Depuis les tribunes du court Suzanne-Lenglen de Roland-Garros, à Paris, Hugo Guerriero (32 ans) n’a pu que constater la défaite de Corentin Moutet, dont il est le coach, face à Novak Djokovic (6-3, 6-2, 7-6) jeudi dernier. Le Toulonnais, originaire de Vesoul (Haute-Saône), revient sur son parcours autour du tennis, d’abord raquette en main, puis dans l’accompagnement de talents mondiaux.
Racontez-nous votre première expérience de coaching professionnel...
Elle débute en Tunisie, lors d’un tournoi mixte où je suivais un jeune. Dans cette compétition, Ysaline Bonaventure, une Belge que je saluais régulièrement, s’était séparée de son entraîneur après sa défaite. Le soir même, vers 22h, je vais me prendre une boisson et je la croise par hasard. Elle me demande de la dépanner pour les trois prochaines semaines. Quand on commence, elle est 230e mondiale. Après un tournoi à Grenoble et un au Kazakhstan, où elle performe, elle me fait une proposition pour devenir son entraîneur à temps plein. Ça se passe très bien et on fait quelque chose de fort: elle monte jusqu’à la 81e place mondiale, ce qui était un objectif pour nous.
Depuis quand arrivez-vous à vivre de votre métier?
Je vis uniquement du tennis depuis 2020. Quand tu travailles, il faut pouvoir en vivre. Si ça n’avait pas été le cas, j’aurais fait autre chose. Mais, au final, ma patience a été bonifiée. La réalité de ce métier, c’est que ça peut s’arrêter demain. Ce sont les joueurs qui décident de nous garder ou non, ça dépend d’eux.
Vous collaborez avec Corentin Moutet depuis novembre 2024. Mais vous l’avez coaché en binôme avec Petar Popovic au début de l’année 2025. Comment s’articulait ce trio?
Corentin a toujours voulu essayer d’avoir deux coachs en même temps. Avec Petar, ça nous permettait de souffler et de se partager les semaines, lors de grandes tournées par exemple. On pouvait parfois laisser l’autre gérer pour pouvoir rentrer chez soi. Malheureusement, après Madrid, en avril, Corentin a décidé de se séparer de nouveau de Petar. On a recommencé que lui et moi.
Quels sont ses qualités et ses défauts?
Corentin est très travailleur, il a un gros volume d’entraînement. Il endosse une lourde charge de travail. Je le trouve très courageux de jouer son tennis. J’ai beaucoup de respect pour lui car c’est un vrai combattant. Quand il y a des faits de jeu contre lui, le côté émotionnel est plus compliqué. Mais il fait des progrès: Corentin n’a jamais été aussi mature qu’aujourd’hui! Il y a vraiment une constance dans le contenu qu’il met chaque semaine, il progresse beaucoup.
À Rome, Corentin Moutet remporte sa première victoire contre un top 10, Holger Rune. Est-ce que cette performance peut être un déclic pour lui?
C’est la plus belle victoire de sa carrière donc espérons-le! Le tournoi à Rome était top, on a fait une belle semaine. On bat Ugo Humbert, puis on a la confiance contre Rune. C’est ce genre de semaine qui peut avoir un gros impact sur sa carrière. S’il est capable de reproduire ça, sa vie tennistique va énormément changer. C’est mon souhait en tout cas.
À 26 ans, est-ce qu’il peut encore viser le haut du classement mondial?
Quand il était jeune, il était toujours dans les meilleurs. Il est donc difficile de l’imaginer vouloir moins que ça. À court terme, on aimerait se stabiliser dans le top 50 [son meilleur classement était 51, en novembre 2022, Ndlr]. À moyen terme, on voudrait intégrer le top 30. Puis, il y a, comme objectif secondaire, de commencer à être tête de série dans les six prochains mois.
En dehors des matchs, il possède vraiment le "mauvais caractère" qu’il laisse transparaître en match?
Je ne pense pas qu’il ait mauvais caractère. Dans les médias, c’est souvent la seule chose qui est pointée du doigt. Le reste est occulté. C’est comme son service cuillère, ça ne représente qu’un pour cent du match, pourtant on en parle beaucoup. En dehors du terrain, il ne s’énerve jamais, il est calme, prend des photos avec les fans. Il est toujours aimable et reconnaissant des gens qui nous rendent service. C’est sa manière à lui de répondre et, mon travail, c’est de ne pas le juger et de mettre des mots dessus avec lui. À Rome, il ne s’est rien passé alors qu’il était souvent mené au score. Preuve que ce n’est pas le score qui influe.
Est-ce que la fougue, et la capacité de Corentin à emmener le public lors de ses matchs, est l’une des pièces manquantes à la réussite des tennismen français aujourd’hui?
C’est vrai qu’il a cette faculté à emmener le public que d’autres n’ont pas car ils sont plus réservés et modérés. Mais, avec son jeu, les gens l’adorent ou le détestent. Dans tous les cas, ils viennent le voir parce qu’il montre des belles choses. On a une vision erronée du tennis français masculin car, aujourd’hui, je ne le trouve pas autant en difficulté. On a des jeunes qui commencent à performer, ça va mieux.
Est-ce que la nouvelle génération, incarnée entre autres par Arthur Fils, va être capable de titiller les sommets et de remporter des titres?
Je pense que oui, la nouvelle génération a la capacité de gagner un Grand Chelem. On s’entraîne régulièrement avec Arthur, il doit se donner les moyens de ses ambitions et s’affirmer pour passer un cap, et battre des Sinner ou des Alcaraz qui sont un cran au-dessus. Côté masculin, on n’a pas trop de soucis à se faire.
Comment analysez-vous l’état du tennis féminin en France au niveau professionnel?
On est dans une période difficile: on ne devrait avoir qu’une seule française dans le top 100 à l’issue de Roland-Garros. C’est dur car il n’y a pas de vivier dans les catégories de 12 à 17 ans. Alors qu’il y a des Russes, des Tchèques, des Américaines, des Canadiennes qui performent bien à cet âge-là. Je pense que la fédération doit s’interroger sur les cursus de formation des jeunes.
commentaires