Élévation du niveau de la mer: comment anticiper les risques de submersion et d’érosion du littoral?
La Côte-d’Azur est en première ligne face aux effets du réchauffement climatique. Comment anticiper les risques de submersion et d’érosion du littoral? Acteurs du tourisme, ingénieurs et instituts de recherche expérimentent. Focus sur trois initiatives, des Vieux-Salins d’Hyères à la Camargue.
Emma NicolasPublié le 23/07/2025 à 10:07, mis à jour le 23/07/2025 à 10:07
Le Rayol-Canadel accueillera un récif aritificiel. Ici, la plage de Pramousquier Est. Photo P. L.
Avec le réchauffement climatique, la fonte des glaces fait monter l'océan et menace en premier lieu les zones côtières. Depuis 1993, les océans ont gagné 10 centimètres en moyenne, selon une analyse de la Nasa parue en mars dernier. Un rythme qui ne cesse de s'intensifier.
Les Alpes-Maritimes vont ainsi changer de visage. Imaginez, d’ici 2100: plus de liaisons internationales depuis l’aéroport de Nice, plus de Croisette à Cannes, ni de Vieux-Port à Menton. Et que dire d’Èze, déjà classée dans le décret du 30 avril 2022 parmi les 126 communes soumises à de nouvelles mesures d’urbanisme face au recul du trait de côte. Quant au Var, il n’est pas mieux loti.
Du Rayol-Canadel à la Camargue, pourtant, des solutions émergent. Acteurs du tourisme, ingénieurs et instituts de recherche cherchent à gagner du temps et montrent qu’il est possible d’agir. Petit tour d’horizon.
À mi-chemin entre Hyères et Saint-Tropez, la commune du Rayol-Canadel-sur-Mer, dans le Var, a bien failli voir ses plages disparaître sous l'effet de l'érosion côtière.
Mais il y a sept ans, à la suite d’un appel d'offres lancé par la municipalité, la société Corinthe Ingénierie a installé un récif artificiel à 50 mètres du rivage. Deux grands tubes en géotextile, remplis de sable, forment une barrière qui casse la houle. Comme le ferait une barrière de corail.
Pour trouver cette solution, les ingénieurs de Corinthe ont analysé les courants et la propagation de la houle à partir de données issues, notamment, de satellites. Résultat? En cinq ans, la plage a gagné 10 mètres de largeur alors qu'elle était menacée.
"Au lieu de se briser directement sur la plage, que nous avons rechargée avec du sable prélevé au large pour éviter les allers-retours de camions sur le site, les vagues se brisent sur les géotubes", détaille Sébastien Bernard, ingénieur associé et chef de projet chez Corinthe. "Le sable reste ainsi en place et l’herbier protégé de posidonies est préservé."
Les limites des tubes en géotextile
Cette solution a toutefois ses limites. D'abord, elle n'est pas réplicable partout. La preuve: le récif artificiel installé au Rayol ne pourra par exemple pas être adapté sur la petite plage voisine du Canadel, qui est également menacée par l'érosion, car les sites n'ont pas la même configuration.
Ensuite, si les géotubes représentaient une alternative innovante il y a une dizaine d’années – notamment parce qu'ils sont entièrement réversibles, contrairement à des digues ou des brise-lames en roches –, ils sont constitués de textiles synthétiques, autrement dit de plastique. Sébastien Bernard en a conscience: "Même s'ils sont très résistants, avec des traitements anti-UV pour éviter leur dégradation, la question de la diffusion potentielle de particules plastiques dans l'environnement se pose aujourd’hui."
Enfin, leur durée de vie reste limitée. "Les géotubes du Rayol sont suffisamment massifs pour résister aux houles de tempête que l'on peut rencontrer dans cette zone du littoral méditerranéen pendant plusieurs dizaines d’années," explique encore l’ingénieur. "Mais au-delà, il faudra envisager d’autres solutions… ou considérer qu'on perdra ce patrimoine côtier."
Aux Vieux-Salins, une gestion souple de la bande côtière
Vue du ciel des Salins d'Hyères.Valerie Le Parc.
Un peu plus loin, à Hyères, le site des Vieux-Salins illustre une autre manière d'anticiper l’élévation du niveau de la mer. Acquis en 2001 par le Conservatoire du littoral, ce vaste espace naturel protégé de 365 hectares fait partie des dix sites pilotes du programme européen de solutions fondées sur la nature (SfN) Life Adapto.
Ici, finies les digues rocheuses contre la mer: l'option choisie a été celle d’une "gestion souple" du trait de côte, dans une perspective de renaturation.
Après des années d'études menées par le BRGM et l'université d'Aix-Marseille, d'importants travaux de désenrochement ont été engagés entre 2019 et 2020. Près de deux kilomètres de rochers artificiels ont été retirés, permettant la restauration du cordon dunaire, d'une plage, et de tout un écosystème avec.
Des opérations de génie écologique ont aussi été mises en place, comme l'installation de ganivelles (des clôtures naturelles) en bois de châtaignier pour stabiliser les dunes.
Les résultats sont encourageants.
"Depuis le retrait des enrochements aux Vieux-Salins d’Hyères, l’érosion a diminué car les les sédiments circulent un peu plus librement", explique Gonéri Le Cozannet, ingénieur au BRGM, spécialiste des impacts du changement climatique et co-auteur du dernier rapport du Giec. "Pour le moment, c’est un succès."
Cette renaturation a aussi permis de recréer une interface entre la zone humide et la plage : la biodiversité est décuplée, avec plus de 300 espèces d’oiseaux désormais répertoriées sur le site.
Moins coûteuses que la construction de digues ou d'autres infrastructures dures, les solutions fondées sur la nature montrent ici toute leur efficacité: elles protègent le site des Vieux-Salins, restaurent ses écosystèmes et suscitent une adhésion locale.
Réfléchir à restaurer les côtes en Camargue.François Baille.
Restaurer les côtes à La Tour du Valat, en Camargue
Du côté de la Camargue, qui a régulièrement les pieds dans l’eau à cause des marées, le domaine de la Tour du Valat montre qu'une restauration du littoral à grande échelle est possible, en reconnectant rivières et mer.
Cet institut de recherche, basé à Arles sur près de 3.000 hectares et inscrit depuis 2021 sur la liste verte de l'Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), étudie la restauration de 300 hectares de lagunes côtières et 60 hectares de sansouïres (milieu limoneux inondable) tout en adaptant la gestion de l'eau avec les acteurs locaux.
Le projet s’appuie, là-aussi, sur des solutions fondées sur la nature pour adapter le littoral aux effets du changement climatique, tout en renforçant la biodiversité. Il s'agit notamment de rétablir les connexions perturbées entre les milieux aquatiques pour réactiver les dynamiques naturelles du littoral. À la clé, plusieurs bénéfices: réduction de l’érosion, moindre exposition aux submersions marines et amélioration de la qualité de l’eau.
Une expérimentation qui gagnerait à être déployée ailleurs, quand cela est possible.
"On encourage vraiment à regarder de très près ces expérimentations et à les amplifier. Les réponses qui en émergent apportent beaucoup aux écosystèmes", estime Gonéri Le Cozannet.
Autant de projets qui permettent de voir l'adaptation de façon plus large, et pourraient se multiplier dans les décennies à venir. Mais l'expert en risque côtier et submersion au BRGM prévient, l'adaptation ne suffira pas si elle ne s’accompagne pas d'une décarbonation et de mesures d’atténuation.
"En limitant les émissions de gaz à effet de serre, on peut limiter la vitesse d'élévation de la mer et éviter d'atteindre trop vite des seuils pour lesquels il sera difficile de s'adapter, 1 mètre, 2 mètres, etc."
L'idéal serait de pouvoir anticiper et d'organiser les choses sur plusieurs années, voire décennies. "On sait que certaines zones seront submergées tôt ou tard, et l'adaptation côtière demande beaucoup de temps", explique Gonéri Le Cozannet.
"Pour limiter les dommages aujourd'hui, il peut être parfois plus pertinent de rehausser les planchers des habitations, plutôt que de relocaliser tout de suite. Mais en faisant ça, il ne faut pas imaginer qu'on résout le problème pour deux siècles… dans 20 ans, il faudra relocaliser, vraiment.”
commentaires
ads check
“Rhôooooooooo!”
Vous utilisez un AdBlock?! :)
Vous pouvez le désactiver pour soutenir la rédaction du groupe
Nice-Matin qui travaille tous les jours pour vous délivrer une
information de qualité et vous raconter l'actualité de la Côte d'Azur
Et nous, on s'engage à réduire les formats publicitaires
ressentis comme intrusifs.
Si vous souhaitez conserver votre Adblock vous pouvez regarder une seule publicité vidéo
afin de débloquer l'accès au site lors de votre session
Nous avons besoin de vos cookies pour vous offrir une expérience de lecture optimale et vous proposer des publicités personnalisées.
Accepter les cookies, c’est permettre grâce aux revenus complémentaires de soutenir le travail de nos 180 journalistes qui veillent au quotidien à vous offrir une information de qualité et diversifiée. Ainsi, vous pourrez accéder librement au site.
Vous pouvez choisir de refuser les cookies en vous connectant ou en vous abonnant.
commentaires