"Non, à 15 ans, on n'est pas consentant(e) à se prostituer. Ces enfants sont des victimes! Il n'y a rien de glamour à être victime de proxénètes dans une société hypersexualisée. Je ne lâcherais rien pour protéger les victimes qui subissent des polytraumatismes".
"C'est une obsession de ne rien lâcher"
Après avoir été ministre déléguée chargée de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles sous le gouvernement de Gabriel Attal, Sarah El Haïry a été nommée, en mars 2025, Haut-Commissaire à l’Enfance. Engagée dans la protection des mineurs, elle a fait de la lutte contre la prostitution des mineurs une priorité.
"C'est une obsession de ne rien lâcher pour protéger les mineurs en situation de difficulté". Elle veut briser le tabou qui entoure un phénomène qui ne cesse de progresser et mobiliser l’ensemble de la société pour protéger les plus jeunes, les plus vulnérables.
Vous faites le constat effarant de l'évolution de la prostitution des mineurs. Vous estimez le chiffre noir autour de 15.000...
On veut laisser croire que la prostitution, c'est de l'argent facile. Il faut absolument lutter contre les idées reçues. On voit de plus en plus un peu l'idée qu'il y a la glamourisation de la prostitution.
Quand je suis arrivée en 2022 au secrétariat d'État à la jeunesse, puis au ministère de l'enfance, de la jeunesse et des familles en février 2024, autant les pouvoirs publics que le secteur associatif partageaient ce constat de l'augmentation.
À l'époque, on parlait de 7.000 à 10. 000 mineurs. Aujourd'hui, on va dire le chiffre noir est effectivement plutôt autour de 15. 000 mineurs.
Cela touche tous les territoires, tous les milieux sociaux. Je crois que les chiffres sont plus élevés. Il y a une partie, malheureusement, de cette exploitation sexuelle des mineurs qui est très invisible. Elle est invisible du fait des réseaux sociaux. Les victimes sont recrutées derrière un écran.
Comment le contact est-il pris avec les "proies" des proxénètes?
Par l'intermédiaire des réseaux sociaux! Il y a des sites totalement insoupçonnés, insoupçonnables où les proxénètes entrent en lien avec leurs victimes.
C'est une plateforme de revente d'accessoires, c'est une messagerie dans des jeux vidéo... La prostitution, elle s'est déplacée dans l'opacité des réseaux, des écrans et dans des chambres d'hôtels.
Il s'agit d'un des sujets absolument centraux du travail qu'est le nôtre en termes de protection. Il faut briser ce tabou et parler. Il est difficile pour des parents d'imaginer son enfant dans cette situation-là. C'est difficile dans notre société de parler de violence sexuelle, au sens large.
Le proxénétisme a-t-il évolué?
Dès 2019, l'alarme a sonné pour sensibiliser. Mon collègue Adrien Taquet a mis en place une campagne qui s'appelait "Je gère" pour montrer qu'on ne gère rien, en fait. On a mis en évidence l'exploitation sexuelle qui est faite sur les enfants.
Il y a plusieurs situations différentes. Il y a du proxénétisme de proximité, c'est-à-dire des filles vulnérables, parfois en rupture familiale, parfois recrutées dans des cercles d'amis, au sein des foyers de l'aide sociale à l'enfance, sur des réseaux sociaux. C'est vraiment de proximité.
Et puis, on a du proxénétisme et de la prostitution qui va plutôt être le fruit de la traite humaine. Et là, on a plutôt des victimes étrangères qui sont exploitées par des réseaux criminels. Cela appelle à plusieurs réponses, à plusieurs réactions.
Vous rappelez, avec force, qu'en France, la prostitution des mineurs est interdite...
C'est interdit en France. Cela relève de la protection des juges des enfants. Les enfants sont des victimes. Je sais que tout le monde ne l'a pas à l'esprit, mais c'est sept ans d'emprisonnement, plus de 100.000 euros d'amende si le mineur a moins de 15 ans. Le recours à la prostitution d'un mineur, s'il a plus de 15 ans, c'est plus de 5 ans de prison.
C'est extrêmement lourd pour les proxénètes et pour les clients.
Que pensez-vous du commentaire "Mais quand on se prostitue, on est consentant"?
C'est non. Un mineur, cela n'enlève en rien à la situation et à la qualification du viol. Cela n'enlève en rien les conséquences qu'on connaît comme les traumatismes, les psychotraumas, les conséquences sur la santé mentale, sur la santé psychique...
On rappelle alors les infractions et les sanctions pénales. On rappelle que les enfants sont des victimes et qu'il s'agit d'exploitation sexuelle et qu'il n'y a aucun glamour, aucun, malgré ce qu'on peut voir sur les images, sur les réseaux sociaux, dans une société parfois qui hyper sexualise les enfants.
Ce sont des enfants victimes. Il faut que les parents déposent plainte. Il faut accompagner le mineur dans le process jusqu'à ce qu'il dépose plainte, c'est difficile, parce que parfois ils vous disent, en fait, je veux, c'est mon choix. La prise de conscience de la situation est nécessaire. Les gens qui les ont exploités, qui ont abusé d'eux, n'avaient pas le droit de faire ça.
On est en train de renforcer des formations croisées, entre justice, protection de l'enfance au sens large, associations qui accompagnent, forces de sécurité intérieure, police, gendarmerie.
Accueil dans des structures, dépôt de plainte, soutien à des associations: quelles sont les solutions?
La réponse, elle doit être judiciaire, elle doit être aussi en termes de prévention, de prise de conscience de notre société. Quand il y a un doute, il faut alerter, contacter le 119. C'est également un soutien à des projets associatifs.
En ce moment, il y a plus de 55 projets associatifs partout sur le territoire, financés par des collectivités ou par l'État pour lutter contre cette exploitation sexuelle jusqu'en 2026.
Il a la mise en place, et pour moi c'est extrêmement important, avec l'association Koutcha, d'un réseau national pour accueillir les mineurs, les protéger et les éloigner de ceux qui les exploitent parce qu'il peut y avoir des situations de violence, d'emprise.
La violence peut bien sûr être physique, mais on voit le développement de l'emprise de ceux que l'on appelle les "lover boys". C'est une sorte de proxénétisme de proximité où la jeune fille pense être amoureuse, mais en réalité c'est un proxénète, qui l'oblige à avoir des relations sexuelles tarifées.
Quels sont les signaux d'alerte pour les parents?
La fugue est un des signes, un des symboles de la situation de fragilité. La fugue d'un adolescent doit permettre de voir tous les signaux: l'arrivée de cadeaux dont les parents ne connaissent pas l'origine, le changement de copains, parfois de l'isolement, de plus en plus enfermé dans la chambre ou derrière les écrans, voire de nouvelles addictions (drogue, cigarette...). Le changement de comportement doit alerter.
Des foyers de l'Aide sociale à l'Enfance sont considérés comme des lieux de recrutement...
Ce que nous, nous voyons, ce sont des éducateurs de l'aide sociale à l'enfance extrêmement désemparés, à côté de leurs collègues de la justice, parce qu'ils sont face à des situations complexes. Parfois le proxénète est lui-même mineur. Parfois c'est un ami, une copine qui vit dans le même foyer. C'est très difficile à qualifier.
Les foyers ne sont pas des lieux de rétention et de privation de liberté. "Pourquoi on ne ferme pas la porte? Pourquoi on ne ferme pas la chambre?", peut-on dire. Les mineurs ne sont pas en prison. Des éducateurs font parfois face à des proxénètes violents qui arrivent à de la violence physique.
On entend: "C'est la faute des parents". Qu'en pensez-vous?
Ce n'est pas la faute des parents. Ce n'est pas la faute des éducateurs qui n'ont pas vu ou accompagné. C'est en réalité la responsabilité de tout le monde d'alerter et de stopper.
C'est surtout la faute de ceux qui exploitent les jeunes filles, des clients. Parce qu'en majorité, à plus de 80%, ce sont des jeunes filles. Quand on a cette complexité de situation, il faut que les professionnels, les parents, même les pros, aillent déposer une plainte.
Il y a des prédateurs. Et ces prédateurs choisissent des jeunes filles qui sont plus vulnérables, en situation parfois d'insécurité financière ou de solitude. Il y a des stratégies volontaires. Il y a l'emprise. De la manipulation réelle. C'est grave.
Dans la sphère familiale, découvrir de tels faits est choquant, violent, mais il ne faut pas le cacher et il faut briser ce tabou. Le chemin de la reconstruction est long, mais il existe. C' est possible.
Comment se comporte la Justice face à la prostitution des mineurs?
Déjà la loi du 13 avril 2016 [sur visant la lutte contre le système prostitutionne] est claire sur un point: il est interdit de monnayer des prestations sexuelles. Les clients commettent des infractions et sont condamnables. Attention, la prostitution n'exclut pas le viol!
En matière d'instruction judiciaire, plus de 70/72% des procédures ont fait l'objet d'instructions, avec des enquêtes approfondies. Les enquêteurs vont chercher des preuves pour faire tomber les délinquants face à la gravité des faits. On va chercher le proxénète, car il est la tête du réseau.
L'usage de la comparution immédiate est assez faible, autour de 15/16%. En fonction des situations, la réponse peut être adéquate, parce que les investigations peuvent être rapides.
C'est grave, mais c'est complexe. Avant, il s'agissait de traite d'êtres humains, avec des réseaux criminels qui exploitent beaucoup de femmes, beaucoup de jeunes enfants. Des réseaux comme pour les narcos, structurés. Avec les proxénètes de proximité, c'est plus diffus.
Vous ne lâchez pas non plus les sites Internet problématiques, comme Bounty (ex-Coco)?
Ici, le défi est immense. Grâce à travail conjugué l'ARCOM, le ministère de l'Intérieur et de la Justice, plus le ministère du Numérique, avec Pharos et des associations, on est parvenu à la suspension de Coco. Bounty, qui lui a succédé, a suspendu le site sous la pression de l'ARCOM, parce que leur hébergeur les lâche, parce qu'ils doivent se mettre en conformité.
On utilise la loi sur le contrôle de l'âge, face à des accès à des images pornographiques ou sexuelles. Les sites sont dans l'obligation de le faire, ce qui nous permet, en moins de cinq jours, d'avoir des réalités beaucoup plus immédiates; A titre de comparaison: Coco, c'est dix ans de procédure judiciaire. Dix ans.
Nos enfants sont les proies de prédateurs dans un monde virtuel sur lequel on n'a pas encore pleinement de prise.
Comment accompagner les parents face à ces nouveaux dangers?
Je ne dis pas que tout est danger. Il y a des opportunités d'apprentissage, d'accès à la culture. Tout ça n'est pas encore très bien balisé.
Tout passe par l'accompagnement, l'éducation, la parole, la confiance mutuelle et le contrôle de l'installation aussi d'outils comme le contrôle parental sur les téléphones des enfants, des âges où on peut accéder ou pas à Internet, des âges pour accéder ou pas aux réseaux sociaux. C'est tout le débat que nous avons aujourd'hui.
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