Fin de mission. Les sept bénévoles de l’association ULIS se sont envolés ce matin d’Adana, dans cette région du sud de la Turquie frappée par le séisme le plus dévastateur de l’histoire du pays.
Au milieu du chaos, ces sept mercenaires de l’impossible ont passé quatre jours à fouiller les décombres. Pour le pire, mais aussi le meilleur. "Il y a des images que tu garderas toute ta vie. Et il faudra que tu les enfouisses pour qu’elles ne te hantent pas la nuit." Nicolas, le sapeur-pompier azuréen (ils le sont tous, professionnels ou bénévoles), rompu aux interventions, fier de ses origines grecques, le souffle à l’oreille d’Alep. Lui est turc, pilote de drone dans la région d’Istanbul. Les deux hommes auraient pu ne jamais se rencontrer. Ils auraient même pu être frères ennemis (lire par ailleurs). Pourtant ils se sont retrouvés là, au milieu de ce chaos, portés par la même envie d’aider.
Un symbole de cette Turquie endeuillée
L’une de ces images, les secouristes azuréens l’ont exhumée des décombres dès les premiers jours. Sous un linceul de pierres. Le flair des chiens ne s’était pas trompé. Il n’y avait plus personne à sauver. Juste des corps à restituer à leurs familles. "Et ça aussi c’est important", insiste Patrick Villardry, le fondateur de l’association ULIS. Alors, l’équipe s’est mise au travail. Le plus délicatement possible, ils ont creusé. Ils ont percé ce mille-feuilles de béton qui était encore, jusqu’à la semaine dernière, un coquet immeuble à deux pas du bord de mer. Ils ont creusé pour mettre au jour cette image qui va hanter la Turquie tout entière pendant des décennies. Celle d’une famille unie, happée en une fraction de seconde. Un père tentant de protéger, sous chacun de ses bras, ses enfants de cette fureur tellurique. Ils sont trois couchés sous son corps. Leur mère est collée à eux. Aucun n’a survécu.
Cinq victimes du tremblement de terre parmi déjà plus de 22.000 recensés. Et le décompte continue à s’alourdir alors que les pelleteuses tentent déjà d’effacer les stigmates de ce drame national. Leurs mâchoires s’arrêtent parfois lorsqu’un doute surgit. Aussi faible qu’un battement de cœur, un chuchotement semblant surgir des profondeurs. À Samandag, dans la région d’Antioche, c’est un improbable coup de klaxon que des habitants ont cru entendre. Et puis plus rien...
Mais le doute est encore permis. Appelés pour vérifier, après un premier passage infructueux, les sauveteurs azuréens envoient à leur tour un de leurs chiens. Sur deux zones distinctes, Jenko, l’un des quatre malinois de l’équipe, marque un arrêt. Mais toujours rien de flagrant. Juste de quoi maintenir l’espoir, alors que déjà on les appelle pour vérifier un autre signe de vie (lire nos éditions d’hier). Dans la nuit, ils apprendront que Jenko ne s’était pas trompé. C’est d’abord une femme qui a été extraite vivante.
"Adil est vivant!"
Au petit matin, ce samedi, les sauveteurs sont de retour à Samandag. Tout d’un coup, ce n’est plus un lointain battement mais le cœur de toute la ville qui s’emballe. Les secours convergent de toute part. Encore une fois vers cet immeuble du centre qui s’est littéralement couché sur la route. Une femme fend la foule des habitants. Elle est en larme au téléphone: "Adil est vivant!" Adil c’est son frère. Il vivait là avec sa femme, Çigdem, qui portait leur enfant lorsque le séisme a frappé. Personne n’imaginait le revoir et pourtant il est là, pris au piège, mais conscient. Il dit qu’il n’a rien. Mais comment l’atteindre.
Ce ne sont pas les bras qui manquent. Il n’y en a même trop. Chacun y va du sien. Un fragile tunnel vers Adil est percé. Les secours turcs décident finalement d’ouvrir une seconde brèche. Patrick Villardry, avec ses 15séismes derrière lui, observe. Il se rapproche du mineur appelé à la rescousse: "Si tu fais ça, tu vas le tuer."
Et pour le prouver, l’Azuréen se glisse dans le corridor. Il creuse la voie à la main. Il peut sentir les cheveux de la victime. "Je lui ai dégagé le nez et la bouche." Lentement, patiemment, Adil est extrait de son sarcophage de béton alors que le peuple meurtri de Samandag forme une haie d’honneur sur cette montagne de gravats qui le retenait prisonnier.
Adil est sauvé. Après avoir passé six jours sous terre, c’est un petit miracle. Pour lui et peut-être pour Samandag et la Turquie tout entière que cet architecte de 32 ans pourra contribuer à reconstruire.
Le symbole de la solidarité
Nicolas Meliessis est sapeur-pompier à la caserne Magnan, à Nice. Mais ses origines sont frontalières de la Turquie. "Mon père est de Karpathos, une petite île au nord de la mère Egée."
Et il raconte comment ses grands-parents ont été élevés dans la haine de ce voisin d’en face. La Turquie et la Grèce se sont longtemps fait la guerre et se regardent encore, parfois, en chien de faïence.
Mais le voilà, lui, moitié niçois moitié grec, en Turquie. Aux côté d’Alep, le pilote de drone de la région d’Istanbul, venu lui aussi aider les victimes du séisme. Tous deux symboles de cette solidarité internationale qui a réagit sans tarder.
On trouve ici des ONG et des secouristes du monde entier. D’anciens frères ennemis venus apporter un peu de paix et de réconfort aux victimes.
Ensemble, comme Nicolas et Alep s’échangeant leurs drapeaux respectifs au milieu des gravats.
commentaires