C'est l'une des lois parmi les plus décriés de cette année. Votée au cours du précédent semestre, la loi Duplomb est revenue dans l'actualité à la faveur d'une pétition citoyenne très largement diffusée et signée par plus de deux millions d'internautes. Saisi par les parlementaires de gauche, le Conseil Constitutionnel doit se prononcer ce jeudi, sur ce texte qui suscite l'opposition mais surtout la colère de nombreux français.
En cause, la réintroduction, sous certaines conditions, d'un pesticide interdit: l'acétamipride, un produit de la famille des néonicotinoïdes. Son retour est réclamé par le très puissant syndicat agricole, FNSEA dont est issu le sénateur LR Laurent Duplomb, à l'origine de cette loi. En pointe, ce sont les producteurs de betteraves et noisettes qui réclament sa réintroduction.
Une réintroduction et une clause de revoyure
Mais ce pesticide, nocif pour la biodiversité est très décrié, notamment à gauche. Des parlementaires de ce champ politique ont d'ailleurs saisi le Conseil constitutionnel, arguant que la loi permettant sa réintroduction serait incompatible avec la préservation de l'environnement et le droit à la santé - à l'unisson de sociétés savantes et associations de patients. Pour faire pencher la balance en leur faveur, ils s'appuient notamment sur la charte de l'environnement, qui a valeur constitutionnelle.
Dans une décision de 2020, les Sages avaient déjà dû se prononcer sur une dérogation à l'interdiction des néonicotinoïdes pour les betteraviers, confrontés à une invasion de pucerons. Ils avaient alors reconnu leurs "incidences sur la biodiversité" et les "risques pour la santé humaine", tout en estimant que la dérogation était assez encadrée, notamment car temporaire. Dans la loi Duplomb, elle est prévue en cas de "menace grave compromettant la production agricole", mais sans limite dans le temps - seule une clause de revoyure est prévue après trois ans.
"Comme on a quelque chose qui est relativement pérenne", le Conseil constitutionnel pourrait "avoir une décision différente" de 2020, a déclaré à l'AFP le constitutionnaliste Benjamin Morel, sans toutefois vouloir "parier là-dessus".
La Coordination rurale, deuxième syndicat agricole, redoute une censure sur un autre article facilitant la construction d'ouvrages de stockage de l'eau, comme sur l'acétamipride. Auquel cas il faudra "être cohérent et interdire le Nutella fait avec des noisettes importées" et assumer de "sacrifier les agriculteurs", lance sa présidente Véronique le Floc'h.
Un contournement d'obstruction?
Autre motif invoqué par les parlementaires requérants contre cette loi: la procédure d'adoption de celle-ci. À l'Assemblée, aucun amendement de députés n'avait pu être débattu, le texte ayant été rejeté d'entrée par ses défenseurs, pour contourner l'"obstruction" de la gauche.
Le Conseil constitutionnel "pourrait considérer qu'il y a eu là une atteinte manifeste, importante, au principe de sincérité et de clarté du débat parlementaire, puisque la seule assemblée élue au suffrage universel n'a pas eu l'opportunité de débattre", estime le constitutionnaliste Dominique Rousseau.
Même si là encore, la jurisprudence semble désavantageuse aux requérants. Le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé par le passé sur l'utilisation au Sénat d'une manœuvre équivalente - sans censurer. "Vous ne pouvez pas sonder les reins et les cœurs pour savoir pourquoi les députés ont voté une motion de rejet préalable", souligne en outre Benjamin Morel. Une censure pour détournement de procédure aurait pour effet spectaculaire de faire tomber tout le texte.
"Peu importe la décision, on ne s'arrêtera pas là"
Les Sages pourraient-ils être influencés par la pression populaire exprimée à travers la pétition? Ou le risque de colère agricole, après les grandes manifestations de 2024. Le travail des juges "est autant que possible de s'extraire de tout le contexte médiatico-politique", rappelle Dominique Rousseau, mais "ils lisent les journaux, regardent la télé, écoutent la radio". La décision est en tout cas "la plus politique" depuis la nomination très critiquée de Richard Ferrand à la tête de l'institution, estime M. Morel.
Quoiqu'il en soit, une éventuelle validation de la loi par le Conseil constitutionnel ne marquera pas la fin de l'histoire, la gauche réclamant déjà à Emmanuel Macron une deuxième délibération au Parlement.
"Peu importe la décision, on ne s'arrêtera pas là", affirme le collectif Nourrir, qui rassemble différentes ONG. "Il faudra continuer à mettre la pression pour un vrai débat démocratique sur l'agriculture qu'on veut", renchérit Stéphane Galais, porte-parole du troisième syndicat agricole, la Confédération paysanne.
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