Arrivé dans le box, menotté, un homme de 28 ans, jugé en comparution immédiate, est, d'emblée, suspecté par le ministère public de tremper dans un trafic de stupéfiants. En l'occurrence, de blanchir le produit d'une infraction puisqu'il était en possession d'une hypothétique somme de 9 102 euros en numéraire quand il est contrôlé par les policiers au volant d'une BMW le 7 avril dernier vers 17 h 30 en Principauté. Si plusieurs éléments ou faits tendent à converger vers l'activité illicite, l'individu de 28 ans réfute toute appartenance à un réseau clandestin. C'est un touriste de passage en Principauté.
Mais ses versions, transcrites en garde à vue sur cette détention de milliers d'euros donnés par ses parents aux fins d'investir dans un négoce, interpellent à l'audience la présidente Alexia Brianti (*). Comme ses multiples allers-retours entre Barcelone (Espagne) et Tirana (Albanie), attestés par son passeport. Ou sa condamnation du 6 novembre 2018 à deux ans et huit mois de prison par le tribunal d'Alexandrie (Italie) pour transport et détention de 1 500 grammes de cocaïne. Ou encore, ses sociétés au « pays des Aigles » au rapport mensuel de 3 000 euros. Même le téléphone portable ! Un véritable dénonciateur de fichiers suspects et de photographies où le fautif pose avec une arme, coiffé d'une cagoule, entouré de plants de cannabis.
La défense plaide la nullité
Comme ces faits l'embourbent dans des situations critiques, la défense soulève illico une nullité ! "Une irrégularité affecte les droits fondamentaux de mon client. Il n'y avait aucune raison sérieuse de le placer en garde à vue, signifie son avocat avec une voix éraillée par une affection aiguë. Ni de le soupçonner !" A l'appui de citations d'articles du Code pénal de procédure, il écarte l'infraction de blanchiment. "Détenir un peu plus de 9 000 euros est inférieur au délit dès 10 000 euros et n’oblige aucune déclaration de cette somme. Il suffit de se référer à la loi 1.362 relative à la lutte contre l'argent sale. Le prévenu est dans les clous. Pourquoi le priver de liberté, de communiquer, perquisitionner ? N'existe-t-il pas une mesure moins coercitive ? Oui, l'article 60-16 ! Où va-t-on ?"
Dans ce bras de fer judiciaire, l’intercesseur se heurte à une détermination du Parquet général qui constate la situation réalistement, avec toute la lucidité de l’expérience. Jusqu'à privilégier "la contrainte pour éclairer sur des numéraires à l'origine obscure et une condamnation antérieure liée à un trafic de coke. Ce sont des éléments qui peuvent susciter des interrogations légitimes. Vendre des stupéfiants à la petite semaine et venir blanchir les subsides à Monaco : jusqu'à 9 990 euros vous ne risquez rien… Dans ce contexte, la Principauté apparaît comme une cible facile pour le blanchiment d'argent sale. Monsieur est dans une situation similaire."
Et d'inférer : "C'est un mis en cause. Un suspect. Les policiers ont fait ce qu'il fallait. Rejetez cette nullité !" Réaction sur un ton acrimonieux de la partie adverse : "Quand on extrapole sur une somme, on ne peut pas appliquer la présomption de blanchiment afin de priver le prévenu de liberté fondamentale pendant 96 heures. C'est inadmissible…"
Dix années d’interdiction de territoire
À la suite, brièvement, le détenu élucide ses multiples trajets entre l'Espagne, où il réside avec son amie, et l'Albanie, tenu par une assiduité familiale. Les photos ? Juste pour frimer auprès des amis. S'il consomme encore 3 grammes d'herbe par semaine, cela l'aide à conjurer sa peur d'une maladie chronique.
Sa condamnation en Italie ? Une erreur de jeunesse. Depuis, il a tourné la page. D'ailleurs, pour vivre plus confortablement, il a délaissé pelle, truelle et échelle dans le bâtiment. Aujourd'hui, il se dit barbier afin d'ouvrir un salon à Barcelone. Mais pas de quoi susciter le moindre crédit à l’heure des réquisitions. Le premier substitut Valérie Sagné va camper un personnage tout en aspérités, un sujet voué en permanence "au flou et aux affirmations contradictoires. À la géographie qui s'étend sur l'intégralité de l'arc méditerranéen pour le transport ; l'accès à des faux documents ; plusieurs cartes SIM pour brouiller les pistes téléphoniques ; un compte et une carte bancaires où il est impossible de remonter les opérations précédentes…"
Autant d'infractions graves sanctionnées par un an ferme, 5 000 euros d'amende, la confiscation des scellés et le maintien en détention. Évidemment, Me Grégoire Gamerdinger ne partage pas ces certitudes et va engager sa plaidoirie dans le sillage des présomptions. "Aucun lien de blanchiment n'est démontré parce que tout est déconnecté de la réalité. L'argent remis par ses parents est attesté par un acte notarié. Il n'y a pas plus d'infractions fiscales, de salaires non déclarés. On a simplement de l'argent qui a transité par la Principauté. Je sollicite la relaxe !"
Le tribunal suivra le ministère public avec, en corollaire, dix ans d'interdiction de territoire monégasque.
* Assesseurs : Maxime Maillet et Patrice Fey.
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