Le parquet de Rome a été saisi de deux affaires ayant éclaté courant août. La première concernait un groupe Facebook baptisé "Mia Moglie" (mon épouse), dans lequel des milliers d'utilisateurs partageaient des photos de femmes prises à leur insu.
Quelques jours plus tard, un site, Phica.net ("fica" étant un terme vulgaire pour désigner le sexe féminin), actif depuis plusieurs années mais passé sous les radars, était à son tour mis en cause pour ses contenus volés et dégradants dont des Italiennes anonymes comme des personnalités publiques, parmi lesquelles la Première ministre Giorgia Meloni, étaient victimes.
Mia Moglie a été fermé par Facebook et Phica.net, qui comptait plus de 700.000 utilisateurs, a été clos par son administrateur présumé, un entrepreneur de 45 ans aujourd'hui dans le viseur des enquêteurs.
Mais le scandale, par son ampleur, fait l'objet de débats et de témoignages quotidiens depuis une semaine, la presse évoquant un "MeToo numérique" en Italie.
Le journal Corriere della Sera croit savoir que plus de 40 plaintes ont déjà été déposées. Contacté par l'AFP, le parquet de Rome s'est refusé à tout commentaire.
"Commentaires abominables"
La maire de Florence, Sara Funaro, a porté plainte. Giorgia Meloni s'est dite "écoeurée", dans un entretien avec le Corriere della Sera. La cheffe du principal parti de l'opposition, Elly Schlein, elle aussi victime des sites, a dénoncé une "culture du viol".
Outre les politiques, journalistes ou artistes connues, d'autres femmes ont témoigné de leur calvaire. Comme Anna Madaro, une créatrice de contenus de 35 ans, dont la plainte a également contribué à l'éclatement de l'affaire.
Elle a raconté dans le journal Repubblica avoir été "sidérée et terrorisée" en découvrant que des photos d'elle volées sur ses réseaux sociaux étaient utilisées depuis plusieurs années, accompagnées de "commentaires abominables".
L'enquête pour diffusion illicite d'images privées, diffamation, pourrait également s'élargir au délit d'extorsion, certaines victimes s'étant vu demander de l'argent pour que leurs photos soient retirées des sites.
Mais l'avocate Annamaria Bernardini de Pace, qui envisage une plainte collective, déplore le climat de "peur" entourant ces affaires, notamment dans le cas du dossier Mia Moglie, celui-ci touchant le cercle familial.
"Les femmes me disent: j'ai peur de mon mari, peur que mon fils ait un père accusé, peur des critiques de mon entourage, peur d'être seule...", dit-elle à l'AFP, s'élevant contre "le silence, complice de la violence".
"Je suis sûr que quelqu'un a des photos d'elle, je compte sur vous les gars"
Silvia Semenzin, une sociologue spécialisée dans la violence de genre et la misogynie en ligne, avait déjà effectué un signalement du site Phica en 2019, sans qu'il y ait eu de suite.
La sociologue, dont les travaux ont conduit à la criminalisation en Italie du partage non consenti d'images intimes, avait à l'époque infiltré les groupes Telegram liés au site. "À l'époque, il comptait environ 100.000 utilisateurs, contre plus de 700.000 aujourd'hui", déplore-t-elle auprès de l'AFP.
Elle décrit le fonctionnement glaçant des "sites sexistes". Ainsi, "Phica.net avait une section nommée Revenge Porn, où les filles italiennes (dont les photos avaient été volées ou trafiquées) étaient classées par ville, par région, par nom ou prénom. Dans la section Spy (Espion), on expliquait aux utilisateurs comment utiliser des caméras cachées" dans les vestiaires ou les cabines d'essayage des magasins, ou encore "comment hacker les caméras de la maison".
La recherche menée à l'époque par Mme Semenzin reproduit des messages d'utilisateurs édifiants: "La taxe d'entrée (du site), c'est une photo de ton ex". "Des vidéos de viol, quelqu'un?". "Suivez cette fille sur Insta, c'est une telle salope. Je suis sûr que quelqu'un a des photos d'elle, je compte sur vous les gars".
L'éclatement aujourd'hui du scandale résulte selon Mme Semenzin du travail militant et de l'ampleur de l'affaire. "Cette fois ci, un vrai Metoo a éclaté, il n'y avait jamais rien eu de tel en Italie", estime-t-elle.
"Aujourd'hui, on ne peut plus faire comme si de rien n'était" juge-t-elle, espérant que le scandale aura l'impact qu'a eu en France le procès Pélicot en 2024.
L'histoire de Gisèle Pélicot, droguée et violée pendant des années par son mari et des inconnus recrutés sur internet, a eu un retentissement mondial. "En Italie on en a beaucoup parlé et beaucoup y pensent, surtout avec l'affaire du groupe Mia Moglie", souligne Mme Semenzin.
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