Comment êtes-vous arrivé à pénétrer dans le camp d’Omar Diaby?
Avec mon collègue de Radio France, Noé Pignède, nous étions dans le nord de la Syrie. Nous étions en train de travailler sur un tout autre sujet. Noé m’a dit qu’il avait la localisation du camp d’Omar Diaby. On s’est dit, quitte à être là... Et on est allé toquer à l’entrée du camp d’Omar Diaby comme on aurait sonné à la porte de Monsieur Tout-le-monde. Ils ont été eux-mêmes assez étonnés. Le gardien nous a dit sur un ton ministériel que pour voir Omar Diaby il fallait prendre rendez-vous et que bien souvent les journalistes devaient envoyer leurs questions au préalable... Mais Diaby a finalement accepté en nous signifiant qu’on avait de la chance qu’il nous reçoive... Parce qu’il s’apprêtait à aller faire la sieste.
Comment se passe l’interview?
C’est un peu spécial. Omar Diaby nous invite à nous asseoir sur les gradins de son stade défraîchi. On nous sert du thé. Il nous demande ce qu’on veut. On lui dit qu’on veut l’interviewer pour la radio. Il nous dit qu’il n’aime pas être enregistré. C’est quelqu’un de très méfiant. Il finit par accepter à la condition que l’on glisse dans notre enregistreur sa propre carte mémoire. Parce qu’il veut vérifier ses propos et éventuellement en supprimer certains avant de nous renvoyer les sons. Ce qu’il n’a jamais fait d’ailleurs... Mais il ne se doutait pas que nous enregistrions aussi la conversation sur nos téléphones. De toute façon on n’a pas eu de mal à s’en souvenir tant ce qu’il nous racontait était énorme!
Énorme? Dans quel sens?
Omar Diaby n’est certainement pas un prédicateur comme les autres. Il cite davantage Jurassic Park et Aladin que le Coran. Il nous a même dit que selon lui les Français auraient mieux fait de voter pour Marine Le Pen que pour Macron! Sa matrice intellectuelle de djihadiste est surtout construite autour de son antiféminisme et de son machisme exacerbé. Contrairement aux radicaux traditionnels qui se réfèrent toujours aux textes religieux sa rhétorique est beaucoup plus accessible...
C’est peut-être ce qui explique qu’il a réussi à recruter tant de candidats au djihad?
Effectivement, n’importe qui peut s’identifier à son discours. On le voit dans les messages qu’on a pu consulter, il ne teste pas ses recrues sur leurs connaissances religieuses. Il est surtout dans un rapport de séduction avec elles.
Au travers de votre reportage on a l’impression qu’il s’est construit une sorte de royaume personnel en Syrie...
Omar Diaby est très fier de dire qu’il va y construire des villas et même une piscine. Bien sûr, le camp est militarisé mais ses membres n’exhibent pas leurs armes. On a l’impression d’être dans une microsociété enfermée dans cette petite forteresse enclavée qui tourne beaucoup autour des besoins d’Omar Diaby lui-même. Avant d’être un djihadiste c’est avant tout un gourou. Il y a un côté très sectaire. Ce camp c’est son émirat de parpaing, c’est un peu le Larzac du djihad. Enclavé géographiquement et aussi parce que Diaby ne peut pas vraiment en sortir compte tenu de ses mauvaises relations avec le pouvoir syrien.
Et les autres membres du camp, au-delà de l’emprise psychologique de Diaby sont-ils quelque part prisonniers?
C’est difficile de le dire parce que nous n’avons pu échanger que furtivement avec eux. Et toujours sous le garde de Diaby. Mais quand on lui demande si les jeunes peuvent sortir du camp, il demande "pour quoi faire". Il explique que quitter le camp c’est se rapprocher de la prison ou aller en enfer. Il y a un véritable lavage de cerveau. Une vraie dépendance au gourou. Surtout exercée sur les mineurs, comme ces gamines que l’on force à se marier à 14 ans et qui ne sont finalement que des ventres à enfanter de nouveaux membres pour le groupe.
Et pourtant Omar Diaby continue de recruter...
C’est ce que l’on a découvert au travers de notre enquête. Le parquet national antiterroriste nous a confirmé qu’ils avaient identifié au moins six nouveaux candidats au départ recrutés par Diaby. Ça pose la question de la réponse des autorités à la fois syriennes et françaises. Côté syrien, le nouveau pouvoir en place fait preuve d’une certaine ambivalence. Il est confronté à des défis de légitimité sur des questions régaliennes face à des groupes djihadistes qui, comme celui de Diaby, estiment qu’il se montre trop ouvert vis-à-vis de l’occident et voudraient que soit instaurée la charia.
Pour éviter un coup d’État, le nouveau pouvoir syrien ménage un peu la chèvre et le chou en laissant tranquille ces petits groupes militarisés. Du côté de Paris, on pourrait estimer qu’il est préférable que cette menace-là reste loin de la France. D’autant que l’opinion publique n’est pas favorable à leur retour. Mais il y a aussi un enjeu de justice car il ne faut pas oublier qu’Omar Diaby est au centre de plusieurs instructions judiciaires et qu’il est même recherché par Interpol.
Est-il réellement dangereux?
Omar Diaby ne représente peut-être pas une menace directe dans le sens où il ne fomente sans doute pas d’attentat contre la France. Il n’en a d’ailleurs pas les moyens depuis son camp en Syrie. Mais il continue de recruter des adeptes. Il arrache des gens à leurs familles. Il retient des enfants. Il exerce une emprise mentale sur les membres du groupe. Il marie de force des gamines. Il est donc tout sauf inoffensif. Et pourtant il semble bénéficier d’une grande mansuétude de la part des autorités. Ici comme là-bas.
Arthur Sarradin est l’auteur d’un ouvrage à paraître fin octobre chez Seuil sur l’enfer concentrationnaire du pouvoir répressif du clan Assad, père et fils, qui a régné par la peur sur la Syrie durant un demi-siècle: Le Nom des ombres.
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