"La plupart des élèves de ma classe, je sais qu'ils ne lisent pas du tout les œuvres", témoigne Margot, lycéenne dans le Val-de-Marne. "Ils regardent des résumés sur internet" ou "arrivent à s'en sortir en posant des questions précises à ChatGPT", ajoute-t-elle. "On n'est pas obligés de lire les oeuvres pour réussir."
Vendredi matin, les élèves auront le choix entre une dissertation et un commentaire de texte pour le bac général, un commentaire et une contraction de texte associée à un essai pour le bac technologique.
La dissertation porte sur des oeuvres au programme, tirées d'une liste officielle depuis la réforme du bac de 2019. Les lycéens en étudient quatre, une par genre littéraire (parmi trois proposées à chaque fois pour roman, poésie, théâtre et littérature d'idées), avec, en plus, des lectures associées.
En voie générale, la liste comporte par exemple "Manon Lescaut" de l'Abbé Prévost ou "Sido" de Colette pour le roman, "Gargantua" de Rabelais ou "Les Caractères" de La Bruyère pour la littérature d'idées.
"Choix ambitieux"
"Ce tronc commun d'œuvres classiques ne plaît pas forcément aux élèves", reconnaît Souhire Ben Fradj, professeure de français à Joinville-le-Pont (Val-de-Marne). "Il y a la barrière de la langue parfois, l'écriture qui peut gêner et clairement aussi des choses qui intéressent moins les élèves."
"C'est assez difficile de les faire lire", constate Clémence Gouret, professeure de français à Mende (Lozère). Christophe Ortoli, qui enseigne dans un lycée rural de l'académie de Besançon, pointe "des choix très ambitieux".
"On a un peu l'impression que les livres sont choisis pour des grands lycées parisiens. Ce sont des textes avec un arrière-plan culturel important, et c'est très difficile pour des gamins de la campagne", analyse cet enseignant, syndiqué au Snalc. Ses élèves ont "énormément de mal" à "suivre un texte sur la durée", dit-il.
Selon une étude publiée en 2024 par le Centre national du livre (CNL), 36% des 16-19 ans ne lisent pas du tout pour l'école, et un sur trois ne lit pas pour ses loisirs.
Ellioth, 17 ans, lycéen près de Nantes, a lu six livres sur huit au programme, mais dit "avoir du mal pour la compréhension". Alors il "met l'audio du livre et lit en même temps". "Ça me permet d'aller plus vite et de comprendre mieux", ajoute cet élève, qui choisit d'habitude des livres sur l'escalade.
"Stratégies pour contourner"
Pour Maïté Eugène, maîtresse de conférence en sciences de l'éducation à l’université de Lille, "faire lire coûte que coûte des œuvres aussi complexes sans accompagner l'élève, ça peut être très préjudiciable" car "le risque est de les détourner de la littérature".
"Jusque dans les années 1970, on enseignait la littérature essentiellement par des extraits", explique-t-elle. "Les choses se sont vraiment complexifiées pour les élèves" avec cette notion d'œuvre intégrale.
Pour cette universitaire, les "non-lecteurs scolaires" développent "tout un tas de stratégies pour contourner la lecture tout en répondant finalement aux attendus de l'école". "Ils vont lire des résumés, se renseigner sur l'œuvre, faire parler leur copain lecteur de l'œuvre pour pouvoir eux-mêmes en parler..."
Au bac, en choisissant le commentaire, nombre de lycéens évitent d'avoir à lire les œuvres. "Ceux qui prennent le commentaire travaillent juste les textes pour l'oral", explique Philomène, en première à Nantes, qui, elle, a lu toutes les oeuvres sauf une et pense opter pour la dissertation.
Pour l'oral, dont une partie porte sur des textes du programme étudiés en classe et l'autre sur une lecture choisie, "ils peuvent très bien n'avoir lu qu'un seul livre", souligne Christophe Ortoli.
"Parfois, ils ne l'ont pas lu", ajoute-t-il. "Vous pouvez avoir cette scène un peu surréaliste où quelqu'un vous parle d'un livre qu'il n'a pas lu et vous non plus."
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