Comment se prépare-t-on à la menace des feux de forêts?
Si le dernier incendie majeur remonte à 2003, les départements du Var et des Alpes-Maritimes resteront en état d’alerte permanent durant tout l’été. Car en matière de feux de forêt, le risque zéro n’existe pas...
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Guillaume AubertinPublié le 11/07/2016 à 14:05, mis à jour le 18/07/2017 à 16:31
Photo G.A.
Certaines cicatrices ne se referment pas. Personne n’a oublié les terribles incendies qui ont ravagé le massif des Maures, durant l’été 2003. Certes, la végétation a eu le temps de reprendre ses droits. Depuis, le Var a même été plutôt épargné par les feux de forêt (dont les causes sont d’origine humaine dans 9 cas sur 10). Mais le traumatisme des années noires, lui, est toujours là. Ancré dans toutes les mémoires.
Chaque été depuis quinze ans, 2.300 hectares de forêt partent en fumée dans le Var. Une moyenne qui baisse sensiblement depuis 2003 donc, la dernière grosse année noire, pendant laquelle plus de 18.000 hectares de forêt avaient brûlé. La pire année (en termes de superficie) remonte à 1990, avec 26.000 hectares de forêt détruits. Chaque été, près de 120 départs de feux en moyenne sont recensés dans le département.
Un été à haut risque
La menace d’un feu d’envergure planera donc encore cette saison sur toute la Côte, et tout particulièrement sur le deuxième département le plus boisé de France, mais surtout, le plus exposé aux risques en raison de sa forte urbanisation, de sa topographie accidentée et de son exposition au vent. Les derniers relevés météo incitent toutefois à l’optimisme. "Le printemps a été très déficitaire en termes de précipitation (40 % de moins par rapport aux normales), mais le mois de juin a été plus humide", note Julien Vert, chef du service environnement et forêt à la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM). Lequel précise en revanche qu’il faudra "s’attendre à de fortes canicules et de gros coups de vent".
Autrement dit: "il va falloir rester vigilant". Et respecter les règles d'usage. Comme le dit si bien bien le colonel Eric Martin, chef des pompiers du Var: "un bon débroussaillement vaut mieux que tous les pompiers du monde". Les autres règles à suivre: ne pas faire de feu, respecter l’ouverture des accès aux massifs aux forestiers. Et, comme toujours, faire preuve d'un peu de bon sens.
Tout le monde sur le pont
Depuis le 1er juillet, tous les services (pompiers, ONF, CCFF, agents départementaux, forestiers sapeurs…) sont mobilisés sous l’autorité de la DDTM, qui assure la conception et le pilotage du dispositif estival de patrouilles de Défense des forêts contre l’incendie (DFCI). Lequel sera composé de 44 "îlots" (deux hommes équipés d’un véhicule porteur d’eau et d’une motopompe) qui quadrilleront tout le département. Leur mission: prévenir, surveiller et intervenir en cas de feu naissant, avant l’arrivée massive des pompiers, dont les véhicules sont désormais équipés de caméras thermiques pour éviter notamment les reprises de feu.
La mobilisation du Service d’incendie et de secours (Sdis) cet été sera donc adaptée en fonction des risques, comme l'explique le colonel Eric Martin. "On adapte la réponse à la situation. Mais en plus de nos moyens classiques, nous avons quatre hélicoptères bombardiers d’eau à disposition. Et, en cas de besoin, le renfort de 12 Canadairs, 2 Dashs et 9 Trackers. La clé de la réussite passera par notre politique interservices de prévention et de lutte contre le feu", assure le directeur départemental du Sdis.
Embarquement des véhicules à Port-Pothuau aux Salins d'Hyères.Photo G.A..
Les lanceurs d'alerte de l'ONF et des CCFFF
Les sapeurs-pompiers du Var pourront s’appuyer sur les quelque 5.000 bénévoles des Comités communaux des feux de forêt (CCFF) du Var. Comme chaque saison, Gilles Allione, le président départemental des CCFF, pilotera les manœuvres depuis son PC de commandement de "Var Orange", basé à Draguignan. "Notre rôle est simple, résume cet ancien pompier volontaire, c’est de surveiller l’ensemble des massifs forestiers en coordination directe avec la DDTM et les sapeurs-pompiers". Les bénévoles des CCFF, auxquelles sont associées 140 communes varoises, assurent une présence quotidienne partout où le danger est présent. Leur particularité, c’est de connaître le terrain et les risques.
Souvent retraités, ou parfois beaucoup plus jeunes, les bénévoles des CCFF ont pour mission de quadriller tout le département à bord de véhicules porteurs d’eau. Car à l’instar des agents de l’ONF, eux aussi peuvent être les premiers à intervenir sur un feu naissant.
Les agents de l’Office national des forêts (ONF), qui connaissent le terrain mieux que quiconque, apportent eux aussi leur précieux soutien aux combattants du feu. Postés aux premières loges, ils font souvent office de "lanceurs d’alerte". Ils seront près de 140 agents mobilisés cette saison, sous la houlette d’Alain Monavon. "Le dispositif comporte 24 îlots de patrouilles armées, composées chacune de deux ouvriers et d’un camion-citerne de feu léger", détaille le responsable du pôle Défense de la forêt contre les incendies (DFCI) Var et Alpes-Maritimes.
Leur rôle: surveiller les zones sensibles 7j/7, sensibiliser la population et intervenir en cas de départ de feu. L’ONF, qui arme par ailleurs trois vigies de surveillance (à Draguignan, au mont Caume et à la Sainte-Baume) durant tout l’été, mobilise enfin une dizaine de patrouilles "Sylva" représentées par des agents assermentés qui doivent veiller à l’application des règles forestières. Quitte à distribuer quelques amendes.
Plus de 80 sapeurs-pompiers ont été mobilisés le 17 juin dernier pour un vaste exercice incendie à Porquerolles.Photo G.A..
Et s'il y a avait le feu à Porquerolles?
Pour comprendre comment les sapeurs-pompiers varois se préparent à l'aube de cette nouvelle saison estivale, nous les avons donc suivis lors d'un vaste exercice incendie organisé le mois dernier sur l'île de Porquerolles.
Le rendez-vous a été fixé à 7 heures pétantes, à Port Pothuau aux Salins d’Hyères. Sans surprise, personne ne manque à l’appel. Ils sont tous là, impeccables dans leur uniforme, l’œil vif et les rangers soigneusement cirées, prêts à entendre les consignes. On se croirait presque à une répétition générale de défilé du 14 juillet. Sauf qu’on est le 17 juin et qu’il n’est pas question de fêter quoi que ce soit.
Ce jour-là, les quatre-vingts sapeurs-pompiers du Sdis du Var sont bel et bien en mission. L’exercice, baptisé "Plan des îles" consiste à évaluer la rapidité d’intervention des combattants du feu sur l’île de Porquerolles, où un incendie (fictif) vient tout juste d’être déclaré.
Une histoire de barbecue non maîtrisé aux abords d’une villa serait à l’origine du sinistre. Le départ du feu est très précisément localisé au lieu-dit "maison de grand cale". Sur place, on note un vent sur zone secteur ouest du 250° à 20 km/h. Vitesse de propagation du feu théorique: 600 m/h. Et, comme le précise le colonel Christophe Pasquini, chef du groupement opération du Sdis: "les difficultés d’accès empêchent toute attaque du feu naissant par les moyens présents sur l’île". En d’autres termes, il y a de quoi sérieusement s’inquiéter. Mieux vaut donc ne pas traîner. Intervenir vite et bien.
La mission du jour : tester la réactivité de tous les services en cas d'incendie sur l'île.Photo G.A..
"Tester notre capacité de réaction"
Basé toute l’année à Port-Pothuau, Le CTS Gapeau de la Direction générale de l’armement (DGA), armé par la Marine nationale, est prêt à faire embarquer le matériel et les hommes, qui sont aussi des femmes d'ailleurs. Il est 7h30, l’heure du grand briefing. Les yeux plissés sous l’effet d’un soleil levant particulièrement vigoureux, le colonel Pasquini annonce le programme de la journée, carte de l’île à l’appui posée sur le capot de l’un des quatorze véhicules de pompiers mobilisés pour l’occasion: "La première étape, présente-t-il, ce sera de mettre en place une ligne d’alimentation en pompant l’eau directement dans la mer.
La deuxième étape : attaquer le feu avec trois GIFF (composés de dix-sept personnes, d’un véhicule de commandement et de quatre véhicules d’attaque) qui seront appuyés par les moyens aériens (deux hélicos et un Canadair). Troisième étape : défense du point sensible, protéger le sémaphore. Et quatrième et dernière étape : intervenir sur une saute de feu dans une zone très escarpée." Tout un programme, donc, qu’il va falloir respecter au pied de la lettre.
"L’idée de cette manœuvre, résume le commandant Michel Seitz, chef du centre de secours principal d’Hyères, est de mettre en place un pont maritime entre l’île et le continent et de tester ainsi la capacité de réaction de tous les services concernés si un incendie se déclarait là-bas".
Les hommes du Détachement d'intervention héliporté (DIH) entrent en action.Photo G.A..
"Apte et paré à partir à tout moment"
Au niveau de l’embarcadère, le premier-maître David, de la Marine nationale, commence à faire grimper les engins à bord. "La manœuvre est un peu particulière, explique-t-il tout en guidant les conducteurs en marche arrière. À 8 heures, tout est prêt. Les 14 engins de lutte incendie venus de Cuers, Hyères, Bormes et le Lavandou sont parfaitement garés. "On peut embarquer près de 200 tonnes de matériel à bord", précise le premier-maître Gilles Thoméré, commandant du CTS Gapeau. Lequel donne à présent l’ordre d’appareiller. Cap sur les îles.
Cela a beau être un exercice, le commandant du navire n’en reste pas moins extrêmement concentré. "On doit être apte et paré à partir à tout moment", dit-il en fixant l’horizon, comme si l’exercice était bien réel. À bord, les pompiers profitent du voyage dans une ambiance nettement plus détendue. Ici, un petit groupe se raconte le dernier week-end passé en famille. Là-bas, un autre refait le match Ukraine - Irlande du Nord disputé la veille.
Mais derrière cette apparente décontraction, tous savent qu’ils ne sont pas là pour rigoler, bien conscients que "le jour où il faudra intervenir", ils n’auront "pas le droit à l’erreur". Personne n‘a oublié les trois pompiers seynois morts brûlés vifs dans l’incendie de la Garde-Freinet en 2003.
Pour certains, et notamment les plus anciens, le souvenir de leurs frères d’armes morts au "combat" refait régulièrement surface. Les noms de Jessy Beugin, Ludovic Martin et Jean-François Siri font eux aussi écho aux risques du "métier". Les trois combattants du feu ont péri le 21 juin 1990 dans l’incendie de Cabasson à Bormes, qui a également coûté la vie au jeune pompier volontaire borméen, Patrick Nolleveaux.
A bord de l’Écureuil des pompiers, pour "repérer les zones de largage".Photo G.A..
L’enfer au paradis
Vingt-six ans plus tard, le souvenir est toujours aussi douloureux, l’émotion toujours aussi vive. Chaque été, les familles des victimes, pompiers, bénévoles des CCFF et autres élus locaux se retrouvent à l’endroit même où le brasier a englouti les quatre hommes. Un cadre paradisiaque perché sur les hauteurs du village de Cabasson, d’où l’on peut apercevoir le fort de Brégançon en contrebas.
"Ils ont connu l’enfer au paradis", résume ainsi un pompier avant le début de la cérémonie. Ils sont encore une bonne centaine réunis cette année. Parmi eux, Roger Affagard, vingt ans de marin-pompier à Marseille, et treize ans de bénévole au CCFF de Bormes au compteur. Autant dire que des incendies, il en a vus. "À l’époque, rembobine-t-il, on n’avait évidemment moins de matériel roulant et aérien. Moins de moyens d’observation non plus". Certes, les temps ont changé. Mais le risque, lui, demeure permanent.
Pour Jeanne-Claire Martin, la mère du jeune Ludovic, victime du feu alors qu’il n’avait que 20 ans, il est "nécessaire de faire plus de prévention". Comme le souligne toutefois le lieutenant Philippe Grandveaud, qui était présent au moment du drame en tant qu’adjoint au chef de centre du Lavandou, "le risque zéro n’existe pas… Même avec la connaissance. Car aujourd’hui, précise le membre du Syndicat national de l’encadrement du Sdis, on essaie de former davantage nos jeunes à anticiper, bien se placer, deviner les signes, en fonction du relief, du vent, de la végétation et de la conjugaison de ces trois phénomènes".
Tous les 21 juin, pompiers, élus et familles des victimes rendent hommage aux quatre pompiers morts dans l'incendie de Cabasson, il y a 26 ans.Photo G.A..
"On entendait des explosions partout, c'était la guerre"
Le 21 juin 1990, les quatre pompiers ont été soufflés par une véritable boule de feu qui a embrasé l’atmosphère. Dans le jargon, on appelle ça un "embrasement généralisé éclair".
"À l’époque, se souvient le lieutenant Grandveaud, le phénomène n’était pas très connu, il a été validé depuis par les experts qui en ont aussi étudié les prémices: peu de vent dans l’air, troubles de la vision et de la parole".
Pascal Battestini parle très bien de ces signes avant-coureurs. Il était sur place, cet après-midi-là, lorsque l’enfer a sévi. Il avait 19 ans à l’époque.
"J’étais dans le deuxième camion, raconte-t-il, la gorge encore nouée. On était en train de manœuvrer, il n’y avait pas de flammes et tout d’un coup, on a senti cette vague thermique, une onde de chaleur de plus de 600 °C qui nous a surpris. On entendait des explosions partout, c’était la guerre".
Pascal Battestini s’en est sorti. Pas les autres.
À bord du CTS Gapeau, tous les pompiers présents ont eu vent de cette tragédie.
Les pompiers sont prêts à combattre le feu (fictif) qui a été déclaré sur l'île.Photo G.A..
"Ils ont sorti l’artillerie lourde"
Il est 9 heures quand le bâtiment de la Marine déverse les engins de lutte incendie sur l’île, sous les yeux surpris, et parfois inquiets, des quelques badauds qui passent par là. "Ils ont sorti l’artillerie lourde", commente Alain, un plaisancier aussitôt rassuré par les hommes de la Marine qui lui précisent que "ce n’est qu’un exercice".
"En cas de réel incendie, je pense qu’on est capable de projeter tous nos renforts terrestres sur l’île en moins de deux heures", apprécie ainsi le colonel Seitz, qui dirige les opérations.
Depuis 1973, 56 départs de feu ont été recensés sur l’île. Le plus gros d’entre eux n’a fait que deux hectares. Des feux aussitôt détectés, et aussitôt éteints, donc. Le plus souvent par les 4 à 17 pompiers présents en permanence sur l’île. Au cas où…
Les pompiers du Détachement d'intervention héliporté (DIH) sont désormais entrés en action au niveau du terrain de foot. Une motopompe a été installée sur une barge. "Avec ça, précise le capitaine Serge Deneubourg, on peut débiter 60 m3/h d’eau. » Pendant ce temps-là, les deux Écureuils (hélicos bombardiers d’eau) ont entamé leur rotation pour "repérer les zones de largage", grâce à leur vision à 360°.
Comme chaque été, les Canadairs de la sécurité civile, basés à Marignane, se tiennent prêts à intervenir.Photo G.A..
Prêt à ouvrir la vanne
À terre, les sapeurs pompiers ont enfin rejoint la ligne d’appui pour empêcher la propagation du feu. "Chaque GIFF tient 100 mètres de linéaire", détaille l’adjudant-chef Christophe Guérin, du CIS de Pierrefeu.
À quelques mètres de là, sagement posté sans une partie légèrement déboisée, Marc-Antoine Rougeot a armé sa lance incendie. Il attend le signal, un genou à terre, prêt à ouvrir la vanne. C’est sa quatrième saison en tant que bénévole.
Dans son uniforme de combat, le jeune homme sue à grosses gouttes, comme si le sort de l’île en dépendait. "C’est bon, on est prêt", lâche-t-il d’un ton ferme et décidé. Ça tombe bien, le Canadair appelé à la rescousse vient d’arriver.
La bataille semble bien embarquée. La guerre du feu, en revanche, ne sera jamais gagnée d’avance.
Bénévoles et pompiers professionnels seront sur le qui-vive durant tout l'été.Photo G.A..
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