Des livres anciens, des manuscrits... l’empereur niçois du parchemin jugé pour "l’escroquerie du siècle" à 1 milliard d'euros

Gérard Lhéritier, homme d’affaires azuréen de 77 ans, et une dizaine d’autres prévenus comparaîtront à partir de ce lundi dans le cadre du procès hors normes d’une escroquerie présumée à plus d’un milliard d’euros.

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Eric Galliano Publié le 07/09/2025 à 05:00, mis à jour le 07/09/2025 à 07:58
Gérard Lhéritier présentant le contrat de mariage et de divorce de Napoléon. Photo d’archives Franck Fernandes Photo d’archives Franck Fernandes

La chance sourit aux audacieux. Et Gérard Lhéritier n’a pas lésiné pour la mettre de son côté, à la veille du méga jackpot mis en jeu le mardi 13 novembre 2012.

C’est une grille à près de 7.000 euros que l’homme d’affaires, installé sur les hauteurs de Nice, a validée dans un bar-tabac de La Trinité.

Le soir du tirage, l’investissement du patron d’Aristophil est largement récompensé. Contrairement aux investissements réalisés par les quelque 18.000 clients que compte à l’époque Aristophil, la société qu’il a créée deux décennies plus tôt...

En 2012, Gérard Lhéritier empoche la bagatelle de 170.371.697 euros et 90 centimes. Une aubaine pour le chef d’entreprise qui, au cours des deux années qui vont suivre, va puiser dans ce très gros gain à l’Euromillion pour renflouer les caisses de sa société.

Aristophil commence, en effet, à manquer de trésorerie. Au point que quelques mois avant que la chance ne sourie à son fondateur dans ce bar-tabac de La Trinité, les commissaires aux comptes ont déclenché une procédure d’alerte.

La "bulle" Aristophil serait-elle sur le point d’éclater?

Une des manuscrits de la société Aristophil. Photo d’archives François Baille Photo d’archives François Baille.

Gérard Lhéritier (1) continue de marteler que c’est la machine judiciaire qui a stoppé net sa success story aux allures de martingale.

Son avocat, Maître Benoît Verger, annonce d’ailleurs qu’il plaidera la relaxe au terme du procès hors norme qui s’ouvre ce lundi à Paris: celui d’une escroquerie présumée - et contestée - dont l’évaluation du préjudice n’a cessé d’enfler au fil d’une très longue instruction pour atteindre aujourd’hui 1,2 milliard d’euros.

L’audience qui doit s’étaler sur près d’un mois compte 4.772 parties civiles (présumées victimes) constituées. Un record!

Les courtiers auraient pris "des libertés"

Dans les années 90, cet autodidacte semblait pourtant avoir eu une idée en or: vendre des œuvres d’art en indivision comme d’autres commercialisent des résidences secondaires en time share.

Spécialisé dans les manuscrits et parchemins anciens, Gérard Lhéritier propose à ses clients de n’acheter qu’une fraction du précieux document.

En contrepartie, une armada de conseillers en placement promettait aux "investisseurs" de retrouver leur capital augmenté de juteux intérêts: 8,5% par an.

Soit un gain de plus de 50% des sommes investies au bout du contrat de 5 ans... "Qu’Aristophil n’a jamais garanti, contrairement aux courtiers, qui ont pris beaucoup des libertés dans cette affaire ", s’insurge Me Verger, qui estime que "ce procès devrait être celui de la commercialisation des produits Aristophil, plutôt que celui de la société fondée par Gérard Lhéritier".

"99% de ce que vendait Aristophil ne valait rien"

"La légalité des contrats établis par Aristophil a d’ailleurs systématiquement été confirmée devant les juridictions civiles", martèle le conseil de l’homme d’affaires niçois.

"Des conventions de vente d’œuvres d’art non des placements financiers", se défend-il, au terme desquelles Aristophil s’engageait à remettre aux enchères le manuscrit servant de support à l’opération... Ou à le racheter elle-même. Or, c’est le plus souvent la deuxième option qui intervenait.

Pour Maître Arnaud Delomel, avocat rennais qui, à lui seul, représente près de 400 parties civiles, c’est bien là que le bât blesse: "Aristophil fonctionnait en vase clos et ne se confrontait jamais au marché. C’est Gérard Lhéritier et deux ou trois vrais faux experts qui fixaient les prix. De manière complètement opaque", assure Me Delomel.

Et surtout, de manière largement surévaluée. Pour lui, "à quelques pièces d’exception près, 99% de ce que vendait Aristophil ne valait rien!"

Il en veut pour preuve les 130.000 parchemins, livres anciens et manuscrits saisis par la justice dès le début de l’enquête, il y a désormais 10 ans.

"Leur vente a été confiée à un des commissaires-priseurs les plus réputés de la place de Paris, elle a été étalée sur des années. Et au final elle n’a rapporté qu’une infime partie de la valeur que leur attribuait Aristophil."

Descente de police au musée

Gérard l’héritier assure quant à lui, qu’en inondant ainsi le marché, ses joyaux ont en réalité été bradés.

Un codex du marquis de Sade, des lettres d’amour de Napoléon à Joséphine Bonaparte, des notes manuscrites d’Einstein, des originaux de Flaubert ou de Balzac, des missives du général de Gaulle...

Gérard Lhéritier, acheteur compulsif, s’était constitué une incroyable collection au fil des ans. Qu’il exposait dans son propre musée, aménagé dans un hôtel particulier au cœur de la Capitale.

C’est là, qu’un jour de novembre 2014, les limiers de la brigade de répression de la grande délinquance économique (BRDE) ont déboulé.

Plus d’une décennie plus tard Gérard Lhéritier et ses présumés complices, dont un ancien notaire niçois et un éminent professeur de droit parisien, deux comptables, un libraire et plusieurs experts en art, vont devoir rendre des comptes.

Devant le tribunal correctionnel de Paris et devant les milliers de clients d’Aristophil, qui ont perdu presque l’intégralité de leurs économies.

1. Contacté, Gérard Lhéritier a préféré laisser le soin à son avocat de répondre à nos sollicitations avant l’ouverture du procès.

Le "prix" du manuscrit d’Einstein multiplié par 80!

Dans les collections de Gérard Lhéritier, il n’y avait aucun faux et incontestablement quelques trésors.

Le manuscrit d’Einstein et Besso sur la théorie de la relativité est l’un d’eux. L’histoire de ce document de 54 pages résume bien celle d’Aristophil.

En octobre 2002, le manuscrit est acheté par une société luxembourgeoise qui réalise ainsi une très bonne affaire.

Adjugé 559.000 dollars par Christie’s, il est revendu à peine un an plus tard par Cipo Palmeris à Aristophil, au prix de 3,5 millions d’euros cette fois!

Or, les deux entités appartiennent en réalité à la même personne: Gérard Lhéritier qui, au travers de cette transaction, réalise une première plus-value de 700%.

La même année, la cote du document va encore quadrupler. Aristophil, au travers d’une collection scientifique, le "découpe" en effet en 12.000 parts qu’elle propose à ses souscripteurs 10.000 euros chacune.

Au terme de la convention d’indivision, en 2010, la société de Gérard L’héritier rachète elle-même le manuscrit à ses clients, cette fois pour 16 millions d’euros.

Deux ans plus tard sur la base de l’expertise rendue par un conseiller technique de la NASA, qui n’est pourtant pas expert en art, elle réévalue sa valeur dans ses écritures comptables à 24 millions d’euros.

Et alors qu’Aristophil commence à avoir des difficultés financières, Gérard Lhéritier assure même avoir trouvé acheteur à 38 millions.

Signalé par Tracfin

En l’espace d’une décennie, le prix de ces 54 pages signées de la main d’Einstein et de Bresso a ainsi été multiplié par 80!

Le document est certes remarquable. Finalement vendu aux enchères en 2021, après avoir été saisi par la justice, il sera adjugé en moins de 11 minutes... mais au prix de 11 millions d’euros.

Un record mondial pour un document autographe d’Einstein... Bien loin néanmoins de la valeur qu’Aristophil et son emblématique fondateur espéraient en tirer.

Les spéculations autour du manuscrit d’Einstein et Besso n’avaient d’ailleurs pas manqué d’attirer l’attention de Tracfin.

La cellule de lutte antiblanchiment a multiplié les signalements visant Aristophil à compter de 2012. Ce qui explique sans doute ses déboires judiciaires.

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