Au-delà de la pièce ‘‘Le Malade imaginaire’’, ce mot ‘‘imaginaire’’ résonne et donne le ton de votre film. Comment avez-vous opté pour ce parti pris?
Olivier Py: J’avais joué "Le Malade imaginaire" lors de mes 20 ans et on s’est rendu compte que, finalement, on ne connaît pas grand-chose sur Molière. Il n’y a pas beaucoup de documents, ce qui implique de faire parler un peu son imagination si on veut retrouver un Molière qui nous corresponde. Ensuite, j’ai toujours voulu raconter sa fin. Elle est inouïe dans la mesure où il s’agit d’un artiste mourant, qui se souhaite lui-même la mort et joue sur scène face à un public hilare devant le spectacle. On était aussi en plein Covid, je quittais la direction du festival d’Avignon… Une ambiance crépusculaire.
Laurent Lafitte, cette interprétation de Molière fait suite à celle de Bernard Tapie, où vous disposiez de nombreuses sources visuelles pour pouvoir l’incarner, ce qui n’est donc pas le cas ici. Quelle a donc été votre approche?
Laurent Lafitte: Le titre du film me protège. On est obligé d’imaginer qui était cet homme… Mais, en même temps, je ne voulais pas donner l’impression d’un Molière fantaisiste. On l’a conçu à partir de sources, de recherches, de faits plus ou moins établis… On s’est rapidement rendu compte que selon l’époque, le point de vue ou les personnes à qui on s’adresse, on peut raconter un Molière différent. À partir de là, j’ai simplement essayé de me mettre au service de la vision d’Olivier.
Trouver la bonne énergie représentait le challenge principal?
L. L.: On a répété pendant trois semaines. C’est à ce moment-là qu’on a vraiment trouvé le ‘‘personnage’’. Le principe du plan-séquence nous imposait d’arriver sur le plateau en étant bien préparés. La principale difficulté était de garder le rythme, la théâtralité, tout en étant dans une forme de naturalisme. Il fallait aussi mélanger le texte du "Malade" et celui d’Olivier. Trouver un équilibre à tous les niveaux… Sans oublier qu’on ne sait pas comment ils jouaient à l’époque. Sur ce point, on ne trouve que quelques documents stipulants que Molière n’aimait pas le jeu sentencieux et voulait aller vers une vérité psychologique.
O. P.: Cette question de la langue était prégnante dès l’écriture. Elle ne devait être ni archaïque, ni quotidienne, prosaïque de façon à ne pas créer un effet d’éloignement ou au contraire donner l’impression qu’on avait tout transposé au présent. Je vois la direction d’acteurs comme un château de cartes. Quand ça tient tout seul, il ne faut rien briser et ne pas trop se poser de questions!
Le choix du plan-séquence s’est-il imposé d’emblée?
O. P.: Très en amont, oui. Il n’y a pas eu d’improvisation. Dans ce type d’exercice, le côté choral est important. Dans une forme de découpage classique avec champ/contrechamp, on est souvent seul, alors qu’ici, il y a l’obligation de créer un état de groupe et de faire en sorte que tout le monde joue le même film, au même moment. Mais ce ‘‘faux’’ plan-séquence – car nous avons tourné en plusieurs parties – ne fait pas allusion au temps réel du théâtre. Il s’agit d’un film sur la postérité… Je pense que cette interrogation était essentielle pour Molière. Il voulait savoir la trace qu’il laisserait en tant qu’écrivain/poète. Il redoutait de disparaître seulement avec son visage de clown…
Molière fait-il partie des figures qui vous ont poussé à exercer votre métier?
L. L.: Au départ, j’ai eu du mal, j’étais un peu fâché avec lui… Peut-être à cause de l’école où on avait étudié "Les Fourberies de Scapin". Je n’avais pas accroché. Il m’a fallu du temps pour que je lui redonne sa chance. D’abord au Conservatoire, où j’ai travaillé certaines scènes, puis en jouant "Dom Juan" à la Comédie-Française, et enfin avec ce film.
O. P.: C’est étrange, mais je n’ai jamais monté de Molière. Je m’étais cependant intéressé aux biographies et, en Avignon, je vivais dans un hôtel particulier qu’il avait fréquenté. Au cours de cette décennie, j’avais sans cesse l’impression que son fantôme rôdait alentour… Cela m’a poussé à faire des recherches, à lire des textes et approfondir la vision, effectivement ‘‘éducation nationale’’ que l’on peut en avoir.
Où se situe selon vous sa modernité?
L. L.: La modernité comme la postérité sont des choses qui nous échappent.
On ne sait pas pourquoi telle ou telle œuvre trouve une résonance particulière. En tout cas, quand la Comédie-Française était partie jouer du Molière en Chine, le spectacle était sous-titré en mandarin et les gens riaient aux mêmes endroits qu’en France. Cela prouve qu’il y a une dimension universelle dans les travers qu’il dépeint. N’oublions pas qu’on parle aussi ‘‘la langue de Molière’’. À son époque, tout le monde ne parlait pas le même français. Lui, il a unifié la langue en étant capable de signer des œuvres propres qui distrayaient aussi bien les ouvrières que les gens de la cour du roi.
"Le Molière imaginaire"
L’histoire
Paris, 17 février 1673. Comme tous les soirs, Molière (Laurent Lafitte) monte sur la scène du théâtre du Palais-Royal pour jouer "Le Malade imaginaire". Ce sera sa dernière représentation…
Notre avis
Incontournable homme de théâtre et directeur du festival d’Avignon entre 2013 et 2022, Olivier Py passe derrière la caméra pour s’intéresser aux derniers instants du plus célèbre des auteurs français. Interprété par un Laurent Lafitte habité de bout en bout, Jean-Baptiste Poquelin est davantage filmé en coulisses que sur scène. Au cours d’un faux plan séquence intégral (on sent l’inspiration "Birdman" d’Alejandro Gonzalez Inarritu), on découvre un homme en plein tourment, "imaginé", comme le suggère le titre, à partir de faits établis, mais aussi de rumeurs plus ou moins fondées. Ce portrait revient sur son rapport à l’art, son hypocondrie ou encore sur sa bisexualité, par sa relation avec le comédien Chapelle, et Armande Béjart, sa jeune épouse qui n’était qu’autre que la fille de son ancienne compagne… Plutôt que la jouer provoc’, Olivier Py fait le portrait d’une époque. Par les personnes présentes dans le public, il évoque également les enjeux religieux (L’Église refusait d’accorder les derniers sacrements aux artistes) et politiques. Pertinent, cet exercice de style, maîtrisé et vif, évite aussi de tomber dans le piège du théâtre filmé, grâce à une volonté d’être près des corps et de privilégier le mouvement pour mieux mettre en lumière le côté « vivant » de ce petit monde pourtant sur le point de disparaître.
D’Olivier Py (France). Avec Laurent Lafitte, Stacy Martin, Bertrand de Roffignac... Comédie dramatique. 1 h 34.
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