"Que les ultra-riches paient autant que les autres"
Quentin Parrinello est directeur des politiques publiques de l’Observatoire européen de la fiscalité dirigé par Gabriel Zucman, et dont les travaux ont donné naissance au projet de taxe qui porte son nom.
Pourquoi 100 millions d'euros?
D’après les travaux réalisés notamment par l'Institut des politiques publiques sur le profil de progressivité fiscale de la France, lorsqu'on prend l'ensemble des prélèvements obligatoires en France, (l'impôt sur le revenu, les cotisations sociales, la TVA, l'impôt sur les sociétés...) en moyenne un Français paie environ 50% de son revenu économique en prélèvements obligatoires.
Cela concerne à peu près toutes les catégories sociales, sauf une énorme exception tout en haut de la distribution où on voit que le taux de prélèvements effectifs tombe à 25%.
Le seuil est autour de 100 millions d'euros de patrimoine. Donc cette mesure, elle vise déjà à s'assurer que ceux qui ont un déficit fiscal par rapport à la moyenne des Français contribuent autant que les autres.
Et le taux de 2%?
Dans les modélisations qu'on a faites, c'est un taux qui permet de rééquilibrer la contribution des ultra-riches pour la mettre au niveau proportionnel de la moyenne des Français. Quand on prélève l'équivalent d'un taux minimum de 2% du patrimoine des ultra-riches, des 1.800 foyers concernés, on arrive à 49, 51%, de prélèvements obligatoires.
Mais c'est une contribution différentielle, c’est-à-dire qui prend en compte ce que ces contribuables paient déjà sous forme d'impôt sur le revenu, en cotisations sociales, en impôt sur la fortune immobilière...
Autrement dit si l'ensemble de ces prélèvements correspondent à 1,2% du patrimoine par exemple, la contribution demandée sera de 0,8% et si elle dépasse déjà 2%, rien ne se passe. La taxe ne cible que ceux qui ne paient pas autant d'impôts que les autres.
Le Medef, lui, veut préserver le patrimoine professionnel...
Le patrimoine professionnel, ça regroupe plein de choses. Si vous êtes un artisan, une PME, une ETI (entreprise de taille intermédiaire, Ndlr), ça peut être l'étal du boucher, le tracteur de l'agriculteur... Mais pour les patrimoines de plus de 100 millions, ce n’est pas ça. Je rappelle qu'il n'y a aucune PME qui est touchée, l'immense majorité des ETI non plus.
On parle vraiment de 1.832 personnes avec des grandes fortunes. Les biens professionnels, pour eux, ce sont des détentions d'actions dans des entreprises. Et donc, si on regarde les données Bloomberg, ça veut dire que si on enlève les biens professionnels de l'assiette, on renonce à 90% de cette dernière. Et on divise les recettes par 10. Par ailleurs, et ça, ça a été montré par la dernière note du conseil d'analyse économique, le CAE, lorsque vous proposez un impôt sur les ultra-riches avec des grandes failles, ce qui se passe, c'est que c'est très facile de requalifier le patrimoine personnel, en patrimoine professionnel.
Et donc, dans la note du CAE, ils disent que les effets de comportement, c'est pour 1 euro de recette, 75 centimes perdus. Donc, ça veut dire qu'il faut diviser encore par quatre les recettes attendues. Donc, vous vous retrouvez encore une fois dans cette situation où les plus riches continuent de payer beaucoup moins que le reste de la population française en moyenne.
Cela revient à vendre ses parts pour payer l'impôt?
L'immense majorité des grandes fortunes auraient les moyens de payer. Si l'on regarde la moyenne de la rentabilité des grandes fortunes françaises, elle est de l'ordre de 6%, et la taxe ne porte que sur 2%. Mais il est vrai qu’il y a des cas d'entreprises qui dépassent les 100 millions de valorisation mais ne sont pas encore rentables. C'est le fameux cas de Mistral AI.
Elon Musk, qu'est-ce qu'il faisait? Il ne faisait aucun bénéfice. Mais il se servait de la valorisation de SpaceX, qui était énorme, pour aller emprunter à la banque, et pour racheter des concurrents, et pour financer son train de vie. Et en 2021, il a racheté Twitter pour 44 milliards de dollars. Si vous avez une fortune virtuelle qui vous permet d'avoir 44 milliards d'emprunts pour acheter votre boîte, ce n’est plus trop virtuel.
L'autre solution, c'est de céder des actions à un tiers. Mais il faut regarder les ordres de grandeurs. Si on prend Mistral AI, valorisé à 11,7 milliards d'euros, il y a trois actionnaires fondateurs qui ont chacun autour de 10% des parts. Donc cela veut dire céder 0,2% des actions.
Dans le cas extrême où Mistral ne serait pas rentable pendant 10 ans comme ça a été le cas pour Amazon, ça voudrait dire qu'ils cèdent au total 6% des parts de l'entreprise à l'État qui possède déjà via la BPI des actions dans Mistral, on est loin d'une nationalisation! Et une fois rentable, l'entreprise peut racheter ses actions.
La taxe Zucman ne cristallise-t-elle pas la colère face aux inégalités?
Oui, des études ont montré que plus les niveaux d'inégalités sont forts, plus les niveaux de violence le sont aussi. On peut avoir un débat autour du niveau de progressivité de l'impôt que l'on veut mais il me semble compliqué de tolérer le fait que ceux qui ont des patrimoines plus importants que les autres paient proportionnellement moins d'impôts que les autres.
Par ailleurs c'est une rupture avec notre principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt et en termes de consentement à l'impôt du reste de la population, quand on voit les efforts qui lui sont demandés dans les derniers budgets, cela me paraît difficile.
Ce n'est pas qu'un débat franco-français, nous sommes en contact avec des chercheurs anglais, ils ont le même débat, on est sollicités par des gouvernements européens, latino-américains... Car depuis 3 ou 4 ans, on a des données de plus en plus précises pour mesurer la contribution des ultra-riches et les taux effectifs de leur imposition, cela n'existait pas auparavant.
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