Ce majordome des oligarques azuréens était aussi un espion de Moscou... et un agent double du fisc français
Homme de confiance de plusieurs oligarques installés sur la Côte d’Azur, Jim Perrichon était un espion à la solde de Moscou... et un agent double du fisc français. Il a été confondu et jugé à Nice.
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Eric Galliano (egalliano@nicematin.fr)Publié le 23/03/2025 à 08:00, mis à jour le 23/03/2025 à 08:25
Homme de confiance de plusieurs oligarques installés sur la Côte d’Azur, Jim Perrichon était un espion à la solde de Moscou... et un agent double du fisc français.Photomontage Chloé Woirgard
L’œil de Moscou sur la Côte d’Azur se nommait Jim Perrichon. Sa carrière d’espion s’est arrêtée net le 21 février dernier à la barre du tribunal correctionnel de Nice. Confondu par l’un des nombreux oligarques auprès desquels il a réussi à s’infiltrer au cours de ces dix dernières années, Jim Perrichon a plaidé coupable. Peut-être pour échapper à la publicité d’un procès en correctionnelle. Sans doute, aussi, parce que l’amoncellement des preuves rassemblées contre lui par la brigade criminelle de la police judiciaire ne laisse aucun doute sur ses activités occultes.
Cet homme de 46 ans a été condamné à 18 mois avec sursis pour vol. Pour autant, les faits dépassent largement le cadre d’une banale affaire de salarié indélicat. Ce sont en réalité des gigaoctets de données sensibles que Jim Perrichon a soutirés à ses riches employeurs: leurs comptes offshore, les statuts de leurs sociétés écrans, les adresses de leurs villas azuréennes, les immatriculations de leurs véhicules de luxe... De quoi confondre ceux qu’il considère comme des "banksters" (des banquiers profiteurs et rançonneurs). Ce serait même la principale motivation de cet espion atypique.
Les petits boulots d’un fils de bonne famille
Le château de Gairaut, sur les hauteurs de Nice.Photo Frantz Bouton.Sergueï Pougatchev, l’ancien "banquier de Poutine" exilé à Nice.
Photo DR.
Fils de bonne famille né dans une banlieue plutôt huppée de la région parisienne, rien ne le prédestinait à devenir ne serait-ce que chauffeur ou majordome. Jim est un fin joueur d’échecs, un habile pianiste, il parle pas moins de cinq langues et cite Giono ou Sophocle dans ses échanges... Des centaines de mails et de textos mis au jour au cours de l’enquête et qui retracent minutieusement son parcours d’espion.
Tout semble débuter en 2014 lorsque Jim Perrichon, fraîchement installé dans le sud de la France, entre au service de la famille Pougatchev. D’abord en tant que chauffeur, un boulot comme il en a fait des dizaines dans sa vie, parfois "pour 6 euros de l’heure", sans être toujours déclaré par ses employeurs qui ne se contentaient pas seulement de "voler le fisc", mais oubliaient aussi de lui verser son salaire.
Cette fois, il semble avoir décroché un job en or. Sergueï Pougatchev a été l’un des hommes les plus riches de Russie, on le présente comme "l’un des sept banquiers de Poutine", même si, en disgrâce avec le pouvoir moscovite, il a dû s’exiler à Nice. Dans ce somptueux château de Gairaut où Jim Perrichon prend rapidement du galon pour devenir le majordome du maître des lieux... Ce qui lui vaut surtout d’avoir à gérer les impayés de son patron.
Alors que Pougatchev rechigne à acquitter factures et salaires, son ex-épouse Alexandra revient un jour d’une virée shopping le coffre rempli de ses emplettes dans les boutiques de luxe azuréennes. Le majordome explique dans certains de ses courriers que c’est cet épisode qui l’aurait décidé à prendre contact avec les Russes. Il aurait suffi d’un simple coup de fil au standard de la DIA, l’équivalent de l’agence de gestion des avoirs criminels française, pour qu’il devienne, en moins d’une semaine, un espion à la solde de Moscou!
Rendez-vous secret dans un Aparthotel de la Prom’
Selon son récit épistolaire, un avocat moscovite l’aurait recontacté dès le lendemain. Puis une agence de détectives privés londonienne. Rendez-vous est pris à proximité du parc Chambrun à Nice. À peine arrivé, le majordome se retrouve embarqué à l’intérieur d’une voiture par un gaillard "en lunettes noires". Direction un Aparthotel de la promenade des Anglais, "en grillant plusieurs feux rouges pour s’assurer qu’ils n’étaient pas suivis". C’est là que le majordome rencontre pour la première fois Trefor Williams, l’un de pontes de l’agence Diligence, qui va devenir son "officier traitant".
Des mois durant, Jim Perrichon va collecter des informations sur les avoirs cachés de cet ex-banquier en disgrâce que Moscou accuse d’avoir détourné des milliards d’euros. "L’argent des petits épargnants russes", justifie dans ses écrits le majordome devenu maître espion. Il raconte ses "sueurs froides" lorsqu’il photographiait des milliers de documents tout en sachant qu’un "garde armé jusqu’aux dents se trouvait dans la pièce voisine". Avec pour seule protection un téléphone de secours et un billet de 500 euros qu’une petite main de Diligence aurait enterré pour lui à proximité du château de Gairaut... "au cas où".
Pas de quoi dissuader ce personnage qui semble tout droit sorti de l’imaginaire romanesque de John le Carré. Si Perrichon claque assez rapidement la porte des Pougatchev, il va tenter de recruter certains de ses employés pour continuer à l’espionner à distance. C’est d’ailleurs ce qui lui vaudra d’être démasqué. Surtout, l’agence londonienne semble lui confier d’autres "missions".
C’est ainsi que l’ex-majordome entame une filature de quatre jours qui le conduira jusqu’au pied à terre azuréen de Moukhtar Abliazov. Lui est Kazakh et son pays d’origine lui reproche d’avoir détourné l’équivalent de 10% de son produit intérieur brut. Jim Perrichon aurait également traqué les biens mal acquis d’un autre "bankster" russe en fuite, Georgy Bezhamov.
L’espion russe devenu agent double français
Il affirme détenir des informations compromettantes sur plusieurs oligarques de la Côte d’Azur tels que Viktor Rashnikov, Oleg Deripaska, ou Roman Abramovitch, tous placés sous sanctions depuis la guerre en Ukraine. Perrichon semble même s’être intéressé aux affidés politiques de Poutine. Notamment Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe, ou encore Sergueï Choïgou, l’ancien ministre de la Défense, limogé en mai dernier. Mais il se pourrait bien que cette fois, ce ne soit pas pour le compte de Moscou.
Les détectives britanniques auraient eux aussi négligé de le payer. Ce qui aurait conduit Jim Perrichon à claquer, aussi, la porte de Diligence et donc des Russes. Pas question pour autant de raccrocher sa casquette d’espion. C’est à la justice française qu’il va proposer ses services en 2019. Le factotum des milliardaires sur la Côte prend alors attache avec le Parquet national financier (PNF) et commence manifestement à livrer des informations aux douaniers de Bercy.
Il faut dire qu’entre-temps, il est devenu l’intendant d’une riche ukrainienne, Natalia, qui semble avoir le fisc en horreur. Bien que sans revenus officiels, elle est en mesure de s’offrir sur un coup de tête pour 200.000 euros de bijoux (ce qui lui vaudra d’ailleurs quelques ennuis avec les douaniers russes à l’occasion d’un voyage à Moscou). En revanche, elle est prête à tout pour réduire sa feuille d’impôts. C’est la raison qui l’a conduit à élire domicile à Monaco.
Les précieux conseils d’un ancien juge pour frauder le fisc
Mais le minuscule studio qu’elle possède en Principauté ne serait qu’une adresse de papier. L’Ukrainienne vit principalement dans sa villa sur les hauteurs de Nice. Et pour que le fisc ne détecte pas la supercherie, elle va s’attacher les conseils on ne peut plus avisés... d’un ancien juge français!
Paul-Marie Falcone a fait l’essentiel de sa carrière au Conseil d’État. Cet ancien de l’ENA, décoré de la Légion d’honneur et de l’ordre national du Mérite, décédé en 2020, avait manifestement décidé à la fin de sa vie de mettre ses compétences au service de ceux qu’il a pourtant redressés tout au long de sa carrière de magistrat. Le juge ignorait sans doute que Jim Perrichon l’enregistrait lorsqu’il dispensait ses conseils pour que la riche Natalia échappe aux contrôleurs du fisc. Préconisant, notamment, "d’éteindre toutes les lumières de la villa pendant un mois" pour pouvoir produire au besoin une facture d’électricité corroborant le fait qu’elle n’y habiterait pas.
L’histoire ne dit pas (ou pas encore) ce que Bercy et le PNF ont fait des renseignements collectés par le majordome des oligarques. Si ce n’est que l’ex-espion russe condamné il y a quelques jours ne semble pas être le seul à avoir reçu la visite des policiers. Selon nos informations, il y a tout juste un an, une armée d’enquêteurs investissait également le château niçois de son ancien employeur, Sergueï Pougatchev, pour y mener une perquisition. Toutefois, cette "procédure fiscale" aurait été initiée bien avant que l’espion de Moscou ne se rapproche des autorités françaises. Elle serait toujours en cours d’instruction...
"Le préjudice pour mon client de cette mise sous surveillance est incommensurable", affirme l’avocat de Sergueï Pougatchev, Maître Adrien Verrier.
Photo Cyril Dodergny.
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Pougatchev, l’un des "sept banquiers de Poutine" exilé à Nice
Proche de Poutine, il l’a été. C’était dans les années 90, lorsque les oligarques les plus influents de Russie s’étaient mis en tête de trouver un successeur à Boris Eltsine. Celui que l’on surnommait "le pope" pour ses manières distinguées aurait même fait partie de ce club informel de milliardaires vite rebaptisé "les sept banquiers de Poutine" qui serait venu, d’un coup de jet privé, convaincre l’ancien lieutenant-colonel du KGB en villégiature à Biarritz de prendre les rênes de l’un des plus puissants pays aux mondes.
Sergueï Pougatchev, tout comme un autre des "sept banquiers", Boris Berezovski, retrouvé suicidé à Londres en 2013, en aurait bien mal été payé en retour. Après avoir été fait sénateur de la Fédération de Russie, après être devenu l’un des hommes les plus riches de ce pays, le milliardaire est tombé en disgrâce au début des années 2000. Ses biens, compagnie aérienne, chantiers navals, mines de charbon, ont tour à tour été nationalisés. Et la banque qu’il avait fondée, mise en faillite. La Russie l’accuse aujourd’hui encore d’en avoir détourné les fonds propres, près de 2 milliards de dollars...
Jusque devant la cour de Londres où Sergueï Pougatchev s’est finalement réfugié. Son exil britannique ne s’est pas révélé très sûr. Judiciairement d’abord. La justice anglaise a gelé ses avoirs, puis lui a interdit de quitter le territoire avant de le condamner à dévoiler l’intégralité de son patrimoine aux avocats de la Russie. Une série de revers qui coïncide avec l’époque où Jim Perrichon, son majordome niçois, l’espionnait.
Traqué de Londres jusque sur la Côte d’Azur
Pour l’avocat de Pougatchev, Me Adrien Verrier, cela n’est pas une coïncidence. Il pointe "une histoire hallucinante d’espionnage, comme au temps de la guerre froide. Le préjudice pour mon client de cette mise sous surveillance est incommensurable. Toutes ses données personnelles, sa vie privée, mais aussi les éléments concernant le contentieux qui oppose M. Pougatchev à la Russie, pays qui tente par tout moyen de l’éliminer, ont été transmis à la partie adverse. On comprend mieux aujourd’hui le sort réservé à certaines de ces procédures qui ont été biaisées par cet espionnage."
Sergueï Pougatchev a finalement contre-attaqué devant la justice de sa nouvelle terre d’exil. Nice, qu’il a rejointe en 2015 après que Scotland Yard a découvert des engins explosifs sous ses voitures. De simples balises de surveillance en réalité, assure-t-on du côté des agences de détectives chargées par la Russie de le traquer... Jusque sur la Côte d’Azur manifestement.
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