"Aujourd’hui, la bataille de 57 ans commence à porter ses fruits." Après tant d’épreuves et de désillusions, Mathieu et Louis Paoli, à respectivement 80 et 76 ans, accueillent avec une satisfaction mesurée la perspective de recherches sous-marines, dans la zone du crash de la Caravelle où se trouvaient leurs parents. Une bonne nouvelle? "Une reconnaissance, rectifie Mathieu Paoli. On ne peut pas dire qu’on a gagné. On ne le dira jamais..."
Pas question de crier victoire, mais au moins une certitude: "C’est la conclusion." Enfin, dans les mois qui viennent, la perspective devient réelle "de voir des photos de la carlingue, et d’avoir entre les mains le réacteur". Celui qui a, selon eux, été percuté par un missile tiré par erreur. à moins que ce réacteur ne s’y trouve pas... "Auquel cas, ça voudra tout dire, prévient Mathieu Paoli. Il ne se sera pas enlevé tout seul!"
L’onde de choc
Ce 11 septembre 1968, Mathieu Paoli, 23 ans, jeune marié, travaille dans une usine. En rentrant déjeuner, il entend à la radio : "Nous sommes toujours sans nouvelle de la caravelle Ajaccio-Nice."
Ses parents, Ange-Marie et Toussainte Paoli, ont embarqué à bord du vol AF 1611. "Ma belle-sœur a appelé pour savoir qui était dans l’avion. Le lendemain, un type d’Air France est venu avec une mallette taper à la porte de mon frère Jacques. Quand il est rentré, il a dit: "Vos parents étaient dans l’avion". Nous nous sommes jetés sur les lits en pleurant. Nous étions perdus de chez perdus..."
Vies brisées
Mathieu Paoli raconte ces vies qui basculent. Ce cauchemar qui se matérialise sous la forme de quinze cercueils, d’une messe célébrée dans une chapelle ardente à Magnan. Ces effets personnels remis par les enquêteurs. "On a uniquement retrouvé le porte-monnaie de maman. Avec un billet de cinq francs à l’intérieur. On l’a toujours..."
D’emblée, la thèse du missile revient à leurs oreilles, contredisant celle d’un incendie d’origine accidentelle à bord. "On n’y croyait pas. On n’y a jamais cru, balaie Mathieu Paoli. La rumeur du missile circulait déjà au mois de septembre 68. Nice comme à Paris, dans les couloirs du palais de justice où notre tante Marie-Rose Paoli était avocate."
Mais l’enquête de l’époque écarte cette thèse. Il faut attendre la fin des années 90, "et le journal de Claire Chazal", pour la voir revenir dans l’actu médiatique.
Au fil du temps, les langues se délient. Des journalistes investiguent. Plusieurs témoins donnent du crédit à la thèse du missile. Des exercices militaires auraient bien eu lieu au large de l’île du Levant, le jour du crash, contrairement à ce que soutenait l’armée.
Et la page du 11 septembre 1968, sur le carnet de bord d’une frégate potentiellement impliquée, a été à moitié arrachée... De quoi nourrir des soupçons croissants.
Soupçons de dissimulation
C’est un témoignage décisif qui vaut à cette affaire d’avoir survécu au temps judiciaire. Celui d’Alain Frasquet. Preneur de son à l’ORTF, il raconte la venue de visiteurs, se disant des renseignements généraux, dans les locaux de France 3 à Antibes le jour du crash.
Il rentre d’un reportage au centre de contrôle du Mont-Agel. Une bande-son est confisquée. On pouvait y entendre: "Merde, on l’a perdu!"
L’opérateur parlait-il d’un missile? Le doute est légitime. C’est pour en avoir le cœur net que le procureur De Montgolfier a ouvert une enquête pour dissimulation de documents et soustraction de preuves, en 2012. Les recherches en mer en sont la conséquence.
En quête de vérité
Les frères Paoli saluent l’opiniâtreté de leurs avocats, le travail de la juge, le soutien du procureur. L’enquête doit beaucoup à leur propre ténacité.
L’association des familles de victimes, créée en 2008 et présidée par Mathieu Paoli, revendique aujourd’hui encore une cinquantaine de membres. Ils se disent "motivés, déterminés". Ils n’attendent pas d’indemnisation, mais la vérité.
Et si ces recherches en mer se soldaient par un échec? N’apportaient pas de certitude? Ou mettaient à mal les leurs? "Nous ne serons jamais déçus, car nous verrons au moins les photos de l’avion, relativise Mathieu Paoli. Nous sommes contents que les recherches aient enfin lieu. Et nous serons contents que l’armée reconnaisse et regrette l’erreur qu’ils ont faite."
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