Comment une idylle amorcée il y a 22 ans, et entretenue sans anicroche depuis lors, a pu s’achever au tribunal correctionnel pour des faits d’une particulière gravité? Le dossier de violences conjugales qu’ont eu à juger les magistrats monégasques, ce lundi 5 mai, présentait une singularité: les deux protagonistes ont 76 ans, un âge guère représentatif des prétoires monégasques. Encadré par deux agents pénitentiaires, un ancien expert diamantaire grec et résident à Monaco est arrivé dans le box des prévenus avec une canne à la main, aide indispensable pour compenser une hémiplégie survenue il y a plus de 20 ans après un accident routier.
Sur les bancs du tribunal correctionnel, sa compagne est présente, digne. Deux bandages au pouce et à l’oreille gauches, conséquence de morsures infligées par le mis en cause alors qu’elle dormait paisiblement, sans compter un violent tirage de cheveux (ITT de 5 jours).
"J’ai glissé et je l’ai touchée avec mon bâton de sucette"
C’est en tout cas la version qu’elle a livrée aux enquêteurs après que les deux amoureux ont été contrôlés à un barrage policier érigé dans le cadre du E-Prix, ce 3 mai au matin. L’agent en faction, constatant que la septuagénaire est en sang, a saisi que quelque chose clochait. En garde à vue, le prévenu a soutenu une tout autre thèse, maintenue à l’audience. Celle de l’acte involontaire.
"Je me lève plusieurs fois par nuit. Je suis passé à côté d’elle, je l’ai regardée dormir puis j’ai glissé sur des livres et je suis tombé sur elle. Je l’ai touchée avec mon bâton de sucette que j’avais dans la bouche, et forcément avec mes dents, et je me suis rattrapé à ses cheveux. Ça a duré quelques dixièmes de secondes, mais ça a suffi à faire mal. Quant à son pouce, je ne comprends pas, il n’y avait pas de problèmes", jure-t-il, sans convaincre le président, Thierry Deschanels. Lors de la perquisition, le fameux bâton n’a pas été retrouvé.
En revanche, les clichés dévoilés à l’audience montrent un matelas, une couette et des draps imbibés de sang, des touffes de cheveux retrouvées flottant dans la cuvette des toilettes.
"J’ai même pensé qu’il voulait m’étrangler"
La victime a ensuite été invitée à témoigner à la barre. "Ça a plutôt duré une heure! J’étais très inquiète et j’ai même pensé qu’il voulait m’étrangler. J’ai cru qu’il me confondait avec son ex-femme, pour qui il nourrissait toujours un fort ressentiment. On s’entendait pourtant tellement bien", déplore-t-elle.
L’amour paisible se serait récemment transformé en jalousie quand son compagnon aurait pensé – à tort selon elle – qu’elle avait noué une relation extraconjugale avec un autre homme de sa résidence. Le tout nourri de plusieurs épisodes de reproches. "C’est ridicule. On est toujours ensemble, on voyage ensemble, je suis tous les soirs à la maison, je soigne la maison comme je peux, dit-elle. Je ne souhaite plus l’avoir dans ma vie. J’en suis désolée mais ce n’est pas pour laisser la place à un autre homme."
Me Éva Barilaro, avocate de la victime, réclame une peine "utile et dissuasive". "Elle ne souhaite pas voir l’homme qu’elle a aimé croupir trop longtemps en prison, mais il faut prévenir une potentielle récidive. Je n’aimerais pas être appelée en garde à vue dans quelques mois parce que celui-ci aura fait bien pire", déclare-t-elle, avant de demander une expertise pour évaluer les divers préjudices causés à sa cliente, ainsi que 10.000 euros de provision.
"Déclarations imparfaites"
La substitut du procureur général, Christine Mutiloa, parle d’un "déchaînement de violence", d’un "assaut pendant un temps long". "Ses déclarations sont celles de quelqu’un qui ne veut pas admettre la réalité, estime-t-elle. Ces violences conjugales doivent cesser, quel que soit l’âge des protagonistes. Monsieur n’est pas tout jeune et la question de sa place en prison se pose. Mais du fait de sa personnalité rancunière, une peine dissuasive doit passer par un maintien en détention provisoire pendant une courte période."
Elle requiert 6 mois de prison dont 5 mois et 15 jours assortis du sursis avec liberté d’épreuve pendant 3 ans (interdictions de contact avec la victime et de paraître à son domicile, obligations de soins et d’indemniser la victime).
En défense, Me Maeva Zampori consent que les photos montrées à l’audience laissent penser à "une scène de crime". Pour autant, elle plaide la relaxe de son client. "Les faits ne sont pas prouvés. On a, des deux côtés, des déclarations parfaitement imparfaites et parcellaires mais rien d’objectif, plaide-t-elle, avançant plusieurs arguments dont le handicap de son client l’empêchant certaines postures et la possibilité de la présence d’un « objet coupant". "En 60 ans à Monaco, il n’a jamais fait parler de lui, n’a pas d’antécédent judiciaire. La peine de prison ferme n’est pas acceptable car la gravité des faits n’est pas caractérisée. On n’est pas sur un profil, ni un âge, pour lequel la prison est utile."
Les juges n’ont pas été convaincus, le déclarant coupable et le condamnant à 180 jours de prison dont 170 assortis du sursis avec liberté d’épreuve (mêmes obligations que les réquisitions, sauf celle de soins). Une expertise médico-légale a été ordonnée pour évaluer les préjudices et une provision de 1.500 euros accordée. Le compagnon violent repart à la maison d’arrêt.
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