Question de Jean-Marc
Le sujet est lancinant, de nombreux lecteurs se posent la question à haute voix: le dessalement de l’eau de mer n’est-il pas une solution évidente, pour alimenter les douches de plage? Question de bon sens, vraiment?
Bonjour Jean-Marc (du 06), vous soulevez la piste du dessalement de l’eau pour alimenter les douches de plage et énumérez les raisons de s’y intéresser. Thierry (à Saint-Raphaël) souligne qu’une "douche de plage peut consommer une dizaine de mètres cubes par jour". Marc (Juan-les-Pins) s’insurge: "Comme je le redoutais, les douches de plage sont en fonction, alors que nous devons faire extrêmement attention à cause de la sécheresse. Inadmissible." Thérèse se dit "choquée de constater que l’été dernier à Nice aucune mesure grand public d’économie d’eau n’a été prise".
C’est peu dire que le sujet des douches de plage fait réagir, pas seulement depuis que les préfets ont imposé de couper le robinet et que quelques maires ont décidé de passer outre. Essentiellement dans les Alpes-Maritimes (dont Nice et Antibes).
La douche de plage cristallise les avis tranchés. Pour les uns, le besoin est futile: "Chacun peut se doucher en rentrant chez soi". Et la solidarité entre territoires doit primer: "Il est injuste d’interdire aux habitants de l’arrière-pays d’arroser leurs petits potagers, pendant que nous autres, sur la côte, gaspillons une quantité d’eau conséquente sur les plages."
Pour les autres, "si on veut attirer des touristes ayant un réel intérêt économique local, il est clair qu’il faut leur offrir certaines prestations". Même si "le but est de ne pas consommer l’eau potable du réseau urbain". Alors, quelles solutions, pour essayer d’avancer?
#1 Une solution extrême
Si la technologie du dessalement est répandue dans le monde, elle a de vilains défauts. Le premier est son impact environnemental.
Spécialisé dans la gestion territoriale de l’eau, le géographe et directeur de recherche au CNRS Stéphane Ghiotti en parle ainsi: "La dessalinisation existe dans des contextes géographiques, ou il y a peu ou pas d’alternative. Elle n’est pas généralisable. Les rejets de saumure sont une pollution et une menace pour le littoral et ses éco-systèmes."
Plus concentrée en sel que l’eau de mer, la saumure modifie la vie marine et aggrave la mortalité d’espèces telles la posidonie.
Le coût du dessalement est aussi économique. Il n’y a pas une eau plus énergivore à produire. Elle coûte donc cher. Le pourtour méditerranéen regorge d’États pétroliers ou gaziers qui pratiquent la dessalinisation en brûlant leurs énergies fossiles.
Pour Stéphane Ghiotti, il convient surtout de sortir d’un modèle. "Est-ce grave que les gens du bord de mer renoncent à la douche sur la plage, quand l’agriculteur est contraint de limiter l’arrosage?"
#2 Un exemple en Corse
Un exemple est souvent donné d’une usine de dessalement sur le littoral méditerranéen français, dans le village de Rogliano, au cap Corse.
"Une commune qui manque d’eau, c’est une commune fantôme", s’exclame son maire, qui est rassuré par cette "eau de secours". L’équipement a fonctionné de façon dérogatoire à la fin de l’été dernier, pour remplir le réservoir du village et finir la saison.
"Quand je l’ai lancé, je n’avais pas le choix, il n’y avait plus d’eau", argue Patrice Quilici, joint par téléphone. Pour autant, l’usine n’a encore aucune autorisation permanente, "j’en suis toujours au stade du dossier d’autorisation", à cause des saumures – "vous imaginez rejeter sur la plage?" Et le prix de cette eau n’a pas encore été répercuté sur les factures. "Une taxe peut-être, ce n’est pas encore décidé."
Mais pense-t-il utiliser cette précieuse eau dessalinisée pour des douches de plage? "Non! La priorité, c’est l’eau potable. Les douches de plage, je les ai supprimées. Côté consommation d’eau, c’est une catastrophe!"
Par chance, les pluies de fin de printemps ont permis de réapprovisionner le territoire. L’usine ne devrait pas être utilisée cet été.
#3 Des projets…
Une société monégasque a développé une solution, qui affirme avoir un moindre impact environnemental et énergétique.
"L’idée repose sur de petites machines de dessalement pour alimenter des douches de plage, décrit Mehdi Hadj-Abed, fondateur d’Eaunergie. Le rejet est minime, car toute l’eau est restituée."
Avec 100 litres d’eau de mer pompée, le procédé fabrique 30 litres d’eau douce, pour la douche. L’eau plus chargée en sel retourne à la mer, comme l’eau douce, après filtration. Mehdi Hadj-Abed avance que les rejets n’ont pas d’impact majeur. "Ni on sale, ni on salit. On rééquilibre." L’énergie utilisée repose sur des panneaux solaires.
Le dispositif est installé dans quelques pays, mais bloqué en France, par l’Agence régionale de santé.Nice, Saint-Laurent-du-Var, Hyères seraient intéressées.
#4… Et des coups d'arrêts
Monaco s’était engagé sur la voie de la dessalinisation, mais a mis un coup d’arrêt aux expérimentations.
"Nous avions deux installations, pour de l’irrigation d’espace vert et pour alimenter un bassin en eau, décrit Jean-Jacques Pinotti, chef de section à l’aménagement urbain de Monaco. Mais l’État monégasque est réticent à utiliser une eau dessalée, au titre de sa politique sur la biodiversité. Le fait de rejeter des saumures posait un problème éthique et environnemental."
En Espagne, Barcelone a coupé le robinet de ses douches de plage. L’aire métropolitaine estime faire une économie de 80.000 m3 d’eau, au moment où la ressource est la plus rare et la plus demandée, l’été.