Ça sort mercredi au cinéma: Le réalisateur israélien Nadav Lapid signe avec "Oui" une fresque politique et artistique percutante

Avec « Oui », le cinéaste Nadav Lapid livre un film d’une rare densité sur le conflit israélo-palestinien. Profond et percutant.

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Cédric Coppola Publié le 16/09/2025 à 18:50, mis à jour le 16/09/2025 à 18:50
Efrat Dor et Ariel Bronz. Photo Les Films du Losange

Israël au lendemain du 7 octobre 2023. Y (Ariel Bronz), musicien de jazz précaire, et sa femme Jasmine (Efrat Dor), danseuse, donnent leur art, leur âme et leur corps aux plus offrants, apportent plaisir et consolation à leur pays qui saigne. Bientôt, Y se voit confier une mission de la plus haute importance: mettre en musique un nouvel hymne national...

Inventif, enlevé et grave. Le nouveau Nadav Lapid bouscule et parvient à allier le politique à l’artistique avec une rare maestria. Jamais donneur de leçons, son Oui, inspiré par les événements du 7 octobre avec l’attaque terroriste perpétrée par le Hamas depuis la bande de Gaza contre Israël, est le reflet d’un monde qui s’effondre. Un chaos dans lequel un artiste apolitique n’a de cesse de se compromettre avec l’espoir inconscient de mieux approcher le pouvoir. Personnage étrange, Y traverse les soirées décadentes et devient un témoin passif de l’horreur. Au cours de ce parcours unique, ses rencontres avec des puissants, des artistes ou ses relations avec ses proches dressent un panorama complet de la situation. Un aspect politique qui ne doit pas faire oublier les innombrables idées de mise en scène. Parmi d’autres, on retiendra cet homme dont la tête se transforme en écran plat pour diffuser ses souvenirs ou une scène d’une force inouïe entre Y et son ex à quelques centaines de mètres de Gaza. Musical, engagé et parfois romanesque, Oui interpelle, et derrière son aspect bazar organisé – et volontaire –, se camoufle une œuvre majeure qui dévoile toute sa richesse après plusieurs projections. Rencontre avec le réalisateur Nadav Lapid.

Le choix de sortir le film le 17 septembre à quelques jours du 7 octobre. Symbolique?

Le tournage a commencé le 7 octobre de l’année dernière, sans acte symbolique initial, mais en souhaitant filmer la cérémonie mémorielle. Oui tente d’entrer au cœur du volcan et de regarder le feu dans les yeux, sans détours.

Cette idée de faire un film nerveux et bouillonnant était selon vous la meilleure façon de parler du conflit?

En filmant en pleine guerre, avec des missiles, des explosions constantes, on finit presque par s’y habituer… Chaque jour semble être le pire, mais le lendemain l’est encore plus. Il n’y a pas de distance, que des pulsions et émotions intenses. Tout est fort, chargé de sens. La folie est partout, et la refouler la rend plus forte. Les rythmes, le tempo, la forme reflètent cette vérité viscérale.

L’actualité influence-t-elle la création?

J’étais à Paris le 7 octobre 2023, et j’ai vu rapidement une scène politique, intellectuelle et médiatique binaire, bas de gamme, pas à la hauteur du moment. Il fallait regarder les humains et comprendre, sans ressasser des slogans vieux de 30 ans. Ce film est une révolte contre cette binarité. Certains le voient comme pro-israélien, d’autres trop critique. Or c’est simplement une œuvre qui refuse la réduction. Elle mélange amour, mort, danse, politique, existentiel, réel avec VFX [effets visuels, ndlr] étranges. On ne peut pas parler de Tel Aviv sans Gaza, ni de Gaza sans Tel Aviv; tragiquement, elles sont jumelles. Donc, le 7 octobre, j’ai pensé que le scénario qui existait avant, ne servirait à rien. C’est comme écrire des poèmes avant ou après Auschwitz…

Pourquoi votre personnage Y est-il si soumis? Cela semble être pour vous une attitude louable?

C’est la manière la plus vraie et intéressante de parler d’une société dominée par un mélange d’abrutissement, de vulgarité et d’autoritarisme croissant, dans un monde post-langage, post-pensée, post-silence. Pour voir qui sont réellement les personnes qui dominent, il faut se soumettre, s’approcher au plus près d’eux et lécher leurs bottes, pour voir de quoi elles sont faites.

Y est jazzman. Or, l’improvisation n’est-elle pas la meilleure chance de survivre dans un tel environnement?

Y est un jazzman au sens profond: sa vie est une improvisation. Comme dans cette musique l’essence passe par de petits gestes, pas par une idéologie. Y refuse les idées, les opinions. Pour lui, c’est un fardeau inutile. Il a une distance ludique, mais pas de vision globale du monde…

La bande-son est toute aussi travaillée et brasse large…

C’est un film de DJ. Tous mes projets cinématographiques sont basés sur ce principe. Au début de ma carrière, je croyais que mes films changeraient le monde, mais j’ai vite appris que si cela était impossible, le cinéma a toutefois cette faculté d’observer, de témoigner, de protéger… Alors Oui secoue l’image et la musique. J’ai choisi des chansons qui pénètrent mes défenses, touchent l’âme. Qu’elles soient bonnes…, mauvaises, parfois kitsch, peu importe… L’essentiel n’était pas là.

La scène près de la bande de Gaza, où Y retrouve une ancienne maîtresse, est une des scènes les plus fortes vues cette année. Comment l’avez-vous tournée?

Il s’agit de la colline de l’amour, où les soldats emmènent leurs copines pour s’embrasser, face au spectacle sordide des bombes sur Gaza, à 600mètres. C’est une zone militaire fermée, avec interdiction de filmer. On a demandé l’autorisation, refusée en trois secondes, pour danger de missiles. On a alors tourné en mode "guérilla", réduisant l’équipe à 5-6 personnes acteurs compris… Trois minutes après un assistant m’appelle pour m’informer qu’un véhicule militaire arrive et qu’on nous demande d’arrêter. Je lui ai demandé de gagner du temps avec des phrases sinueuses. Notre chance était que l’officier, cinéphile, était un passionné de cinéma et n’arrêtait pas de poser des questions sur le sujet. Malgré des appels de ses supérieurs, il est devenu notre ange gardien et nous a protégés pendant cinq heures. C’est une histoire d’initiation à la fois horrible et drôle.

DE NADAV LAPID (France/Allemagne/ Israël/Chypre), avec Ariel Bronz, Efrat Dor, Naama Preis... Drame. 2h30. Notre avis: 4/5.

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