"Allons chercher l’argent là où il est": comment la taxe Zucman a fait son chemin dans l'opinion publique?

En quelques semaines, le dispositif d’impôt sur les plus riches imaginé par l’économiste Gabriel Zucman s’est imposé au cœur du débat.

Marie-Cécile Bérenger (avec Agnès Farrugia) Publié le 20/09/2025 à 04:00, mis à jour le 20/09/2025 à 04:00
Photo MAXPPP

Et si cette fois c’était la bonne? Après avoir été votée le 20 février à l’Assemblée nationale, puis éjectée du débat parlementaire par les sénateurs en juin dernier, la taxe Zucman – du nom de l’économiste Gabriel Zucman qui l’a inspirée – que l’on croyait enterrée, a refait surface, ragaillardie en cette rentrée par le contexte d’incertitude politique et surtout de restrictions budgétaires annoncées par l’ex-gouvernement de François Bayrou.

L’argument est "simple": puisqu’il faut renflouer les caisses de l’État, allons chercher l’argent là où il est, murmure de plus en plus fort toute une frange d’économistes français plutôt classés à gauche, tel Thomas Piketty. En l’occurrence dans la poche des "ultra-riches", dont le patrimoine est évalué à plus de 100 millions d’euros (lire par ailleurs).

La mesure, selon les estimations de l’équipe de Gabriel Zucman à la tête de l’Observatoire européen de la fiscalité, pourrait rapporter 15 à 20 milliards d’euros, simplement en taxant quelque 1.800 foyers.

Faux répondent les grands patrons mais aussi de nombreux économistes comme Philippe Aghion qui a récemment débattu avec Gabriel Zucman. Instaurer cette nouvelle taxe pourrait pousser les entrepreneurs à fuir la France, les obliger à vendre des parts de leur entreprise pour payer l’impôt...

86% d’opinion favorable

Mais l’idée a déjà fait son chemin dans l’opinion publique. Au point qu’une étude commandée à l’Institut Ifop il y a quelques jours par le Parti socialiste – favorable à la taxe Zucman –, montre qu’elle recueille 86% d’opinions favorables, dont 58% tout à fait favorables.

Cette adhésion traverse même toutes les sensibilités politiques: toujours selon ce sondage, 96% des sympathisants PS la soutiennent, 89% pour les LR (alors même que le parti est contre), 75% parmi les électeurs RN...

De quoi pousser cette idée, folle pour les uns, simplement juste pour les autres, une nouvelle fois dans l’hémicycle? En tout cas elle incite déjà les plus hostiles à dégainer des "contre-propositions" pour introduire une nouvelle forme d’impôt sur les plus riches, comme une contribution différentielle sur les hauts patrimoines hors outil de travail, le rétablissement de l’impôt sur la fortune ou encore une taxe Zucman à 0,5% en exonérant les entreprises de moins de dix ans, citées par Philippe Aghion mercredi devant un parterre de "startuppers" au France Digitale Day.

Même si elle devait rester cantonnée au rôle de "chiffon rouge", la taxe Zucman a d’ores et déjà kidnappé le débat politique, alors qu’un nouveau budget et un nouveau gouvernement, sont attendus.

"Que les ultra-riches paient autant que les autres"

Quentin Parrinello est directeur des politiques publiques de l’Observatoire européen de la fiscalité dirigé par Gabriel Zucman, et dont les travaux ont donné naissance au projet de taxe qui porte son nom.

Pourquoi 100 millions d'euros?

D’après les travaux réalisés notamment par l'Institut des politiques publiques sur le profil de progressivité fiscale de la France, lorsqu'on prend l'ensemble des prélèvements obligatoires en France, (l'impôt sur le revenu, les cotisations sociales, la TVA, l'impôt sur les sociétés...) en moyenne un Français paie environ 50% de son revenu économique en prélèvements obligatoires.

Cela concerne à peu près toutes les catégories sociales, sauf une énorme exception tout en haut de la distribution où on voit que le taux de prélèvements effectifs tombe à 25%.

Le seuil est autour de 100 millions d'euros de patrimoine. Donc cette mesure, elle vise déjà à s'assurer que ceux qui ont un déficit fiscal par rapport à la moyenne des Français contribuent autant que les autres.

Et le taux de 2%?

Dans les modélisations qu'on a faites, c'est un taux qui permet de rééquilibrer la contribution des ultra-riches pour la mettre au niveau proportionnel de la moyenne des Français. Quand on prélève l'équivalent d'un taux minimum de 2% du patrimoine des ultra-riches, des 1.800 foyers concernés, on arrive à 49, 51%, de prélèvements obligatoires.

Mais c'est une contribution différentielle, c’est-à-dire qui prend en compte ce que ces contribuables paient déjà sous forme d'impôt sur le revenu, en cotisations sociales, en impôt sur la fortune immobilière...

Autrement dit si l'ensemble de ces prélèvements correspondent à 1,2% du patrimoine par exemple, la contribution demandée sera de 0,8% et si elle dépasse déjà 2%, rien ne se passe. La taxe ne cible que ceux qui ne paient pas autant d'impôts que les autres.

Le Medef, lui, veut préserver le patrimoine professionnel...

Le patrimoine professionnel, ça regroupe plein de choses. Si vous êtes un artisan, une PME, une ETI (entreprise de taille intermédiaire, Ndlr), ça peut être l'étal du boucher, le tracteur de l'agriculteur... Mais pour les patrimoines de plus de 100 millions, ce n’est pas ça. Je rappelle qu'il n'y a aucune PME qui est touchée, l'immense majorité des ETI non plus.

On parle vraiment de 1.832 personnes avec des grandes fortunes. Les biens professionnels, pour eux, ce sont des détentions d'actions dans des entreprises. Et donc, si on regarde les données Bloomberg, ça veut dire que si on enlève les biens professionnels de l'assiette, on renonce à 90% de cette dernière. Et on divise les recettes par 10. Par ailleurs, et ça, ça a été montré par la dernière note du conseil d'analyse économique, le CAE, lorsque vous proposez un impôt sur les ultra-riches avec des grandes failles, ce qui se passe, c'est que c'est très facile de requalifier le patrimoine personnel, en patrimoine professionnel.

Et donc, dans la note du CAE, ils disent que les effets de comportement, c'est pour 1 euro de recette, 75 centimes perdus. Donc, ça veut dire qu'il faut diviser encore par quatre les recettes attendues. Donc, vous vous retrouvez encore une fois dans cette situation où les plus riches continuent de payer beaucoup moins que le reste de la population française en moyenne.

Cela revient à vendre ses parts pour payer l'impôt?

L'immense majorité des grandes fortunes auraient les moyens de payer. Si l'on regarde la moyenne de la rentabilité des grandes fortunes françaises, elle est de l'ordre de 6%, et la taxe ne porte que sur 2%. Mais il est vrai qu’il y a des cas d'entreprises qui dépassent les 100 millions de valorisation mais ne sont pas encore rentables. C'est le fameux cas de Mistral AI.

Elon Musk, qu'est-ce qu'il faisait? Il ne faisait aucun bénéfice. Mais il se servait de la valorisation de SpaceX, qui était énorme, pour aller emprunter à la banque, et pour racheter des concurrents, et pour financer son train de vie. Et en 2021, il a racheté Twitter pour 44 milliards de dollars. Si vous avez une fortune virtuelle qui vous permet d'avoir 44 milliards d'emprunts pour acheter votre boîte, ce n’est plus trop virtuel.

L'autre solution, c'est de céder des actions à un tiers. Mais il faut regarder les ordres de grandeurs. Si on prend Mistral AI, valorisé à 11,7 milliards d'euros, il y a trois actionnaires fondateurs qui ont chacun autour de 10% des parts. Donc cela veut dire céder 0,2% des actions.

Dans le cas extrême où Mistral ne serait pas rentable pendant 10 ans comme ça a été le cas pour Amazon, ça voudrait dire qu'ils cèdent au total 6% des parts de l'entreprise à l'État qui possède déjà via la BPI des actions dans Mistral, on est loin d'une nationalisation! Et une fois rentable, l'entreprise peut racheter ses actions.

La taxe Zucman ne cristallise-t-elle pas la colère face aux inégalités?

Oui, des études ont montré que plus les niveaux d'inégalités sont forts, plus les niveaux de violence le sont aussi. On peut avoir un débat autour du niveau de progressivité de l'impôt que l'on veut mais il me semble compliqué de tolérer le fait que ceux qui ont des patrimoines plus importants que les autres paient proportionnellement moins d'impôts que les autres.

Par ailleurs c'est une rupture avec notre principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt et en termes de consentement à l'impôt du reste de la population, quand on voit les efforts qui lui sont demandés dans les derniers budgets, cela me paraît difficile.

Ce n'est pas qu'un débat franco-français, nous sommes en contact avec des chercheurs anglais, ils ont le même débat, on est sollicités par des gouvernements européens, latino-américains... Car depuis 3 ou 4 ans, on a des données de plus en plus précises pour mesurer la contribution des ultra-riches et les taux effectifs de leur imposition, cela n'existait pas auparavant.

"On ne peut taxer ce qui n’existe pas"

Stéphane Benhamou, le président du Medef Sud, a consacré les trois quarts de sa conférence de presse de rentrée à Marseille, le 17 septembre, à l’ineptie que représente à ses yeux l’idée d’une taxe Zucman. "L’entreprise est une personne morale. Le capital de l’entreprise est parfois valorisé dans les comptes, mais il ne profite à ses propriétaires que le jour où il y a une transmission", résume l’entrepreneur varois, vent debout contre les prises de position en faveur de ce dispositif.

"Le Premier ministre Lecornu a déclaré à plusieurs reprises écarter le patrimoine professionnel et nous saluons cette prise de position", ajoute le patron du groupe Paca participations, qui s’attend toutefois à voir prolongée la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus au-delà de 2025, comme un moindre mal.

Stéphane Benhamou, président du Medef sud. Photo M.-C. B..

"Nous serions obligés de vendre"

Passionné par le débat autour de la taxe Zucman, cet entrepreneur varois, qui pense être concerné par cet impôt s’il était instauré, préfère finalement témoigner de façon anonyme. "Je suis sur le fond en accord avec les analyses qui justifient un choc fiscal pour les très gros patrimoines dont je fais partie et surtout s’il profite aux salariés", indique-t-il sans détour.

"Maintenant la mise en place fait très peur et nous serions obligés de vendre si la loi était appliquée dans certains dispositifs présentés car je n’aurais jamais les moyens de payer entre 5 et 8 millions par an. Et les salariés n’auraient aucun moyen d’acheter à ce prix-là, juste pour payer des impôts tous les ans. Je les en dissuaderais car la valorisation se fait sur un marché de sur-spéculation depuis plusieurs années. Pour moi les salariés doivent accéder au capital sans endettement. La solution idéale serait une taxation sur les opérations capitalistiques et une augmentation graduelle de la flat tax (1). "


1. L’impôt à taux unique ou impôt proportionnel.

"Peu de chance que ça passe"

Maxime Menuet est professeur d’économie à l’Université Côte d’Azur et membre du Gredeg.

Quels sont les écueils de cette taxe?

Prenez par exemple Mistral AI, qui pour la payer, devrait vendre des actions. Cela aurait un effet direct sur le financement de la tech. Il y aurait moins d’investissement dans nos startups. L’autre raison c’est: est-ce légal?

Une taxe patrimoniale autour de 0,5% a déjà été rejetée par le Conseil constitutionnel. Ici, la taxe Zucman toucherait à peine 1.800 foyers fiscaux et pour le juge, la charge publique doit être assumée par un plus grand nombre de personnes.

On parle de 20 milliards d’euros de recettes pour l’État...

Avec une marge d’erreur de plus ou moins 5 milliards d’euros selon Zucman. On pourrait même parler de "baisse de rendement". Car sur des gros patrimoines comme ceux-là, les rendements sont très élevés. Toujours plus que les 2% ponctionnés.

Par contre économiquement parlant, côté entreprise, l’impact de cette taxe serait nul. Le message est davantage politique et social qu’économique.

Des chances d’aboutir, la taxe Zucman?

Peu de chance je pense, pour des raisons juridiques essentiellement.

Mais il faudra tout de même mettre en place un impôt sur les grandes fortunes. Car le constat du déséquilibre est réel.

Maxime Menuet, professeur d’économie à l’Université Côte d’Azur et membre du Gredeg. Photo DR.

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