Sa mission, les priorités, les avancées... Le "préfet tempête" Xavier Pelletier fait le point sur l'état de santé des vallées sinistrées

Pour la première fois depuis sa nomination, le préfet délégué à la reconstruction des vallées, Xavier Pelletier, évoque les priorités pour l’après-Alex dans la Roya, la Vésubie et la Tinée.

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Denis Carreaux, Patrice Maggio et Christophe Cirone Publié le 09/11/2020 à 15:58, mis à jour le 09/11/2020 à 16:03
Le chassé-croisé quotidien des habitants et des visiteurs, à la gare provisoire aménagée à Saint-Dalmas-de-Tende. Photo Eric Ottino

Il est évident que nous n’aurons pas tout reconstruit d’ici un an. Mais il faut que l’on retrouve bien avant cette normalité de vie, vitale pour les vallées, avec des ponts provisoires, des pistes praticables... Et que l’on ait très vite des perspectives de reconstruction durables pour ces vallées".

"On n’est pas sorti de l’urgence." Xavier Pelletier sait à quoi s’en tenir. Le "préfet tempête", nommé à ce poste le 14 octobre, se rend "deux fois par semaine sur le terrain" post-Alex.

"On est face à un événement totalement singulier, inédit en France. C’est très impressionnant!" Cet Enarque de 52 ans pilotait la CCI Lyon Métropole Saint-Étienne Roanne, quand Jean Castex l’a nommé préfet délégué à la reconstruction des vallées - "Un travail colossal".

Il y a le drame humain (neuf morts dont sept identifiés, onze disparus, six corps en Italie). Il y a la phase d’urgence, même si "la situation est moins catastrophique dans la Tinée et la Vésubie que dans la Roya."

Puis viendra l’après. Défi XL pour ce "serviteur de l’État", fier de ses racines rurales (Saône-et-Loire, Haute-Loire). Il jure de "mettre toute [s]on énergie" pour "sauver ces territoires". "Convaincu" qu’ils se relèveront.

Pouvez-vous nous préciser le cadre de votre mission?
Ma nomination s’inscrit dans les annonces que le président de la République a faites à Tende, quand il est venu sur le terrain après ces événements tragiques.

Je suis, en quelque sorte, une des briques du dispositif qu’il appelait de ses vœux : un engagement exceptionnel de l’État, au regard d’une catastrophe hors norme. Je suis placé auprès du préfet des Alpes-Maritimes, Bernard Gonzalez.

Ma mission, c’est à la fois de continuer à gérer les urgences et de coordonner le processus de reconstruction, avec les collectivités territoriales.

Travailler à la fois sur l’urgence et le temps long ne doit pas être évident...
Tous les soirs, à 18 h, un COD [Centre Opérationnel Départemental] nous permet de suivre la situation et d’ajuster les dispositifs.

On est encore en situation d’urgence dans la Roya: une vallée coupée en deux, avec un nœud ferroviaire et routier à Saint-Dalmas-de-Tende, et des gorges de Paganin très étroites.

Notre priorité est de désenclaver ce territoire. La situation est moins complexe dans les vallées de la Tinée et de la Vésubie.

Dans ces deux vallées, peut-on encore sauver la saison hivernale?
La Métropole Nice Côte d’Azur fait tout pour préserver les écosystèmes locaux. On voit bien qu’ils sont extrêmement fragiles dans ces vallées. Quand on enlève une brique, on déstabilise les équilibres.

Je pense aux stations mais aussi aux établissements médicaux-sociaux dans la Roya. Avec le préfet, j’ai une attention particulière pour que la MAS des fontaines [Maison d’Accueil Spécialisée, à La Brigue] ne ferme pas.

Que pouvez-vous faire pour les aider à rester?
Qu’ils continuent à avoir du fioul pour l’hiver et du réapprovisionnement régulier. Que les médecins puissent, par hélicoptère, faire leurs vacations à Tende sans difficulté... Même si tout est plus difficile.

Certains songent déjà à quitter ces vallées...
Sur le long terme, je pense que c’est une erreur. Il ne faut pas désarmer ces vallées ! Sinon, on n’aura plus de présence humaine. La vie n’y sera attractive qu’avec des commerces, des restaurants, des petites entreprises, des artisans...

On va travailler avec la CCI pour qu’ils soient approvisionnés en matériaux. Ils vont contribuer à la reconstruction des vallées.

Est-ce le moment de dire aux gens du littoral, quand c’est possible, de retourner dans les vallées?
La priorité est d’éviter que les gens qui sont dans les vallées les quittent. D’où la nécessité de rétablir au plus vite les liaisons et de leur permettre de vivre normalement au quotidien.

Bruno Le Maire a annoncé des reports, voire des annulations de charges pour les entreprises. Pouvez-vous généraliser les exonérations dans les communes sinistrées?
Plusieurs mesures ont été mises en place. Déjà, les particuliers qui ont tout perdu ont été exonérés de taxe d’habitation et de taxe foncière. Même chose pour les entreprises dont les locaux et outils ont été balayés par la tempête Alex.

Ensuite, on étudiera la situation de tous les chefs d’entreprise pour les régler au cas par cas, village par village, avec la CCI, le Département, la Métropole et la Ville. On mobilisera le plan de relance. L’objectif, c’est de maintenir les entreprises dans les villages - voire, pourquoi pas, les y attirer. Il faudra peut-être des mesures totalement adaptées au contexte des vallées.

La Roya a le sentiment d’être moins bien traitée que la Vésubie et la Tinée. Que leur répondez-vous?
Le jour de mon arrivée, j’étais à Tende et à la Brigue... Notre attention est clairement plus appuyée pour la Roya qui, aujourd’hui, pose le plus de problèmes. Ils ont besoin de plus d’énergie de notre part que les autres vallées, très sinistrées aussi, mais dont le quotidien s’améliore beaucoup plus rapidement.

 

 

 

Le "préfet vallées", interviewé ce jeudi au siège de Nice-Matin. Photo Frantz Bouton.

Dans ces vallées, 181 bâtiments détruits, 116 en sursis

Dans la Vésubie, quels sont vos chantiers prioritaires?
Ce sont les mêmes qu’ailleurs: raccorder peu à peu les axes de circulation. On avance plutôt bien. Les moyens mis en œuvre par la Métropole sont efficaces.

Aujourd’hui, la Vésubie et la Tinée sont raccordées. Même si les voies d’accès ne sont pas idéales, aucun village n’est isolé.

À Saint-Martin-Vésubie, nous aurons des sujets importants : reconstruire la gendarmerie, traiter les lits des rivières qui se sont étendus... On ne va pas reconstruire systématiquement à l’identique. Il y a eu un changement de topographie qu’il faudra prendre en considération.

Combien de maisons ont été détruites dans le haut pays?
181 bâtiments ont été totalement détruits: 93 à Saint-Martin-Vésubie, qui a payé un tribut très lourd, 23 à Roquebillière, 32 à Breil, 24 à Tende, trois sur Fontan et un à Saorge. On fera jouer le fonds Barnier, qui permet d’indemniser les propriétaires quand on sait qu’on ne pourra pas reconstruire aux mêmes emplacements.

Combien d’habitations sont actuellement inhabitables?
116 bâtiments sont classés "jaune", c’est-à-dire qu’on ne peut plus les habiter. Après la cellule d’expertise bâtimentaire, on a fait appel à un bureau d’étude pour affiner la démarche, et savoir si un bâtiment est réparable ou condamné. Il y a là un enjeu de sécurité majeur.

Sur le confinement, faites-vous preuve de tolérance dans les communes sinistrées?
Bien sûr. Les vallées vivent déjà l’enfermement. On ne peut évidemment pas fermer les restaurants qui jouent le rôle de cantine ou les commerces de proximité: ils n’ont pas le choix!

En revanche, on insiste pour que le port du masque soit obligatoire et qu’on redouble d’attention sur les gestes barrières. Il ne s’agit pas de créer de nouveaux clusters dans les vallées!

"À ce stade, le tunnel de Tende est condamné"

Les routes de la Roya ont été comme bombardées... Comment désenclaver la vallée?
On a des pistes, aux sens propre et figuré. Avec le Conseil départemental, on va essayer de fortifier la piste forestière du Terris, au niveau des gorges de Paganin, pour reconnecter la haute et la basse vallée.

L’enjeu, c’est d’avoir des voies d’accès un peu normalisées avant l’hiver pour assurer le ravitaillement, un peu de circulation, et acheminer tous les matériaux, matériels et engins nécessaires pour travailler.

C’est une course contre-la-montre avec l’hiver?
Un peu, oui. C’est ce que je dis tous les jours à la SNCF. Moi aussi, ma préoccupation, c’est de rétablir le plus vite possible la ligne de chemin de fer coupée à Saint-Dalmas.

Il y a une fragilité majeure au niveau du pont, un effondrement au niveau des piles, et le tunnel est encombré par de la boue, des pierres et des embâcles. Il faut avancer plus vite sur ce chantier, pour avoir des axes de circulation fortifiés avant l’hiver.

À quand le retour du train des Merveilles entre Tende et Saint-Dalmas? On parle de mi-février...
C’est, à ce stade, le calendrier de la SNCF. Mais je leur dis tous les jours: "Il faut accélérer ce chantier. Il faut travailler la nuit, les week-ends." C’est compliqué pour eux. Il y a un conflit d’usages entre ces travaux, le trafic voyageurs et la draisine qui achemine vivres et foin, sur une ligne qui mériterait d’être un peu modernisée. Il faut arriver à bien articuler tous ces sujets. Et aller vite.

Les habitants estiment que cela ne va pas assez vite, justement...
Le travail de coopération avec les Italiens est précieux. On a rétabli le trafic voyageurs entre Limone et Tende. On est en train de rétablir le trafic fret, avec la filiale italienne de la SNCF fret (Captrain Italia).

On pourra ainsi réapprovisionner Tende en marchandises et en fioul. On a aussi rouvert avec les Italiens la route-piste dite de l’Amitié, qui va de La Brigue à Rialdo. Ce n’est pas parfait, mais on peut l’utiliser tant qu’il n’y a pas de chutes de neige.

C’est l’oxygène des habitants de la vallée qui l’empruntent pour aller en Italie. Le problème, c’est qu’on n’a pas cinquante voies d’accès! Au tunnel de Tende, les voies d’accès sont effondrées. Là aussi, c’est un spectacle de désolation terrible...

Le tunnel est-il condamné?
À ce stade, oui. Toute une partie de la montagne s’est effondrée à l’entrée du tunnel routier. Et le chantier du deuxième tunnel est évidemment stoppé. Il y aura des travaux pharaoniques à engager.

C’était déjà mal engagé... Faut-il d’ores et déjà envisager une autre solution que le tunnel de Tende dans dix, quinze, vingt ans?
Non. Il faut reprendre le dialogue avec les Italiens sur ce sujet. Voir comment reconstruire l’entrée du tunnel côté français. Et remettre à plat la relation franco-italienne sur la ligne de chemin de fer, la gestion des inondations, des feux de forêt...

Comment se passe cette relation?
Elle se passe bien. Le dialogue est plutôt facile avec les Italiens. Mais il y a plein de sujets à remettre sur la table, comme la convention de 1970 sur cette ligne [ferroviaire] entre Cuneo et Vintimille... Il faut un regard un peu renouvelé.

Cette tempête est une opportunité pour offrir une deuxième vie à cette ligne, qui apparaît vitale?
Je pense que oui. Ce débouché sur la Méditerranée, entre Cuneo et Vintimille, c’est un élément d’attractivité intéressant pour les Italiens. En plus, cette ligne est magnifique!

Ce type d’événement doit nous amener à renouveler les approches sur ces lignes. On voit bien aujourd’hui que, si on n’avait pas cette ligne de chemin de fer, on serait bien embêté...

Une pétition qui rassemble déjà plus de 43.000 signatures réclame les moyens lourds du Génie militaire pour reconstruire les routes de la Roya. L’armée va-t-elle revenir?
Jeudi prochain, nous serons à Tende avec le préfet des Alpes-Maritimes, le préfet de région et le gouverneur militaire, pour faire un point précis sur les sujets compliqués dans la haute vallée de la Roya: les gorges de Paganin, les ponts...

On sollicite à nouveau le Centre national des ponts de secours, qui avait fait une expertise trop rapide. On voit bien où l’on pourrait installer quelques ponts Bailey [ouvrages de conception militaire, ndlr] à Tende, à Fontan. Cela nous permettra de raccommoder un peu les liaisons.

Le gouverneur militaire va voir dans quelle mesure on peut faire intervenir le Génie militaire. Nous mobilisons aussi les ingénieurs civils spécialisés haute montagne du Ministère de la transition écologique, en appui des services du Département.

La topographie est très compliquée... Il faut aller vite, avant l’hiver, avant la neige.

"Reconstruire résilient et durable"

On parle de quatre ans pour reconstruire les routes de la Roya. Ce délai peut-il être raccourci?
Les solutions que l’on va mettre en œuvre dans les semaines qui viennent sont des solutions provisoires.

Ensuite, il y a toute la phase de reconstruction, qui nécessite des études très précises. Il faudra veiller à ce que les futurs ouvrages soient résilients et durables, comme l’a dit le président de la République. Ce sont des perspectives à un, deux, voire trois ans.

À combien est estimé le coût global, et le budget qu’il faudra y allouer?
On commence à avoir des masses de financement, mais pas des chiffres précis. L’IGA (Inspection Générale de l’Administration) et le CEDD (Conseil économique pour le développement durable) vont commencer ce chiffrage.

Les communes, elles, commencent à nous adresser des lettres d’intention en signalant les ouvrages détruits. Il faudra que l’on chiffre le coût d’une route, d’un pont, des infrastructures qui datent parfois un peu. Est-ce que la facture globale sera de 1,5 milliard, 2 milliards ? Je n’en sais rien. Même si ça sera certainement de cet ordre-là.

Il y a des pertes inestimables: les tombes des cimetières de Saint-Martin-Vésubie et Saint-Dalmas-de-Tende. Comment faire pour que les morts y reposent à nouveau en paix?

Ce sont des malheurs qui se rajoutent au malheur. Il faudra l’évoquer avec les maires. Il y aura certainement des consultations citoyennes à engager dans ce processus de reconstruction.

Il y a beaucoup de choses à repenser, qui sont éminemment symboliques.

Vous faites aussi allusion aux règles d’urbanisme?
Bien sûr! On ne pourra pas reconstruire de la même manière. Des épisodes méditerranéens, on en aura certainement d’autres.

Il faut veiller à la protection des populations dans l’avenir. Le préfet des Alpes-Maritimes a été éclairé quand il a lancé l’alerte. S’il n’avait pas eu le courage de le faire, on aurait été en face d’un drame beaucoup plus marqué.

Retour à la source

Quand la haute Roya peut-elle espérer le retour de l’eau potable?
Grâce à nos amis italiens, on a la perspective de raccorder à nouveau la source historique de Vievola qui alimente Tende. On a les tuyaux. Ils sont à Tende.

Il ne manque plus qu’à les acheminer dans le tunnel ferroviaire, avec la draisine italienne. Ce sera fait dans les jours qui viennent. Je pense qu’ils auront l’eau potable vers le 20 novembre.

Cela devient dur. Des tensions apparaissent...
C’est normal, après avoir vécu le traumatisme de ces inondations majeures et l’enfermement quotidien. Les habitants ont été très patients. Aujourd’hui, ils bénéficient d’eau sanitaire au robinet entre 7h et 22h.

Et une unité de la Sécurité civile produit de l’eau potable. Ce n’est pas idéal, mais quand on parle d’eau potable, il faut être extrêmement précis dans le raccordement et les contrôles, pour éviter des problèmes de santé.

Et dans la Vésubie?
Il n’y a quasiment plus aucun foyer privé d’eau potable. Quelques bourgs sont encore concernés. Mais ils desservent essentiellement des résidences secondaires.

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