Hausse de 247% des complications sanitaires chez les jeunes: le protoxyde d'azote est un fléau hors de contrôle dans la région Paca
Sa consommation détournée fait des ravages chez la jeune génération. Dans la région Paca, on enregistre une augmentation de 247% des complications sanitaires.
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Margot Dasque (mdasque@nicematin.fr)Publié le 07/07/2025 à 08:20, mis à jour le 07/07/2025 à 08:20
L’image du "ballon", faussement fun et sans conséquence, jouerait en faveur de sa démocratisation.Photo d'illustration Sébastien Botella
"Je ne fume pas, alors respirer un truc chimique, ça ne me dit rien", assure, mine dégoûtée, Tom, 17 ans. À ses côtés, sous son bob à l’ombre d’une rue de la vieille ville d’Antibes, son ami, qui préfère se faire appeler Jo: "Moi, j’ai déjà testé. Il y en a que ça rend accros, qui ne font plus que ça…" Lui a 19 ans. Il ferait donc partie des 14%* de 18-24 ansqui ont déjà expérimenté l’inhalation du protoxyde d’azote.
Détourné de son usage premier - servir de propulseur dans les siphons culinaires - le N2O est injecté dans des ballons de baudruche, pour être ensuite inspiré. Avec un effet très court - 2 ou 3 minutes -, une hilarité, une perte des sens, des repères, voire des effets hallucinatoires. Sauf que ledit gaz hilarant porte très mal son nom.
Les dangers sont considérables: asphyxies, complications neurologiques, troubles cardiovasculaires, pertes de connaissance… Un fléau.
En 2019, déjà, l’Association française des centres d’addicto-vigilance faisait part de son inquiétude face à l’augmentation des complications sanitaires graves liées à cette pratique.
"Cela fait deux-trois ans que ça nous explose à la figure", constate amèrement Quentin Maton, président de l’association "G-Addiction Jeunesse citoyenne", qui sensibilise notamment les collégiens azuréens. "Nos équipes mobiles, qui vont à la rencontre des jeunes toutes les semaines, aussi bien dans les bars et restaurants du cours Saleya que du port de Saint-Laurent-du-Var, ou encore sur les plages de la Croisette, retrouvent des capsules, des bonbonnes."
La partie visible de l’iceberg. "Il y a quelques années, cet usage était surtout courant dans les milieux étudiants. Mais aujourd’hui, le public s’est rajeuni. Quand on fait des interventions dans les collèges, ce sont les élèves eux-mêmes qui nous en parlent! Ils ont 11, 12, 13 ans…"
L’image du "ballon", faussement fun et sans conséquence, jouerait en faveur de sa démocratisation: "C’est un peu comme la puff [cigarette électronique à usage unique, Ndlr]: on rend le truc séduisant et anodin, avec des saveurs, comme si c’était un chewing-gum…" Or "ce n’est pas cher et plus facile de s’en procurer que des stups, malgré la législation."
Si, aujourd’hui la loi de 2021, interdit la vente aux mineurs** et condamne sa vente aux majeurs dans les bars, discothèques, débits de boissons temporaires et bureaux de tabac***, il suffit de se rendre sur les réseaux sociaux pour comprendre combien la substance circule.
Exit les traditionnels siphons à chantilly: le protoxyde d’azote prend désormais la forme de bonbonnes bleues contenant l’équivalent de 80 à 100 cartouches, qui inondent le marché depuis les Pays-Bas. Avec même une gamme au goût fruité: ananas, noix de coco, myrtille…
En vente sur le Net, Snapchat, et "certains magasins…"
Les adolescents se filment, ballon en main gonflé depuis la bouteille, hilares. Des jeunes filles apprêtées dansent et font la moue en vantant cette pratique. Un jeune homme, sur la Croisette, la romantise face au coucher du soleil…
Des publicités fournies par les consommateurs eux-mêmes, sans filtrage aucun. Rien n’empêche dès lors de croire - encore plus lorsque l’on est très jeune - qu’il n’y aurait rien de mal à commander des bonbonnes sur Internet ou via Snapchat.
Tout est indiqué: horaires de livraison (souvent en soirée et la nuit), tarifs et secteur. "20 euros la bonbonne, 60 euros la maxi", propose un revendeur à Toulon.
"Certains magasins ouverts tard en vendent. Mais ce n’est pas affiché, il faut connaître, demander et ils sortent ça de derrière", glisse un jeune homme de 19 ans qui ajoute, gêné: "Je ne veux pas dire où, mais on peut facilement en trouver dans les grandes villes de la Côte d’Azur."
Refusant la banalisation de ce phénomène, elle est notamment montée au créneau lors de l’examen du texte créant le délit d’homicide routier: "Il faut sanctionner, même s’il n’y a pas accident, la conduite sous l’emprise de protoxyde d’azote." Une bombe à retardement sur nos routes.
Plus récemment, et même si le lien avec l’accident n’a pas pu être établi, plusieurs bouteilles ont été retrouvées dans la voiture qui a percuté deux infirmières, tuées sur l’A8 à Mandelieu.
"Quand vous combinez l’alcool aux stupéfiants, vous multipliez par 29 le risque d’accident, assure Quentin Maton. Alors quand vous associez d’autres substances comme le “proto”, c’est un cocktail explosif, ça décuple les risques!"
Sauf que, voilà: à cette heure, la prise de N2O échappe complètement aux contrôles routiers. Et pour cause: ce gaz inodore et incolore n’est pas détectable. "C’est une sorte d’angle mort", observe la sénatrice.
Une loi pour sanctionner pénalement la consommation
Pour faire face, les maires des communes prennent des arrêtés - qui viennent s’ajouter à celui du préfet, d’octobre 2020, qui interdit notamment la consommation sur la voie publique.
À Antibes, Jean Leonetti s’apprête à le faire: "Toute personne en possession de protoxyde d’azote pourra faire l’objet d’une sanction."
À Mandelieu, c’est déjà le cas. La police municipale verbalise sur la voie publique, indique Pierre Boutillon, directeur de la sûreté publique de la commune, qui mène également des opérations de prévention: 52 PV dressés depuis 2024, dont 17 en 2025.
À Cannes, la police municipale a dressé 131 procès-verbaux cette année pour consommation de protoxyde d’azote sur la voie publique. Une mesure dont se félicite le maire, David Lisnard, qui fustige le manque d’action du gouvernement sur le sujet.
À Nice, le contrôle sanitaire des établissements a permis "105 retraits de marchandise réalisés en 2025 dans des épiceries de nuit". Pour Christian Estrosi, un "cadre plus strict" est nécessaire.
Une proposition de loi**** a été présentée et votée en ce sens au Sénat, le 6 mars dernier. Elle sanctionne pénalement la consommation détournée de protoxyde d’azote, instaure le principe de vente soumis à autorisation administrative, et oblige les fabricants à afficher n message d’avertissement. Le texte est en attente pour être inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
*Source: Baromètre Santé publique France, 2022.
**Dans les commerces, lieux publics et sur Internet, punie par une amende de 15.000 euros.
***Amende de 3.750 euros.
****Par Ahmed Laouedj, sénateur RDSE de Seine-Saint-Denis.
Au-delà des risques graves pour la santé, les bonbonnes peuvent provoquer des explosions dans les usines de traitement des déchets. Photo J. T..
Des explosions dans les centres de déchets
Et ces bonbonnes, elles partent où, une fois vides? Beaucoup sont abandonnées dans les espaces publics: à Cannes, en une semaine, ce sont 600 bonbonnes ramassées; l’an dernier, près de 6.000 cartouches ont été retrouvées dans les rues de Nice.
Or elles ne doivent pas être jetées dans les ordures ménagères, mais apportées en déchetterie. Pourquoi? Parce qu’elles éclatent dans les usines de traitement. En 2024, le four d’incinération d’Antibes Valomed a fait face à plusieurs explosions. Résultat: dix arrêts de l’unité de valorisation énergétique sur un an.
En plus de présenter un risque pour les agents, la continuité du service est mise en péril, explique Hassan El Jazouli, vice-président d’Univalom: "Chaque arrêt dure entre cinq et six jours. Il faut 48 heures pour que le four refroidisse, 24 à 48 heures d’intervention et 24 heures pour la remise en route."
Obligés de trier à la main
Pendant ce temps, la collecte des déchets ne s’arrête pas. Ils sont détournés, stockés ou envoyés dans le Var. Pour faire face, des processus sont testés, avec du tri à la main. Une étape "longue et fastidieuse", qui ne peut répondre seule à ce phénomène qui prend de l’ampleur durant les périodes festives: Halloween, la fin d’année et l’été. Dans la Métropole Nice Côte d’Azur, "la conception d’un marché intégrant l’IA pour la détection d’objets dangereux lors de la collecte" a participé au détournement de "1.000 bouteilles" qui ont évité l’unité de l’Ariane.
Afin de prendre en charge le coût lié à la collecte et au traitement de ces déchets, une proposition de loi a été votée au Sénat. Le but? Instaurer le principe pollueur-payeur pour les fabricants.
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