"On regarde la météo tous les jours": dans la région la plus ensoleillée de France, on cuisine désormais grâce aux rayons de l’astre solaire

Dans la région la plus ensoleillée de France, on cuisine désormais grâce aux rayons de l’astre solaire. Ça se passe à Marseille, dans un restaurant unique en Europe.

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Virginie Rabisse / vrabisse@varmatin.com Publié le 02/05/2025 à 07:10, mis à jour le 02/05/2025 à 07:10

Le ciel est voilé en cette fin de matinée d’avril. Pourtant, sur les fourneaux du Présage, à Marseille, une marmite de poisson bouillonne, des courgettes frémissent. Normalement, l’un n’empêche pas l’autre. Mais ici, on cuisine à la faveur des rayons de soleil : cet établissement est le premier - et le seul ! - restaurant solaire d’Europe.

Logique donc que le ConSolFood, la conférence internationale dédiée à la cuisson solaire, sixième édition, pose ses casseroles dans la cité phocéenne pour sa sixième édition, faisant de la capitale régionale celle, mondiale cette fois, de cette manière de cuire les aliments. Au programme les 5, 6 et 7 mai : démonstrations, conférences et dégustations menées par des experts du monde entier, au fait des dernières évolutions.

Ils expliqueront ainsi les principes de la cuisson solaire, afin de convaincre du potentiel de cette énergie thermique pour la transformation des aliments, comme le séchage, la cuisson et la pasteurisation. Avec en ligne de mire, l’idée d’introduire des cuiseurs solaires dans les régions ensoleillées.

L’énergie la plus abondante dans le Sud

Précisément ce que fait le restaurant Le Présage, qui organisera dans la foulée, le 8 mai, le premier festival local de cuisson solaire, dédié davantage au grand public. Sur son terrain de la Technopole Château-Gombert à Marseille, cet établissement hors du commun se fera l’ambassadeur de la cuisson solaire. Et surtout de la vision qu’en ont ses fondateurs.

« C’est toute une philosophie », résume Benjamin Leroy, directeur administratif et financier du Présage. Il lâche : « La cuisson solaire, ce n’est pas que pour les pays pauvres. » Avant de rembobiner : « L’idée qui, depuis 2012, guide Pierre-André Aubert, à l’origine du concept, c’est que si on transforme des produits locaux et de saison, est-on capable de le faire avec une énergie locale ? Or, dans le Sud, l’énergie la plus abondante, c’est le soleil. »

Le restaurant utilise ainsi un procédé permettant de chauffer une plaque de cuisson ou un four grâce au soleil. « Les paraboles qui orientent les rayons existaient déjà, indique Benjamin Leroy, désignant deux grands disques éblouissants installés derrière l’établissement. Nous les avons programmées pour qu’elles se repositionnent tout au long de la journée, au fur et à mesure de la course du soleil. Il a aussi fallu adapter le dispositif avec un système de miroir pour diriger l’énergie jusqu’à la plaque. » Celle-ci peut monter à 350° C en une heure !

Après plusieurs années de recherche, de levées de fonds, l’achat du terrain puis, à partir de 2020, les premières expérimentations avec la Guinguette solaire, le restaurant a finalement ouvert ses portes il y a un peu moins d’un an.

Benjamin Leroy, associé du restaurant Le Présage à Marseille, explique le fonctionnement de la cuisson solaire. Photos Valérie Le Parc.

Vers un futur délicieux

Depuis le 18 juin 2024, Le Présage accueille une soixantaine de clients chaque jour dans un bâtiment bioclimatique, conçu avec des matériaux locaux et sur un terrain qui doit devenir un jardin comestible. « L’objectif, c’est de produire ici un cinquième de la valeur utilisée. » Le restaurant propose ainsi une cuisine provençale réinventée à base de produits venus du plus près possible.

L’ensemble en fait un lieu de recherche et d’expérimentation sur l’alimentation, qui devient ici un outil de société, vecteur d’un message : « Un futur délicieux est possible », le leitmotiv de l’équipe. C’est ce qui a convaincu Thierry Casoni d’être parmi les premiers à suivre Pierre-André Aubert.

Depuis la cuisine ouverte sur la salle, le chef assume un « choix politique » : « Quand on parle d’alimentation, explique-t-il, on parle de problématiques agricoles, culturelles, énergétiques. Alors quand Pierre-André, que j’avais rencontré en cuisant pour Emmaüs, m’a parlé de son idée de restaurant solaire, ça m’a semblé être une brique de plus dans la façon de faire la cuisine. » « J’ai été intrigué par le fait de penser le restaurant comme un écosystème, renchérit Clément Flint, également chef cuisiner. De là, l’aspect solaire apparaît comme une évidence. »

Pas question d’autarcie

L’ensemble de la cuisine a été réfléchi pour ressembler au maximum au matériel qu’ont l’habitude d’utiliser les cuisiniers. Mais compter sur les rayons du soleil leur demande un peu d’adaptation. « Il faut porter plus d’attention pour une meilleure organisation de la cuisson », souligne Thierry Casoni. « On regarde la météo tous les jours ! », lance Clément Flint, tandis que Benjamin Leroy explique : « Pour que le système fonctionne, il faut assez de soleil pour qu’il y ait des ombres. »

Et si ce n’est pas le cas ? « Nous sommes raccordés au réseau électrique. » Parce qu’il n’est pas question de vivre en autarcie. « On ne vise pas l’autonomie », insiste Benjamin Leroy. Simplement à montrer qu’une alimentation plus durable et responsable est possible. Le directeur financier, précédemment ingénieur, rappelle d’ailleurs que « dans l’alimentation, 70 % de l’impact sur l’environnement provient non pas des modes de cuissons, mais de la manière dont on produit notre nourriture ».

Quant à savoir si un repas solaire se distingue d’un autre lorsqu’on le déguste, Thierry Casoni assure tout sourire que « le goût des photons est inimitable ».

SolarBrother, ambassadeur de la cuisson solaire dans le Var

Sous le soleil de juillet 2024, la société Solar Brother, créée à Paris il y a bientôt neuf ans, mais désormais basée à Carnoules, inaugurait son centre solaire. Un showroom permettant de découvrir la quinzaine de produits - fours, paraboles, barbecue, poêle… - proposés par la start-up utilisant le soleil pour produire de la chaleur et ainsi cuire, sécher, déshumidifier, se chauffer. Mais aussi un lieu de formation à l’usage du grand public.

Car l’objectif de Solar Brother est bien de faire connaître le plus largement possible cette technologie à base de concentration solaire. « J’ai lancé Solar Brother alors que j’étais à Tombouctou et que je venais de lire Ravage de Barjavel, qui raconte la fin des énergies », confiait quelque mois plus tôt à Var-matin Gilles Gallo, le fondateur de la start-up.

En mars dernier, on apprenait que la société venait d’être certifié B Corps (pour « beneficial corporations »), un label reconnaissant les entreprises qui, certes, génèrent des profits, mais aussi des bienfaits pour la société et l’environnement. C’est donc non seulement des innovations, mais aussi une philosophie que Var-matin récompensait en décembre dernier, faisant de Solar Brother le lauréat catégorie Green/RSE de ses Trophées de l’éco.

Miguel Bonnefoy met l’inventeur de l’énergie solaire dans la lumière

En 2022, Miguel Bonnefoy, primé l’an passé pour Le Rêve du jaguar, publiait L’Inventeur aux éditions Payot & Rivages. Un ouvrage inspiré de la vie d’Augustin Mouchot, l’inventeur taciturne de l’énergie solaire. Alors qu’on vient de commémorer les deux cents ans de la naissance, le 7 avril 1825, de ce génie méconnu, l’écrivain installé à Toulon évoque un personnage peu lumineux.

Qu’est-ce qui vous a interpellé chez Augustin Mouchot au point de lui consacrer un roman ?

Ce qui m’a fasciné, ce n’est pas tellement l’inventeur, le scientifique, mais surtout la nature oxymorique du personnage. Augustin Mouchot était un homme, très noir et blanc, très gris, un homme très taciturne et timide. L’opposé de l’astre lumineux du soleil. Je me suis dit qu’il y avait là un homme froid qui s’était intéressé au chaud, un homme de l’ombre qui s’était intéressé à la lumière. Il y a quelque chose d’« icaresque », de « prométhéen » aussi : il a voulu s’approcher du soleil, voler le feu sacré de l’Olympe pour le donner aux hommes.

Comment expliquez-vous qu’un homme qui a tant apporté soit aussi peu connu du grand public ?

Principalement pour des raisons politiques. Encore une fois de façon paradoxale, je pense qu’Augustin Mouchot arrive au moment idéal dans l’histoire : on a besoin d’une façon de chauffer de l’eau pour pouvoir faire de la vapeur, et le charbon est cher et il faut une sorte de nouvelle énergie. Et là, il « invente » le soleil, donc c’est parfait.

Mais c’est aussi un mauvais moment, celui de la découverte du pétrole, cette matière qui finalement est beaucoup moins chère, beaucoup plus facile à traiter, à raffiner.

Alors le soleil, on le met absolument de côté. Il y avait beaucoup de lobbying pour ces énergies qui rapportent alors que la gratuité de l’énergie solaire ne convient à personne. Un peu comme aujourd’hui ! Finalement, Augustin Mouchot était une sorte de lanceur d’alerte : tout ceci est vieux comme le monde !

Finalement, on a l’impression que malgré toutes ces alertes, le monde, le lobbying, l’économie et finalement les énergies fossiles restent plus fortes. Est-ce que ça vous rend pessimiste ?

Moi, je suis un vieil optimiste et je me dis que les générations changent, que le récit collectif est en train d’évoluer, pour donner un sens à notre vie, pour expliquer le déroulement de notre vie. Et c’est là où il y a peut-être un rôle, un devoir de la part des artistes et des inventeurs, qui sont les artistes de la science.

On célèbre cette année les deux cents ans de sa naissance : avez-vous le sentiment que L’Inventeur a contribué à faire davantage connaître Augustin Mouchot ?

Pour être tout à fait honnête, je ne pense pas. Le livre a été très bien reçu, a eu beaucoup de ventes et c’est super. Mais je crois que ce n’est pas tellement le personnage, mais plutôt cette idée que c’est une sorte de pré-lanceur d’alerte qui était là depuis le début et qui se joint à la longue liste, au long sillon des précurseurs, des pionniers. Comme une voix qui se lève pour donner une épaisseur au grand silence.

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