"La première menace ce sont les déchets": au chevet des tortues marines au centre de soins d’Antibes
Le centre de réhabilitation de l’association Émergence, dédié aux tortues marines, est un outil essentiel à la survie de ces reptiles en danger d’extinction.
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Jérémy TomatisPublié le 04/05/2025 à 08:00, mis à jour le 08/05/2025 à 14:29
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"Attention, on nefait pas ce que l’on veut." Sidonie Catteau est à cheval sur le respect des règles, d’autant plus quand elles sont draconiennes. Heureusement, puisqu’elle est à la tête de l’un des rares centres de réhabilitation de la faune sauvage dédiés aux tortues marines en France(1).
La structure est née en 2017 grâce à sa volonté. Et au bon vouloir de Marineland (définitivement fermé depuis le 5 janvier dernier), qui a financé son installation au sein de locaux fournis par la Ville d’Antibes, sur une zone appartenant à l’Espace mer et littoral et dont la commune a la gestion.
C’est dans cet écrin de verdure niché au cœur du cap d’Antibes face à la grande bleue, que les tortues récupérées çà et là par des plaisanciers, des pêcheurs ou des promeneurs un peu partout dans le sud de la France, en détresse ou parfois sans vie, finissent par atterrir dans le but d’être soignées, observées puis relâchées dans leur milieu naturel, dans le meilleur des cas, autopsiées quand elles sont découvertes mortes.
"Les tortues marines, qu’il s’agisse de la tortue caouanne, la plus répandue en Méditerranée, ou encore de la tortue luth et de la tortue verte, sont des espèces protégées et très réglementées, signale la biologiste marine. La tortue marine l’est au maximum de ce qu’il est possible de faire, car en danger d’extinction. Nous bénéficions de dérogations qui nous permettent de les manipuler. Le cadre est très strict: c’est le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) qui le définit. Nous, nous intervenons dans ce cadre uniquement. Nous sommes en quelque sorte des opérateurs de terrain. Le MNHN, lui, est le pilote, en mer Méditerranée et dans l’océan Atlantique, pour ce qui est de la France et de ce projet national. Quand nous collectons des données, nous ne faisons finalement que répondre à leurs programmes scientifiques. Émergence, l’association qui a la gestion du centre , est l’entité qui coordonne le réseau Méditerranée français de ce programme national."
Des programmes pilotés par le Muséum national d’histoire naturelle
Depuis son ouverture, le centre a ainsi récupéré vingt-neuf tortues caouannes (trois sont actuellement pensionnaires du centre). C’est la seule espèce. Les deux autres sont plus rares à observer et, donc, à recueillir. "Le jour où on nous appelle pour une tortueluth de 900kg, je ne sais pas comment on fera", n’ose imaginer Sidonie Catteau.
Depuis sa séparation avec Marineland, l’association a renforcé ses liens avec le Muséum national d’histoire naturelle (les relations ont débuté en 2012 pour ce qui est de la structure).
C’est ainsi qu’Émergence participe à différents programmes de surveillance, que pilote ce même MNHN. Parmi eux: Obstortuemed. Comme son nom l’indique, il comprend, entre autres dispositifs, l’observation des reptiles marins au sein du centre, mais également en mer Méditerranée.
"Ce programme comprend plusieurs volets, précise Sidonie Catteau. Sensibilisation, prise en charge des tortues, surveillance des populations en mer, pose de balises ou encore suivi des activités de pontes sur les côtes françaises. On cherche aussi, dans nos observations, à connaître leurs habitats pélagiques (zones d’habitat au large), les structures des populations, notamment juvéniles, etc.Le but de tout cela: comprendre tout ce qui les entoure. Un bébé tortue, par exemple, entre le moment où il gagne la mer pour la première fois et le moment où la femelle revient pondre, que se passe-t-il? Combien de temps cela prend-il? Où va-t-elle? Autant de questions qui restent aujourd’hui sans réponse."
Ce n’est pas le seul programme auquel contribue la structure antiboise. Naturascan est un programme de surveillance d’une aire marine protégée mais également du suivi de la megafaune marine qui s’y trouve.
Il s’agit de la zone Natura 2000 Îles de Lérins, baie et cap d’Antibes. Enfin, le centre participe au programme Clean and Collect, dont l’objectif est l’observation des macrodéchets qui s’accumulent sur les plages, grâce à l’observation d’une bande côtière bien définie et du suivi que cela comprend: nettoyage, tri, analyse, etc.
Autant d’informations glanées au fil des ans, au sujet des déchets trouvés en mer ou à terre notamment, mais également dans l’analyse de ces matériaux toxiques pour l’environnement ingérés ou dans lesquels s’enchevêtrent les tortues, le tout mis en corrélation pour mieux comprendre les dangers auxquels elles sont exposées.
C’est cela, finalement, la quête de ces scientifiques passionnés qui sacrifient leur temps pour ces reptiles aux allures de créatures préhistoriques: "Mieux comprendre quelles menaces pèsent sur les espèces, synthétise la scientifique. De notre côté, nous avons identifié les menaces majeures liées à notre mode de vie. Ce ne sont pas les mêmes données récoltées ailleurs dans le monde, parce que chaque région a ses propres spécificités et problématiques, même si elles peuvent évidemment se retrouver ailleurs. Donc c’est intéressant de tout mettre en relation pour avoir une vision à la fois la plus détaillée possible mais aussi la plus globale."
Déchets et collisions avec les bateaux, principales menaces
Pour ce qui est de la Méditerranée française, la première menace qui plane sur la tortue marine et, donc, sur la faune sauvage, "ce sont les déchets, que les animaux ingèrent ou dans lesquels ils s’enchevêtrent. Il y a aussi et bien évidemment les collisions avec les bateaux, qui génèrent régulièrement d’importantes fractures de leurs carapaces. Notre rôle est bien sûr de les soigner mais, surtout, de comprendre comment cela s’est produit. Quand on procède à l’autopsie d’un spécimen, on recherche les causes de sa mort, on essaie de cibler la menace qui a causé la mort puis on essaie de développer des mesures pour lutter ou atténuer cette menace." 1. S’il s’agit du seul centre de la région Paca, il en existe un en Occitanie, un en Corse et un sur la côte Atlantique 2. Depuis quelques mois, l’association Émergence s’est dissociée du parc Marineland et est désormais autonome.
La tortue marine, animal totem
Pourquoi les tortues, au juste? "J’ai toujours voulu travailler dans la conservation des espèces animales et des espaces naturels."
Sidonie Catteau, polo bleu marine sur le dos et logo de son association Émergence brodé sur le cœur, a cet amour de la nature, du monde animal et de l’environnement dans le sang.
"Déjà petite, dès que j’en avais l’occasion, je partais observer le milieu marin avec mon masque et mon tuba. Puis j’ai intégré le parc Marineland, où je m’occupais des aquariums. Or, à cette époque, il n’y avait aucun expert en tortues marines au sein du parc. J’ai été formé et on a progressivement acquis cette expertise. Rapidement, je me suis dit que Marineland avait des moyens que l’on pouvait mettre à disposition des tortues, parce que le parc, lui, n’était pas (plus) autorisé à recueillir des animaux sauvages. Il fallait créer un centre qui leur serait dédié, dans un but précis à plus grande échelle: la conservation des espèces et des milieux naturels."
Un animal du grand large porteur de nombreux mystères
Son leitmotiv? Sensibiliser le public, changer les mentalités et, in fine, réduire l’impact néfaste de l’homme sur l’animal et son habitat.
"Quand on protège une espèce, on protège bien plus que cela. Et la tortue, c’est l’animal qui permet de changer les choses par excellence. Parce qu’elle génère beaucoup d’empathie chez l’homme. Les gens veulent des plages aseptisées, avec du sable fin, sans un brin d’herbier de posidonie et sans aucune faune ou flore sauvage. Mais si on condamne un pan entier de la plage pour la tortue, parce qu’elle doit venir y pondre, par exemple, alors là il y a un réel consensus. La cause fait l’unanimité."
La tortue marine, après tout, n’est ni plus ni moins qu’un animal sauvage du grand large encore porteur de nombreux mystères.
"Il reste encore beaucoup de choses à découvrir. Or, parmi ces animaux du grand large, elle est la seule à revenir sur la plage pour pondre. Et c’est fascinant, d’autant plus que pour ce qui est de nos plages, qu’il s’agisse des Alpes-Maritimes ou du Var, mais également de l’Espagne ou de l’Italie, il s’agit là de sites de ponte nouveaux. Et ça explique aussi beaucoup de cette empathie, je pense. Pour ma part, mon amour pour lamer et la nature est bien plus global. La tortue, finalement, n’est que le totem ou l’expression d’un combat. Elle entre dans une dynamique bien plus grande que sa propre existence."
Sidonie Catteau et Marc Leclerc aux petits soins avec cette tortue caouanne trouvée par un pêcheur, emmêlée dans un filet, et qui allait se noyer si elle n’était pas prise en charge.
Photo Dylan Meiffret.
Un vétérinaire qui fait progresser les connaissances
Marc Leclerc est le vétérinaire qui intervient auprès des tortues marines du centre (d’autres vétérinaires de sa clinique, Ric et Rac au Cannet, sont susceptibles de se déplacer, même s’il est le protagoniste principal).
Il a endossé ce nouveau costume en 2023, alors que le centre cherchait un spécialiste en chirurgie réparatrice pour se pencher sur les fractures des carapaces occasionnées par des collisions avec des bateaux (1).
Passionné par le milieu naturel et la biodiversité, il a accepté cette première mission avant que l’association Émergence ne prenne son envol, en septembre dernier, et donc de devenir le vétérinaire attitré du centre.
Orthopédiste et chirurgien de formation, il a cette "expertise qui m’a fait mettre les mains dedans. Je fais beaucoup les nouveaux animaux de compagnie (Nac, à savoir certains reptiles, rongeurs, etc.) dans ma clinique, dont des tortues de terre, principalement. Il y avait un besoin et j’ai les compétences nécessaires. Je fais toutes sortes d’actes médicaux, de l’intubation à la chirurgie. Ma porte d’entrée, c’est la traumatologie. Avec les fractures de carapaces, on est en plein dedans. Moi, je suis orthopédiste de formation et les tortues, personne ne s’y intéresse vraiment. À mon arrivée, il a fallu se pencher sur cette problématique des fractures notamment, fréquentes et difficiles à soigner. Moi, quand je suis face à ma première fracture de carapace, finalement, j’interviens comme si j’avais en face de moi un crâne fracturé. Ce sont les mêmes notions de biomécanique. On est parvenu à identifier différents types de fractures et à les modéliser pour ensuite partager notre savoir auprès d’autres confrères. Je fais de temps en temps des conférences, notamment dans différents pays et îles des Antilles ou des Caraïbes, pour diffuser ces nouvelles pratiques."
La première tortue marine sauvée de la noyade?
Ce champ libre, c’est finalement ce qui lui a récemment permis de sauver une tortue de la noyade, chose qui peut arriver en cas d’enchevêtrement dans un déchet plastique, par exemple, ou lors d’une prise malencontreuse dans un filet de pêche.
Avant lui, personne n’y avait été confronté et donc ne savait comment s’y prendre à Antibes. Il pourrait même s’agir d’une première au-delà de nos frontières.
"Cette tortue (CC29, lire par ailleurs) a été sortie de l’eau par un pêcheur, qui nous a rapidement alertés. Nous travaillons beaucoup et très bien avec les pêcheurs, qui nous appellent très vite et efficacement quand ils découvrent une tortue mal en point. Au scanner, cette dernièreavait de l’eau dans les poumons. Je me suis alors rendu compte que le process prévu n’était pas le bon. Mais ce n’est pas anormal. Avant moi, aucun vétérinaire ne disposait de cette notion. À Marineland, aucun animal ne se noyait, ils étaient constamment surveillés. Moi, ça m’arrive régulièrement de traiter des animaux de compagnie qui se sont noyés dans une piscine, par exemple. Je sais qu’il faut les intuber, vider l’eau des poumons, etc. C’est ce qu’on a fait pour cette tortue qui était mal en point et qui, aujourd’hui, semble aller beaucoup mieux et commence même à s’alimenter un peu."
1. Il s’agit, dans le détail, de réductions de fractures de la dossière, l’élément supérieur de la carapace, en opposition au plastron.
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