La petite voiture jaune d’Héloïse, retrouvez le deuxième épisode de notre série "Sur la peau, des histoires"

Tout au long de l’été, l’écrivaine Héloïse Guay de Bellissen nous propose de découvrir l’histoire d’un tatouage.

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Héloïse Guay de Bellissen Publié le 27/07/2025 à 14:15, mis à jour le 27/07/2025 à 14:27
Chaque semaine, l’histoire d’un tatouage. Photo DR

J’ai décidé de me prêter au jeu des tatouages racontés. Après tout, je peux vous en donner un des miens, puisque vous m’en donnez un des vôtres. J’en ai beaucoup, tellement même que je ne sais pas combien! Donc voici une de mes histoires sur la peau.

Un jour, alors que j’étais chez ma mère à La Seyne, dans notre maison familiale, j’ai retrouvé au fond d’un tiroir un de mes jouets. C’était une coccinelle en plastique jaune, un peu amochée par le temps, avec, dessinés sur ses portières, des fruits. Elle tenait dans la paume de main, et ce n’est pas dit que la dernière fois que je l’avais tenue, je n’avais pas six ans. Ça m’a clairement fait un choc, parce qu’elle n’existait plus pour moi, je veux dire par là que mon imaginaire, mon inconscient, appelez ça comme vous voulez, l’avait rayée de la carte.

Mais maintenant, elle était bien là, sous mes yeux et c’était une apparition enfantine à la fois belle et troublante. Cette voiturette qui ne vaut absolument rien financièrement, même moins que rien, pour moi valait de l’or, et j’ai vraiment de la chance qu’elle se soit cachée ici à m’attendre pendant toutes ses années...

La naissance de la petite voiture

Quand j’étais môme, nous partions ma mère et moi, sans ma sœur et mon père, à Toulouse chez mes grands-parents. Je devais avoir cinq ou six ans.

A l’aube, on me sortait de mon lit, et on me déposait comme un paquet à l’arrière de la voiture. Tout était prêt, j’avais un coussin et une couette. J’ouvrais les yeux de temps à autre pendant qu’on me déménageait, mais quand j’étais dans mon lit-voiture, je dormais. Ma mère prenait la route, et je me réveillais quand nous faisions une halte.

La première sur notre trajet était ma préférée, car nous allions prendre notre petit-déjeuner. Je ne sais pas si elle m’avait habillée dans la voiture ou si on l’avait fait le matin dans mon lit, mais bref, ce moment-là, je l’adorais. J’allais manger des Raiders (maintenant on dirait des Twix) et boire un chocolat lyophilisé dégoûtant que j’adorais. Et c’est lors d’une de ces excursions du Sud-Est vers le Sud-Ouest, que ma mère m’a acheté sur une aire d’autoroute cette voiture.

Le tatouage comme souvenir éternel

Fière de ma découverte, j’ai immédiatement demandé à mon mari de me la tatouer. Il y avait, et vraiment c’est ce que j’ai ressenti, une sorte d’urgence. Combien de chance j’avais de retrouver cet objet, trente ans après, et surtout dans un moment de vie pareil? Parce que ma mère aujourd’hui, est placée en maison de retraite et ne se rappelle plus de moi. Nous sommes nombreux à vivre ça, et quand ça nous tombe dessus, c’est un mélange terrible de douleur et d’impuissance. On appelle ça, le deuil blanc: faire le deuil de quelqu’un de vivant. Et mon deuil blanc, il a fallu qu’il passe par une voiture jaune gravé sur ma peau.

Un acte symbolique et réparateur

Sous l’encre il y a toujours une histoire. La mienne, c’est celle d’un moment entre une mère et sa fille que je me devais de garder près de moi. Ce tatouage, c’est la vitesse d’une autoroute que nous prenions comme des Thelma et Louise. C’est aussi les virages qu’on prend dans la vie, ceux qu’on ne voulait pas d’ailleurs mais qu’on est obligé pour suivre sa route. C’est aussi retrouver quelque chose qui ne se fera plus jamais mais qui restera. C’est une enfance qui a roulé sa bosse et qui est revenue jusqu’à moi.

Ce tatouage ne répare rien, il ne console rien. Mais il donne un souffle joyeux à ce qui arrive. On ne se tatoue pas uniquement pour se décorer, et encore moins pour se dérober à soi, parce que certains penseraient qu’on se cache derrière; c’est tout le contraire: on se dévoile. On se tatoue pour s’écrire. C’est une biographie commune avec soi et même avec l’artiste tatoueur ou tatoueuse, mais surtout, pour ma part, avec ma nouvelle mère, celle qui ne sait plus qu’elle l’est ou qu’elle l’a été.

Je l’ai tatoué sur ma hanche. Et quelques semaines après, j’ai découvert, grâce au bilan qu’on lui faisait faire, qu’elle avait un problème de naissance à ses hanches jamais détecté. N’est-ce pas incroyable? C’est sans doute une coïncidence, mais elle est parlante.

Se faire tatouer un trajet en voiture pour retrouver sa trajectoire. Rassurons-nous, le temps passe sur tout, même sur les drames. Aujourd’hui, je regarde ma voiture encrée sur ma peau comme on relit un passage d’un livre, le mien et le sien, nous avons ma mère et moi notre propre Sur la route de Jack Kerouac maintenant. Comme quoi, un tatouage, n’est pas qu’ornemental, il est aussi un point sur la carte d’une vie, que je peux regarder comme si j’ouvrais une carte routière, pas pour aller vers un lieu, mais pour me diriger dans un beau moment.

Je sais que tu lis Var-matin parfois, Maman ou Véronique, comme tu préfères, on reprend la route quand tu veux.

Si vous avez une histoire à raconter à travers votre peau et que vous êtes de la région, envoyez un mail à: surlapeaudeshistoires@gmail.com

Héloïse Guay de Bellissen. Photo DR/Vincent Bérenger.

L’auteure

Héloïse Guay de Bellissen a passé son enfance et son adolescence à La Seyne-sur-Mer. Elle est l’auteure de sept romans dont Les tatouages sont notre histoire (Robert Laffont) ou dernièrement Le King et Le prophète (Rivages, Actes Sud). Elle anime des ateliers d’écriture pour les enfants ainsi que les adultes dans la région.

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