Aussi discrets soient-ils, leur réputation les précède et voilà quelques semaines que Gérard Davet et Fabrice Lhomme n’enquêtaient plus totalement en dehors des radars à Monaco et son pourtour. Ce lundi, les journalistes du Monde, déjà auteurs de l’enquête "Main basse sur le Rocher" en 2022, ont ainsi publié le premier volet d’une nouvelle série de révélations baptisée "Monaco, les cahiers secrets". Après s’être penchés sur les "Dossiers du Rocher", cette fois le binôme braque sa plume sur le cas de Claude Palmero, ancien administrateur des Biens de la famille princière remercié par le prince Albert II en juin 2023.
Alors que les deux camps s’écharpent en justice, Claude Palmero ayant saisi la Cour européenne des droits de l’Homme tandis que le Prince et ses sœurs l’attaquent pour vol et abus de confiance, Davet et Lhomme ouvrent le contenu "explosif" de cinq cahiers de bord tenus quotidiennement par Claude Palmero durant ses 22 années au Palais princier.
Argent et succession
Des dépenses de chaque Grimaldi à celles des enfants illégitimes du Prince, en passant par le nombre et le statut de leur personnel, tout y passe! Jusqu’aux consignes du prince Rainier III quant à sa succession au trône et un avis juridique sollicité auprès de Patrice Davost, alors directeur des Services judiciaires, en 2001. Ce dernier confirmant au Monde avoir "mené une enquête discrète pour savoir si Andrea [Casiraghi] pourrait hériter du trône", dans l’hypothèse d’une renonciation de ses droits à la couronne par la princesse Caroline. Patrice Davost précisant: "Je me suis demandé, à l’époque, s’il ne voulait pas écarter son fils, vu leurs relations difficiles, mais Rainier m’avait dit que c’était au cas où Albert viendrait à décéder."
Dès les premières des 17 minutes nécessaires à la lecture de cette reconstitution des carnets intimes de Claude Palmero, on comprend que ce dernier, décrit comme un multimillionnaire sous tranquillisants parcouru par des "idées noires" lors de ses footings sur les hauteurs de La Turbie, n’a plus rien à perdre.
En octobre dernier, son avocat, Me Pierre-Olivier Sûr, sortait du bois dans Monaco-Matin pour marteler l’intégrité de son client et laver son honneur en fixant des limites – "II y a des choses que Claude Palmero ne fera pas. Tous les coups ne sont pas permis!". Trois mois plus tard, Claude Palmero ouvre la boîte de Pandore dans l’un des plus grands quotidiens français dévoilant le train de vie des princesses et leurs enfants. Le comptable peste ainsi qu’en décembre 2019, la princesse Charlène ait dépensé en huit ans "environ 15 millions d’euros, pour 7,5 millions d’euros de dotations". Pointant du doigt une porosité entre budget de l’État et budget de la famille princière.
Pourquoi un tel déballage? "Toutes les insinuations malveillantes et accusations ubuesques incessantes contre moi relèvent d’un harcèlement constant et d’une volonté de nuire."
Front commun au Palais
Dans les couloirs du Palais, on avait vu la bête blessée arriver. Dès l’été, le prince Albert II et ses sœurs, les princesses Caroline et Stéphanie, avaient été avertis qu’une fois leur plainte commune – et inédite – contre Claude Palmero déposée, leur intimité serait un jour ou l’autre livrée en pâture sur l’autel du sensationnalisme. Qu’importe ils avaient décidé de faire front commun.
Si l’acte 1 du Monde ne vire pas encore aux secrets d’alcôve, le train de vie de la famille princière est dévoilé au grand jour en sous-entendant une passivité du Prince, qui épongerait les dettes.
Face à l’accumulation de biens acquis au nom de la famille princière via des sociétés civiles immobilières, Claude Palmero avance son "dévouement, pour éviter des risques (notamment fiscaux) au prince et à la famille princière". Faux selon l’avocat du Prince, Me Jean-Michel Darrois: "Sans la tenir informée, il avait organisé un système par lequel il s’acquittait de la fiscalité française avant de le refacturer aux membres de la famille concernés".
Lanceur d’alerte autoproclamé, Claude Palmero se serait ainsi attiré l’inimitié des princesses Caroline et Stéphanie les années passant. Et désormais, celle du Prince.
"Être employé dans une maison souveraine, comme pour toute fonction exercée au plus haut niveau de l’État, confère une certaine influence, mais impose également des devoirs qu’il ne faut pas oublier. Comment réagirait un chef d’État si l’un de ses collaborateurs les plus proches n’était pas en mesure de lui fournir les réponses demandées?" Car au Palais, on aime à rappeler que celui qui n’a pas digéré son renvoi n’était pas le dernier pour se séparer soudainement d’un collaborateur, que la gestion des comptes étaient opaques, "notamment à travers une myriade de sociétés basées dans différents paradis fiscaux", notent Davet et Lhomme.
Le Prince outré
L’audit diligenté au cœur de l’été sur la gestion de la fortune de la famille princière aurait ainsi révélé "une situation catastrophique" selon le souverain. "Mes sœurs et moi n’avons pu récupérer l’intégralité de notre patrimoine qu’après de nombreux mois et des procédures judiciaires. Ce refus de restituer notre patrimoine est en totale contradiction avec l’intégrité et la droiture dont il se drape aujourd’hui."
Évoquant des attaques personnelles en des termes "insultants", le prince Albert II conclut en affirmant que le contenu des cahiers de Claude Palmero ne renfermerait que sa réalité. "Les prérogatives de Claude Palmero ne l’autorisaient pas à parler en mon nom, ce qu’il a fait de plus en plus régulièrement, refusant même, par moments, de relayer mes décisions. Ses devoirs lui imposaient une discrétion absolue, que ses déclarations publiques ont violée. Ils lui imposaient également une loyauté que les derniers propos inacceptables qu’il m’a tenus ont foulée aux pieds. En me séparant de M. Palmero, j’ai exercé le pouvoir de choisir l’administrateur des biens de mon choix. Les événements ont confirmé combien cette décision était la bonne."
Chronologie d'un divorce
Octobre 2021
Piratés sur la boîte de Me Thierry Lacoste, des centaines d’e-mails sont diffusés sur un site Internet baptisé "Les Dossiers du Rocher". Le quatuor au cœur de ces échanges, composé de Thierry Lacoste, avocat et ami d’enfance du souverain; Claude Palmero, administrateur des Biens de la famille princière; Laurent Anselmi, haut fonctionnaire du gouvernement, et Didier Linotte, président du Tribunal Suprême de Monaco, est alors rebaptisé "G4". Le ou les corbeau(x) les accuse(nt) d’avoir manigancé dans le dos du souverain pour leurs intérêts personnels, essentiellement sur des questions immobilières entre 2010 et 2020.
24 mai 2023
Dans un entretien accordé à Monaco-Matin, le Prince regrette d’être associé à ces affaires et que la Principauté soit aussi salie. "Il faut laisser la justice faire son travail, mais j’espère que ce temps ne sera pas trop long car tout cela devient très pesant. Et qui est-ce qui se retrouve en première ligne, en photo dans les journaux? C’est moi. Pourtant, je ne suis pas mêlé ni de près ni de loin à ces attaques."
6 juin 2023
Fidèle parmi les fidèles du Prince, le colonel Luc Fringant est missionné pour remettre à Claude Palmero une lettre mettant fin à ses fonctions "à effet immédiat". Désormais interdit d’accès au Palais princier, l’administrateur des Biens est prié de faire ses cartons, aidé par quelques Carabiniers pour les charger dans sa voiture.
12 juillet 2023
Dans un entretien accordé au Figaro, le Prince revient sur l’éviction de Claude Palmero. "Quand la confiance n’est plus là et lorsqu’il n’y a pas de réponses claires aux questions posées, il convient de prendre des décisions. Il faut aller de l’avant. Ce qui a été appelé les ‘‘Dossiers du Rocher’’ a fait déborder le vase."
13 juillet 2023
Claude Palmero saisit le Tribunal Suprême de Monaco de deux requêtes pour obtenir l’annulation de la décision de révocation prise par le Prince; et la suspension de l’exécution provisoire de cette révocation. Requêtes rejetées le 18 septembre.
18 septembre 2023
Le prince Albert II et ses sœurs, les princesses Caroline et Stéphanie, portent plainte contre Claude Palmero à Monaco pour abus de confiance et vol, dans le but d’obtenir des explications et la restitution de titres de sociétés et de documents propriété de la famille princière.
11 janvier 2024
Claude Palmero saisit la Cour européenne des Droits de l’Homme. "Cette procédure devrait conduire la Principauté à respecter à l’avenir les principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de la justice, corollaires indispensables de la lutte contre la corruption et l’établissement d’un État de droit."
12 janvier 2024
"Comme à tout mandataire, il a été demandé à M. Palmero de faire un rapport de sa gestion après son départ. Et il a été très compliqué d’obtenir des informations", révèle l’avocat du Prince, Me Jean-Michel Darrois. "Tous les documents étaient au nom de Claude Palmero, du moins tout ce que l’on a trouvé [...] Or, il aurait fallu que tout cela revienne automatiquement au Prince!", ajoute-t-il avant de révéler "qu’une très grande partie du patrimoine de la famille princière a été restituée aujourd’hui".
La réponse des avocats de Claude Palmero
"Claude Palmero n’a rien « déballé » ni « révélé » comme cela est avancé dans Monaco-Matin du 23 Janvier 2024. Le Monde rapporte d’ailleurs les propos de Claude Palmero selon lesquels « ces cahiers sont confidentiels et n’ont pas vocation à être montrés ». Il ne les a donc pas montré au journal Le Monde. Comme l’écrivent eux-mêmes les deux journalistes : « Le Monde a fini par avoir accès à leur contenu, comme à d’autres documents confidentiels … ». Ces deux journalistes ont minutieusement enquêté, se rendant à Monaco, et ils ont donc leurs propres sources. En d’autres termes, ces « révélations » sont bien celles du journal Le Monde. Malgré sa volonté de discrétion, Claude Palmero, qui lutte avec constance contre la corruption depuis longtemps, a finalement accepté de répondre aux questions des deux journalistes d’investigation sur la base des informations qu’ils détenaient, afin de rétablir la vérité face à la campagne mensongère dont il est victime depuis Juin 2023. Et, qui a ouvert la boite de Pandore ? Sinon le Prince, dans son interview parue dans Le Figaro le 13 Juin dernier, dans laquelle la réputation et l’honneur de Claude Palmero ont été piétinés, ainsi que par les allégations mensongères qui ont suivi »."
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