Tortues, raies, dauphins, baleines, requins... les animaux marins sont-ils vraiment plus présents cet été près de nos côtes méditerranéennes?

Tortues, raies, dauphins, baleines... les rencontres semblent plus nombreuses. Effet de loupe des réseaux sociaux? Ou signe de tendances de fond?

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Christophe Cirone Publié le 05/08/2025 à 07:05, mis à jour le 05/08/2025 à 07:15
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Le dauphin blanc et bleu compte 30 000 représentants dans le sanctuaire Pélagos. Le cachalot, lui aussi, est habitué à nager près des côtes. Photo SOS Grand Bleu

Ce soir-là, lors de leur virée au départ de Villefranche-sur-Mer, les deux amis n’ont "même pas le temps de faire leurs sandwichs".

Le spectacle captivant de dizaines de dauphins autour d’eux vaut tous les festins du monde. Mais Rafaël Mari n’est pas au bout de ses surprises.

Un animal bien plus discret les attend sur la route du retour: un ziphius, ce grand dauphin champion d’apnée, improprement baptisé baleine à bec de Cuvier. Il mesure six mètres.

Soit la taille du bateau, qu’il prend le temps d’observer de près. "On se dit qu’on est tout petit..."

Les observations de raies mobula se multiplient cet été près des côtes françaises comme espagnoles. Sans explication certaine à ce stade. Photo SOS Grand Bleu.

La promenade des Anglais s’étire à quatre miles nautiques de là. "En moins de deux heures, on passe du bureau à la vie sauvage", se réjouit Rafaël Mari. Mais il oscille entre émotion et questions. "Y a-t-il une mutation de la faune et de la flore?"

Depuis deux mois, les observations d’animaux marins semblent plus fréquentes près de nos côtes. Et même sur les plages, à l’image de la tortue caouanne venue pondre ce lundi matin à Cavalaire - la deuxième cet été.

Effet de loupe lié aux réseaux sociaux? Ou signe de tendances profondes, dues au réchauffement climatique ou à d’autres facteurs? Les observateurs avisés ont leur petite idée, à défaut de certitudes bien ancrées.

Quand des tortues donnent la vie à Golfe-Juan et Cavalaire

Des Alpes-Maritimes au Var, c’est l’attraction de l’été sur le littoral: des portions de plages publiques sanctuarisées par des barrières, pour préserver des œufs de tortues.

Le 18 juillet, une tortue caouanne est venue pondre sur la plage du Soleil à Vallauris-Golfe-Juan. Le 23 juillet, même scénario sur celle du centre-ville de Cavalaire.

À cette date, dix traces de pontes étaient déjà recensées sur les côtes méditerranéennes françaises. Hyères aussi avait eu droit à une visite. Et ce lundi donc, nouvelle ponte à Cavalaire. Le score des années 2023 et 2024 (14 traces recensées) pourrait être battu.

"C’est un phénomène assez récent", constate Sidonie Catteau, déléguée générale de l’association Émergence et coordinatrice du réseau Tortues marines de Méditerranée française.

Certes, la tortue caouanne est présente en Méditerranée. Mais jusqu’à présent, on croisait plutôt au large de nos côtes "des tortues juvéniles ou subadultes. Depuis une petite dizaine d’années, on a commencé à identifier de gros adultes." Des spécimens pouvant dépasser le mètre et les 100kg.

Auparavant, ces tortues avaient leurs habitudes de ponte en Méditerranée orientale. Elles jettent à présent leur dévolu sur les côtes françaises, italiennes ou espagnoles.

Pourquoi? Il est bien trop tôt pour le savoir. "Soit elles viennent à des latitudes plus nordiques, soit elles étendent leur territoire de ponte. Est-ce lié au réchauffement climatique? L’avenir nous le dira", tempère Sidonie Catteau.

Quoi qu’il en soit, "nous, êtres humains, avons un joli défi à relever". À savoir cohabiter avec des animaux dont nous avons colonisé les terres. Sidonie Catteau salue le travail mené en ce sens avec "les communes, les collectivités, les usagers des plages... C’est bien intégré car c’est un animal qui séduit. " à Golfe-Juan, Emergence a pu poser une balise GPS sur la carapace de la jeune maman. Aux dernières nouvelles, elle bourlinguait en direction de Montpellier.

Des raies plus près du littoral à Cannes comme au Lavandou

"Monsieur, sortez de l’eau, il y a une raie manta... Wouahou! Magnifique!" La vidéo partagée par Stéphane Bonnet, maître-nageur à Cannes, cumule 117.000 vues et 17.000 partages sur TikTok.

Cette raie - en réalité mobula, cousine méditerranéenne de la manta - a déployé ses ailes à quelques brasses de la Croisette le 30 mai. Le 2 juin, trois amis en ont filmé une entre les ports du Lavandou et de Bormes-les-Mimosas.

Ces deux observations reflètent un constat bien réel. "Beaucoup de raies ont été signalées près des côtes cet été. Il y a eu des échouages de raies mobula", confirme Adrien Gannier, cétologue et docteur-vétérinaire au GREC (groupe d’étude des cétacés) à Antibes. Or il s’agit de raies pélagiques, habituées au grand large.

"Ce n’est pas normal d’en voir dans la zone côtière", s’interroge Sidonie Catteau. À ce stade, nul ne se risque à une explication. Même si le réchauffement climatique et ses effets collatéraux font inévitablement figure de suspects.

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Des dauphins en trompe-l’œil

Il a suffi d’un aileron pour alimenter les spéculations. Dauphin, requin, poisson-lune? Les paris sont ouverts, le 24 juillet, quand la plage cagnoise du Cigalon poste sur Facebook la photo d’un aileron non identifié. Foin de suspense: il s’agissait bien d’un dauphin.

Rien d’étonnant en Méditerranée. Mare nostrum abriterait 300.000 dauphins bleu et blanc (l’espèce la plus commune), dont 30.000 dans le sanctuaire Pélagos, rappelle Muriel Oriol, responsable de l’association SOS Grand Bleu à Saint-Jean-Cap-Ferrat.

"On peut le voir de la côte au large. On a la chance d’avoir des fonds très vite profonds, ce qui explique qu’ils viennent à 2 ou 3 miles nautiques", indique Michel Oriol. Problème: cette population est "plutôt en régression près des côtes, notamment entre Cap-Roux et Cap-Ferrat, selon Adrien Gannier. Ils sont assez impactés par le bruit du trafic et des plaisanciers aux approches non respectueuses. D’une certaine manière, on les prive de leur domaine vital."

Les grands dauphins, au profil plus côtier, sont "plutôt en augmentation". Mais Pélagos n’en compterait qu’un millier. Pour Adrien Gannier, le ressenti général vient d’ailleurs.

"Avec les réseaux sociaux, on a l’impression qu’ils sont plus nombreux. C’est un trompe-l’œil dont il faut se méfier..." Muriel Oriol se demande aussi si l’UNOC 3, le sommet de l’ONU pour l’Océan organisé en juin à Nice, n’a pas stimulé l’attention des plaisanciers.

Des cachalots pas si discrets

Oubliez le vieux calembour de cour de récré: le cachalot n’est pas aussi discret que le suggère son nom. Ce géant des mers compte un millier de représentants en Méditerranée, dont 200 dans Pélagos, et une quinzaine habitués à longer nos côtes. "C’est un animal plutôt en augmentation, notamment grâce à la fin des filets dérivants", salue le cétologue Adrien Gannier.

Les canyons sous-marins de la baie des Anges et de la Napoule recèlent quantité de calmars dont raffolent les cachalots. Logique, dès lors, de les croiser non loin de nos côtes.

Problème, souligne Adrien Gannier: "Les possibilités de collisions plus importantes avec les grands yachts. L’été, c’est l’autoroute entre Monaco et Saint-Tropez: ils sont en péril vital!"

Le rorqual commun, lui, préfère le krill, ce petit crustacé qui le conduit au large. Muriel Oriol en croise avec le Santo Sospir de SOS Grand Bleu. "On médiatise plus ces rencontres. Mais les animaux, eux, ont toujours été là."

Le 18 juillet, cette tortue caouanne a choisi la plage du Soleil à Golfe-Juan pour venir pondre. Photo Guillaume.

"Le réchauffement rebat les cartes"

Compagnon de route du commandant Cousteau à bord de la Calypso, François Sarano est docteur en océanographie et plongeur professionnel.

À 71 ans, il est aussi un compagnon de longue date et un formidable avocat des requins, qu’il défend contre les fantasmes et les miroirs déformants de l’actualité. Il livre son éclairage sur l’évolution de notre Méditerranée et de ses habitants.

Les animaux marins sont-ils plus nombreux à s’approcher des côtes, comme on en a l’impression?

Ce ne sont que des hypothèses. On ne peut pas tirer une règle de ces observations parcellaires. Des tas de facteurs se combinent: le réchauffement des eaux de surface, l’arrêt des filets dérivants qui ont anéanti la plupart des animaux pélagiques... Aujourd’hui, ils se reproduisent davantage et, petit à petit, on voit un véritable retour. Un certain nombre de prédateurs s’approchent aussi près des côtes en quête de nourriture, parce que l’on pêche trop - mais ça, encore une fois, ce sont des hypothèses.

Les réseaux sociaux accentuent-ils le sentiment de voir davantage d’animaux marins ces temps-ci?

Il y a beaucoup plus d’observateurs en mer et, surtout, plus de diffusion. En outre, les images de drones permettent de voir des choses - requins, raies... - qu’on ne pouvait pas voir auparavant sous le miroir de la surface.

Quel impact peut avoir le réchauffement climatique?

C’est très difficile de savoir quelles conséquences il a sur tel ou tel animal. Mais le réchauffement des eaux de surface, dans l’ensemble du globe et surtout en Méditerranée, modifie l’écosystème marin. Il modifie la physiqe de l’eau et les courants marins. C’est comme si on changeait les sens de circulation sur nos routes!

Faune et flore méditerranéennes s’en trouvent-elles profondément modifiées?

Le réchauffement des eaux rebat les cartes. En dehors des grands animaux, les œufs et les larves de tous les autres poissons sont affectés par des changements très profonds. Or si les proies, ou les proies de leurs proies sont affectées fortement, les grands prédateurs voient aussi leurs conditions de vie changer! Avec une augmentation de 0,7°C en Méditerranée, et des canicules marines (+3, +4°C) sur plusieurs semaines, tout est bouleversé. On est dans une phase d’accélération majeure, où se mêlent le positif et le négatif.

Les requins fascinent l’imaginaire collectif. Doit-on s’attendre à en voir plus, à l’image du grand requin blanc filmé en novembre 2024 au large de Porquerolles? Et peut-être même à des attaques?

Il faut arrêter avec les attaques! Grâce aux drones, aux États-Unis ou en Australie, on voit à quel point nous sommes sur le territoire des grands requins. Ils nagent paisiblement au milieu des surfeurs sans que ceux-ci s’en doutent. On est tellement déconnecté de la vie autour de nous qu’on redécouvre qu’il y a des poissons dans la mer! Malheureusement, on a peur de cette découverte…

Des orques ont néanmoins attaqué des bateaux du côté de Gibraltar?

Il faut connaître les circonstances. Ils cassent les safrans des bateaux: on peut se demander pourquoi ils le font. Ont-ils été blessés par des safrans? À leur place, nous ferions la même chose! Ils ne nous en veulent pas. D’ailleurs, la vengeance n’existe pas chez les animaux. Ce qui caractérise le vivant, c’est qu’il n’y a pas de règle. Concernant les requins, oui, il peut y avoir un accident. Mais est-ce que vous me poseriez la question si on parlait de cheval?

Devrait-on observer davantage d’animaux marins à l’avenir?

On peut l’espérer! Il faut réduire les prélèvements de pêche, changer les engins. Alors, on pourra avoir la joie de voir plus de grands animaux et bien d’autres: poissons volants, oiseaux de mer...

Comment bien appréhender ces rencontres privilégiée? Avec une approche respectueuse?

Il faut toujours du respect - quand vous rencontrez un inconnu, vous n’allez pas lui taper sur l’épaule! Et prêter attention. Nous sommes divertis par tout un tas d’activités qui nous éloignent du vivant. Or des tas d’organismes formidables peuplent le milieu marin. Si on les regarde avec égard, on leur donne existence. Profitons de leur vie, leur comportement, leur beauté!

Les conseils pour éviter les dérives

Comment réagir lors de ces belles rencontres en mer? En respectant la loi autant que les animaux, exhortent leurs défenseurs. Muriel Oriol rappelle "l’importance de garder ses distances (100 mètres minimum) lorsqu’on s’approche d’un groupe de cétacés. Ce n’est plus une recommandation mais bien une obligation dans le sanctuaire Pelagos (arrêté ministériel de 2020) et dans les eaux intérieures et la mer territoriale française en Méditerranée (décret Prémar de 2021)."

Juillet-août correspond au pic de fréquentation en mer. Mais aussi au pic de naissances chez les dauphins bleu et blanc. "D’où l’importance de faire attention à la vitesse. Les bébés sont très vulnérables!", martèle Muriel Oriol.

Pour elle, face à "une biodiversité exceptionnelle", l’homme se doit d’être "le plus discret possible. Quand on va en Méditerranée, on est chez eux!"

Adrien Gannier invite à "toujours garder en tête le bien-être des animaux, plutôt qu’une chouette vidéo. Et ensuite, à profiter de l’instant.

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