Ils étaient inséparables. Indissociables. Et omnipotents. À deux, ils ont régné sur la vie politique azuréenne pendant de longues années. Ils ont fait la pluie et le beau temps, barré main dans la main dans les tempêtes.
Construits à deux, déconstruits à deux
Christian Estrosi et Éric Ciotti se sont construits à deux. Puis se sont déconstruits à deux. Leur rupture cadence et déchire aujourd’hui la vie politique azuréenne. Elle est idéologique, mais aussi personnelle, et donc profonde et irrationnelle. Un divorce dans la douleur, propice à tous les excès, dans les deux camps. De la symbiose absolue à la guerre sans merci: la haine est à hauteur de la force du lien qui les a unis par le passé.
1988-2010: l’âge d’or
Leur binôme se forme en 1988. Estrosi a 33 ans, Ciotti 23. Le premier, ancien champion de moto, est candidat aux législatives - par hasard - le second sort de Sciences Po et tourne le dos à l’ENA pour l’accompagner dans l’aventure. Ça fonctionne. Le premier devient député, le second endosse le costume d’attaché parlementaire à l’Assemblée nationale. Le début d’une série de réussites en duo.
De 2003 à 2007, Christian Estrosi prend la tête du Conseil général des Alpes-Maritimes. Toujours dans l’ombre, le fidèle parmi les fidèles obtient les rênes de son cabinet. Une fonction qu’il cumule, de 2005 à 2007, avec celle de conseiller de Christian Estrosi, alors ministre délégué à l’Aménagement du territoire.
2008, Estrosi remporte la mairie. Dans son sillon, là encore, il embarque son cadet. C’est l’entrée dans la lumière: Ciotti devient premier adjoint au maire de Nice. Estrosi doit lâcher la présidence de la collectivité départementale. Un tour de passe-passe plus tard, voilà Ciotti à la place d’Estrosi.
Leur vie politique est un long fleuve tranquille. Les deux barons dominent le département. Et trustent le parti auquel ils appartiennent encore tous les deux: l’UMP, l’ancêtre des Républicains.
2010- 2013, ça commence à coincer. Chaque camp a son explication. Chez Estrosi, on avance que par ambition, Ciotti aurait été déloyal en coulisses. Chez Ciotti, on insinue qu’Estrosi aurait peu goûté la notoriété grandissante de son ancien collaborateur. Le début d’une guerre d’ego... Mais, les frictions entre les deux élus n’éclatent pas au grand jour. Les deux barons savent qu’ils ont trop à perdre. Certains proches espèrent que ça va passer, d’autres soufflent sur les braises.
Le vernis craque en 2017
2015, rebelote. Cette fois, ça chauffe vraiment. Là encore, on s’efforce de poser un couvercle sur une cocotte-minute sous pression. Estrosi et Ciotti se battent froid. Terminées les embrassades en public, désormais on se serre la main du bout des doigts. Le vernis craque lors des législatives de 2017. "Je peux dire que je dois ma première élection à Christian Estrosi et Nicolas Sarkozy. Cette victoire, ce soir, je la dois à vous. J’ai été élu sans Christian Estrosi et quelque part avec son opposition", lance devant les militants de sa permanence du port, le député LR reconduit pour son troisième mandat. Le maire de Nice, lui, entame, lentement mais sûrement, son virage macroniste. Une trahison pour Ciotti qui campe sur sa droite.
2020, la fugace paix des braves
C’est désormais officiel, les deux anciens amis ne peuvent plus se voir en peinture. Tout est prétexte aux affrontements, aux petites piques, aux phrases assassines et aux coups bas. Pour Ciotti, rien ne va plus au royaume "bling bling" d’Estrosi: endettement de la Ville et de la métropole, projets pharaoniques, impôts qui explosent, etc. Le patron des Républicains azuréens défouraille à tout-va. Objectif municipales en 2020 à Nice? Ciotti entretient le suspense. Le soufflé retombe à quatre mois du scrutin. Ciotti renonce sous l’effet d’un accord avec le maire de Nice. Il positionne trois élus sur la liste du sortant. Une fugace paix des braves: un an après, l’accord vole en éclats. Et tous les coups sont désormais permis. Les deux hommes ne se saluent plus, ne se parlent plus. Ne se supportent plus. Les comptes se règlent en douce, les élus métropolitains doivent choisir leur camp, sinon gare aux représailles.
Guerre fratricide devient idéologique
Mai 2021, Christian Estrosi quitte les Républicains pour embrasser officiellement six mois plus tard la Macronie, via Horizons, le parti d’Édouard Philippe dont il devient le vice-président. La querelle personnelle prend véritablement un tour politique.
Eric Ciotti continue son ascension au sein des Républicains jusqu’à en prendre la présidence en décembre 2022. Localement, les deux élus s’écharpent encore et encore. Démolition d’Acropolis et du TNN, reconstruction post-tempête Alex, insécurité dans les rues de Nice: tout est bon pour pilonner le maire de Nice.
Juin 2024, Ciotti enfonce le clou. Il annonce son alliance avec Rassemblement national au lendemain des européennes. La guerre fratricide se transforme en guerre des droites. Ces droites qui vont s’affronter pendant plus de mois à Nice dans un combat qui s’annonce sanglant.
commentaires