Un nouvel été avec des méduses sur la Côte d’Azur: doit-on s’inquiéter? Un spécialiste explique tout ce qu’il faut savoir en dix questions

Les Pelagia noctiluca ont déjà piqué les premiers baigneurs sur les plages azuréennes. Ces cnidaires (invertébrés) sont présents sur la côte sans interruption, été comme hiver.

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Julie Baudin Publié le 06/07/2025 à 09:30, mis à jour le 06/07/2025 à 09:30
La Pelagia noctiluca, célèbre sur nos rivages. Photo MaxPPP/Photoshot/Franco Banfi
Pierre Gilles, plongeur et chargé de projet au Musée océanographique de Monaco, est spécialiste des méduses. Photo T. Ameller/Institut océanographique de Monaco.
La méduse " œuf au plat ". En septembre 2024, d’immenses spécimens de cette méduse avaient été observés à Saint-Jean-Cap-Ferrat et Saint-Raphaël. Elle est bien plus grosse mais moins urticante que la Pelagia noctiluca. Photo Nikaïa Garibaldi.
La , qui se cantonnait jusqu’ici aux côtes d’Israël et du Liban, apparaît de plus en plus vers l’ouest de la Méditerranée à la faveur du réchauffement climatique. Photo AFP / Biosphoto / Gabriel Barathieu.

Début juillet. Les vacances sont là. Et les plages se remplissent. Pas que de baigneurs. À Nice, Antibes ou encore Cannes et Menton, les méduses aussi sont là. En plus ou moins grand nombre. Et perturbent la tranquillité des baignades. Sur les panneaux d’information des postes de secours, "quelques méduses " sont signalées. Et les soins qui vont soulager les brûlures font désormais partie de la bobologie quotidienne pratiquée par les secouristes.

Pas de quoi interdire non plus la baignade. Mais ça peut arriver, comme ce fut le cas fin mai sur la plage du Ponteil, à Antibes, qui avait hissé le drapeau rouge en raison d’une invasion de méduses violettes.

"C’est la Pelagia noctiluca", pose Pierre Gilles, plongeur et chargé de projet "Politique de l’océan" à l’Institut océanographique de Monaco. "Ce n’est pas la seule méduse - dans les mers et océans du monde, on compte plus de 1.000 espèces au total - mais ici, c’est clairement celle qui dérange le plus, car elle est urticante si on entre en contact avec ses filaments."

Le chercheur est fasciné par ce monde des "cnidaires gélatineux" qu’il défend avec passion, Mais il mesure aussi l’impact sur le tourisme de leur présence en grand nombre. On fait le point avec lui sur toutes les questions que l’on se pose sur ces petites bêtes qui fascinent autant qu’elles font peur.

Y a-t-il plus de méduses en Méditerranée qu’il y a quelques années?

Premier constat partagé par le commun des mortels: leur nombre semble être en augmentation. Au niveau environnemental, leur prolifération serait telle qu’elle provoquerait une "gélification" des océans, selon un rapport de septembre 2019 du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec).

Une affirmation qui divise cependant les scientifiques: "Il n’y a pas de mesures vraiment fiables permettant de dire qu’il y en a plus de méduses", explique Pierre Gilles. "Ce qui est nouveau, c’est que depuis une dizaine d’années, elles ont tendance à pulluler."

Il explique plus en détail: "Jusqu’à présent, les scientifiques qui ont travaillé sur le sujet avaient mis en avant des cycles où les méduses, notamment les Pelagia noctiluca, étaient plus ou moins présentes: il y avait les années à méduses et les années sans. Depuis maintenant une dizaine d’années, leur présence est constante. On a des arrivées de méduses pratiquement tous les mois sur la bande littorale – en hiver aussi, mais il y a moins de monde dans l’eau pour les voir."

Est-ce à cause de la température de l’eau de mer?

Les méduses pulluleraient-elles dans une mer plus chaude? "Un lien direct qui n’est pas du tout évident" pour Pierre Gilles, qui met en avant que "les méduses vivent en général au large et évoluent entre la surface et 800mètres de profondeur, où l’eau est plus froide. Et on en voit aussi en hiver sur nos côtes." La température de prédilection de la méduse tournant autour de 13 ou 14°C; ce n’est donc pas la température estivale qui favorise son arrivée.

"Ceci dit, ajoute le chercheur, la mer Méditerranée, mer fermée, est impactée de plein fouet par les effets du changement climatique. La température de l’eau y a augmenté de 1°C en 30 ans, c’est considérable. Ces canicules marines sont assez sévères pour certains organismes comme les gorgones, les oursins et certaines étoiles de mer; les méduses, elles, semblent en effet tirer leur épingle du jeu. Mais ce n’est pas là le seul facteur si elles prolifèrent."

Le nombre de méduses a-t-il un lien avec la pollution?

Pour Pierre Gilles, "la pression de l’homme sur le milieu marin est sans précédent – 30% du trafic maritime passe en Méditerranée – et cela a forcément un effet sur les espèces qui la peuplent. Dans ce contexte, on constate que les méduses tirent encore leur épingle du jeu: des apports de nitrate et d’azote font proliférer le phytoplancton et le zooplancton dont elles se nourrissent. Toutes les conditions sont réunies pour avoir plus de méduses sur nos côtes."

Ont-elles de moins de prédateurs?

"L’hypothèse la plus logique, c’est que s’il y a plus de méduses, c’est aussi peut-être parce qu’il y a moins de prédateurs." Pierre Gilles pointe du doigt la surexploitation des ressources, et notamment la surpêche en Méditerranée, "deuxième zone la plus pêchée au monde". Parmi les poissons prédateurs de méduses, on cite souvent le poisson-lune, les tortues de mer, les sars.

À noter aussi que la Pelagia noctiluca a un mode de reproduction ultra-simple: le mâle libère à loisir ses spermatozoïdes en pleine eau, qui sont ensuite ingérés par la femelle. Une fécondation dite interne. "Si elles n’ont plus de prédateurs, elles sont tranquilles pour se reproduire en grande quantité."

Pourquoi on en voit en bancs près du rivage?

Les méduses vivent au large toute l’année. "Ce sont des groupes immenses qui évoluent à quelques milles des côtes. La nuit, elles remontent à la surface en groupe pour se nourrir de plancton et de petits poissons qu’elles foudroient avec leurs filaments. Quand on les voit sur nos côtes, c’est qu’elles sont ramenées par des courants et coups de mer; ce sont des bancs d’animaux en train de mourir", explique Pierre Gilles.

Va-t-il y avoir des méduses demain à la plage?

C’est évidemment "la" question qu’on se pose tous avant d’enfiler son maillot. "Difficile de répondre avec certitude et précision, reconnaît Pierre Gilles. Mais aujourd’hui, certains sites permettent de donner des tendances, en se fondant notamment sur l’observation de chacun d’entre nous."

L’entreprise Acri-ST, spécialisée dans le traitement et le stockage de données satellites, et basée à Sophia Antipolis, a mis en place un site web, dédié au recensement des méduses sur le littoral. Sur sa carte participative, elle recense la présence des méduses sur les plages de la Côte d’Azur. Sans trop de surprise, le littoral est jonché d’émojis de méduses colorées, du vert au rouge, alertant sur leur présence, sur les trois derniers jours.

C’est aussi le cas du site collaboratif Meduseo qui propose une météo des méduses et rappelle les plages à éviter. Il collecte aussi des témoignages d’internautes: "Plusieurs personnes ont été piquées ce matin vers 8 heures" sur une plage niçoise, ou encore "avec le vent, elles sont de plus en plus nombreuses" du côté d’Antibes.

Que faire en cas de piqûres?

"D’abord, une méduse n’attaque pas. Elle pique car c’est sa méthode de chasse. Elle déplace ses filaments pour pêcher, et c’est quand vous entrez en contact avec ceux-ci que les problèmes arrivent", pose Pierre Gilles. Qui précise aussi que "même échouées sur la plage, elles piquent encore".

Comment ça marche? "Ce qui pique, ce sont les cellules qui se trouvent à la surface des filaments: elles injectent leur venin sous la peau grâce à un harpon minuscule."

Que faire? Surtout, ne pas frotter, et ne pas passer de l’eau douce, qui fait éclater les cellules encore en contact avec la peau. "L’idéal est de gratter avec une carte en plastique pour ôter les filaments. Mettre aussi, si c’est possible, du sable chaud sur la zone touchée." La chaleur va rendre inactive la toxine, c’est donc de là que vient la légende de l’urine. Mais ça marche aussi avec la chaleur du sable. "Et ne pas hésiter à consulter en cas d’allergie, car la méduse pélagique est vraiment très urticante."

Voit-on apparaître de nouvelles espèces de méduses en Méditerranée?

"En Méditerranée, on parle souvent de la Pelagia noctiluca, qui a mauvaise presse. Mais il y a d’autres méduses endémiques. C’est le cas, par exemple, de la Rhizostoma pulmo, ou méduse chou-fleur, qui n’a pas de tentacules et est très peu urticante. Ou encore de la méduse “œuf au plat", la Cotylorhiza tuberculata."

En septembre dernier, d’immenses spécimens de cette méduse avaient été observés à Saint-Jean-Cap-Ferrat et Saint-Raphaël. "Elle est bien plus grosse, mais moins urticante que la Pelagia noctiluca. C’est l’une des méduses les plus colorées de Méditerranée, la rencontrer lors d’une sortie masque et tuba est un ravissement…"

La Méditerranée compte aussi des espèces de méduses non endémiques. Ce qui est directement lié au réchauffement climatique, qui bouleverse la biodiversité et l’environnement marin, notamment la circulation des courants. "Ce sont des nouveaux arrivants, des espèces tropicales qui arrivent en Méditerranée depuis la mer Rouge via le canal de Suez", décrit le spécialiste.

C’est le cas de la Rhopilema nomadica ou méduse nomade, une grosse méduse blanche extrêmement urticante qui peut mesurer jusqu’à 1mètre de diamètre. Présente depuis plus de quarante ans le long des côtes d’Israël et du Liban, elle dérive vers l’ouest avec les courants. Elle a été observée en petit nombre en Grèce, à Malte et en Sardaigne

Autre exemple, la "vessie de mer" ou "galère portugaise", qui fréquente habituellement des mers tropicales. "Elle ressemble beaucoup à une méduse, mais ce n’en est pas une", rétablit Pierre Gilles. Elle n’en pose pas moins problème en Méditerranée, où elle a fait son apparition: l’été dernier, en Catalogne, des plages ont dû être évacuées en raison de sa présence car cet animal, qui ressemble à un sac gonflé d’air translucide aux reflets bleus, dispose de tentacules urticants pouvant atteindre les 20mètres! Son venin, mortel pour les poissons, peut aussi être dangereux pour les humains.

Doit-on craindre une surpopulation de méduses en Méditerranée?

"Ce que je peux vous dire, répond Pierre Gilles, c’est que par exemple en mer Noire, une petite méduse, Mnemiopsis, qui est arrivée dans les cuves d’eau de mer des bateaux, a détruit des stocks entiers d’anchois, une ressource essentielle là-bas. Ces petits organismes ont mis à genoux toute une économie locale." Autre exemple cité par le chercheur: "En Méditerranée orientale, des méduses colmatent les prises d’eau des usines qui pompent l’eau de mer."

"Chez nous, la présence en trop grand nombre de la Pelagia noctiluca pourrait représenter un vrai problème de santé publique, et avoir un impact important sur le tourisme." Certaines communes azuréennes installent des filets, "mais c’est coûteux et si on doit protéger toute la côte, c’est logistiquement lourd".

Les méduses peuvent-elles être utiles à l’homme?

"Historiquement, on a utilisé les méduses pour les mettre au pied des plantations, afin de fertiliser la terre, indique Pierre Gilles. Et elles sont à l’origine de deux prix Nobel, car elles ont permis des avancées scientifiques notables."

En 1913, le prix Nobel de médecine a en effet récompensé des travaux sur le fonctionnement du venin de cousines de méduses, les physalies, qui ont permis de comprendre le choc anaphylactique: le venin diminue au lieu de renforcer l’immunité des personnes déjà piquées. Une révolution puisque, jusque-là, on était plutôt dans l’idée que plus on s’expose à quelque chose, moins on y est sensible.

En 2008, un second prix Nobel, de chimie cette fois, a été décerné pour la découverte et les applications de la protéine fluorescente verte, découverte dans la méduse Aequorea victoria. Cette fluorescence a été utilisée par de nombreux biochimistes, biologistes et chercheurs en médecine dans leurs recherches, notamment sur les tumeurs ou la maladie d’Alzheimer, avait souligné en 2008 le comité Nobel.

Plus récemment, les méduses sont scrutées de près par des scientifiques pour leur composition en collagène, un produit très à la mode.

Et puis, l’homme se nourrit aussi de méduses. "Les Japonais en raffolent. J’en ai mangé aussi, confie Pierre Gilles. Et cela a surtout le goût de la sauce avec laquelle on les accompagne. Ceci dit, en bouche, c’est une texture très agréable, un peu croquante."

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