimentage, le clivage de sa personnalité. La nuit, il est désespéré, suicidaire… et le jour, c’est "tout va très bien, Madame la marquise", c’est Monsieur Coucou-tout-le-monde. Après les massacres, il est guilleret.

Comment expliquer ce clivage?

L’une des origines de ce clivage, à mon avis, c’est le contraste extraordinaire entre l’image de sa mère et celle de son père. Sa sœur aînée dit qu’ils ont vécu dans une ambiance lugubre, une espèce de dévotion morbide avec des prédictions d’apocalypse. Et en même temps, c’était un ado avec des potes, des Ray-Ban, un goût pour la musique américaine, les grands espaces…

Il était à la fois avec des traits transmis par sa mère, et avec un tempérament transmis par son père. Mais les deux aspects ne se conflictualisaient pas, ne se rejoignaient pas. Comme des parallèles qui ne se rencontrent jamais. Il était les deux. Une personnalité clivée à ce point, c’est tout à fait étonnant. Il n’a jamais réglé son compte ni à sa mère, qui l’a embarqué dans quelque chose de terrible, ni à son père, qui les avait abandonnés.

Comment ce clivage pèse-t-il dans son évolution?

Au fond, Xavier a été élevé dans une doctrine maternelle à laquelle il a cru jusqu’à l’âge de 35 ans. Ça l’avait structuré. Et quand il a perdu ça, il est devenu un homme déchiré, un homme qui avait perdu la foi en la doctrine de sa mère. Il se proclamait incroyant, agnostique, etc. Mais il ne l’était pas. Il passait son temps sur des sites à tartiner des développements théologiques. C’était son identité profonde. Tout ça témoigne, selon moi, du fait qu’il a retrouvé, sur la fin, la "religion maternelle" – qui n’est pas la religion catholique.

Comment décrire son cheminement vers son présumé passage à l’acte?

Il y a un premier temps qui le fait cheminer, de désillusion en désillusion, vers le désespoir: les problèmes financiers, les problèmes sentimentaux, la perte de foi… et la mort de son père. Il est en souffrance, il oscille entre les moments de profond désespoir et les moments d’espoir.

Puis c’est le deuxième temps: il est suicidaire. Il le dit dans une lettre à ses copains. Mais il ne peut pas concevoir d’abandonner les siens. Il ne peut être question que d’un suicide accompagné, un suicide "tous ensemble pour l’éternité". Il trouve la solution à son désespoir et va essayer de donner du sens à ce projet. Et ce sens, ça va être le sacrifice. On voit bien, sur les sites catholiques, comment ça surgit, ça s’enrichit et ça devient central.

Il élimine la culpabilité, puisque c’est Dieu qui agrée le sacrifice. Et il élimine la honte: personne ne saura. Il entre dans la dernière phase, que j’appelle le "travail psychique du crime", le travail d’endurcissement. Il s’entraîne psychiquement. Il répète, il va au stand de tir… Au bout d’un moment, la détermination est telle que rien ne pourra retenir son bras.

Il aurait donc mis en scène sa disparition dans le Var avant de se suicider?

Toute la logique est une logique suicidaire et mystique. Quand vous voyez l’ensemble de la cinétique, du mouvement qui le mène vers le gouffre, la probabilité de sa survie est infinitésimale. Elle ne serait possible qu’au prix d’une modification radicale de sa personnalité.

Bio express

1961 : naissance de Xavier Dupont de Ligonnès (« XDDL »).

1972 : le père de « XDDL » et de ses sœurs s’éloigne du foyer familial. Leur mère annonce à ses enfants qu’elle reçoit des messages du Ciel.

1991 : mariage, à Draguignan, d’Agnès et de Xavier Dupont de Ligonnès.

1995 : « XDDL » annonce qu’il a perdu la foi.

2005 : le couple de Ligonnès se sépare quelques mois.

2009 : « XDDL » emprunte 50 000 euros à sa maîtresse.

2011 : décès de son père en janvier. Son épouse Agnès et leurs quatre enfants sont assassinés en avril.

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