Depuis la loi "anti-fessée" de 2019, "il y a des progrès mais les punitions, les humiliations à visée éducative sont encore bien présentes dans notre société", déclare à l'AFP Joëlle Sicamois, directrice de la Fondation pour l'enfance. "On a du mal à les gommer et à opérer un véritable changement en termes de méthode éducative."
"On continue malheureusement encore trop souvent de banaliser, minimiser ces méthodes visant à faire obéir par la peur, la crainte, la douleur, la contrainte, sous prétexte d'éduquer l'enfant", abonde Gilles Lazimi, médecin généraliste et président de l'association Stop VEO (violences éducatives ordinaires).
Qualifiée de "loi anti-fessée", la loi de juillet 2019 avait inscrit noir sur blanc dans le Code civil le fait que "l'autorité parentale" s'exerce "sans violences physiques ou psychologiques". Avec ce texte non contraignant, la France était devenue le 56e pays à bannir ce type de violences.
Depuis, si les violences éducatives ordinaires sont davantage connues du grand public, la situation reste "préoccupante" selon les associations. Publié tous les deux ans, le dernier baromètre Ifop de la Fondation pour l'enfance faisait état en 2024 d'une hausse dans la sphère familiale.
Huit parents sur dix déclaraient ainsi avoir eu recours à au moins une violence éducative ordinaire (qui va de crier à donner une fessée en passant par la menace ou des propos rabaissants) dans la semaine précédant l’enquête (81% en 2024 contre 79% en 2023). Bien que moins fréquentes, les violences corporelles persistent, selon cette étude, avec près d’un quart des parents ayant donné une fessée à leur enfant, 21% l'ayant bousculé et 16% lui ayant donné une gifle sur la même période.
Les lignes bougent également concernant la perception de ces actions : bousculer un enfant est reconnu comme une violence par 69% des sondés (contre 62% en 2022) tout comme lui donner une gifle par 68% (+6 points). En revanche, de moins en moins de parents considèrent que crier après son enfant est une VEO (53% des parents, -7 points).
Une majorité des parents (60%) voient la loi de 2019 comme "une intrusion de l’Etat dans les affaires privées".
Anxiété et dépression
Sur le terrain, les associations relèvent aussi des "vents contraires". En avril 2024, la relaxe d'un policier poursuivi pour violences sur sa femme et ses enfants a fait bondir les associations qui ont fustigé le "droit à la correction" évoqué par la cour d'appel de Metz pour justifier les violences commises à l'encontre des enfants. Un pourvoi en cassation a été formé.
"Cette justification est totalement invraisemblable", dénonce Gilles Lazimi qui ne mâche pas non plus ses mots contre l'ancien préfet de l'Hérault qui en 2023 avait appelé les parents à la "responsabilité" après des émeutes en prônant "deux claques et au lit!".
Le Premier ministre François Bayrou, qui avait donné en 2002 une gifle à un jeune garçon qui essayait de lui faire les poches, est revenu sur l'épisode jeudi en évoquant "une tape de père de famille", s'attirant les foudres d'une partie de la gauche qui a dénoncé une "relativisation de la violence sur les enfants".
Pour les associations, les récents débats autour de l'éducation positive ont également contribué à "brouiller le message" de la loi, laissant les parents "démunis".
"Il y a des raccourcis terribles sur le fait que l'éducation positive a entraîné du laxisme qui a entraîné un non-respect de l'autorité qui a entraîné de la délinquance", déplore Joëlle Sicamois. "C'est totalement simpliste. Une éducation sans violence ne veut évidemment pas dire qu'il n'y a pas de cadre, qu'il n'y a pas de limites et qu'on ne dit jamais non".
Pour Gilles Lazimi, "il est temps d'agir. De nombreuses études ont montré que ce type de violences peut avoir une incidence sur l'anxiété, sur l'estime, sur la dépression de l'enfant, avec un risque de troubles addictifs à l'âge adulte et de troubles de comportement. On ne peut plus attendre".
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