De Monaco à Los Angeles, qui sont les cinq visages au cœur du développement des rovers lunaires de Venturi?

Des deux côtés de l’Atlantique, en Europe et aux États-Unis, 5 personnes de Venturi Space et Venturi Astrolab ont un rôle précieux dans le développement des rovers lunaires. À leurs côtés, une large équipe de passionnés.

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À Los Angeles, Thibaut Parat Publié le 07/07/2025 à 09:45, mis à jour le 07/07/2025 à 09:45
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Au cœur des locaux de Venturi Astrolab à Los Angeles, que nous avons récemment visités, et de ceux de Venturi Space, disséminés en Europe dont à Monaco (mais aussi en Suisse et à Toulouse), des centaines de personnes planchent sur le développement des rovers qui exploreront sous peu la Lune, voire véhiculeront les astronautes de la NASA d’ici 2030, et à plus long terme Mars.

La branche du spatial, extrêmement coûteuse, requiert un certain nombre de technologies critiques afin de permettre à ces engins robotisés d’évoluer en toute sécurité au cœur de l’environnement hostile de l’unique satellite naturel de la Terre et, ainsi, survivre à la nuit lunaire et à ses températures cryogéniques. Parmi elles, les batteries haute performance et les roues hyperdéformables respectivement développées par Venturi Space à Monaco et en Suisse.

Cinq personnes, cinq visages, incarnent des deux côtés de l’Atlantique la passion viscérale de leurs équipes pour l’"extra-terrestre" et cette volonté d’avancer aussi bien avec célérité qu’efficacité.

Le monégasque visionnaire, Gildo Pastor Photo Venturi/Hataway, T.P. et Venturi Astrolab.

Gildo Pastor, le patron visionnaire

"Visionnaire". Voilà le qualificatif qui revient en boucle quand on questionne l’entourage professionnel de Gildo Pastor. Entrepreneur dans l’âme dès son adolescence, le fils de Claude Pallanca et d’Hélène Pastor s’affiche très tôt comme un précurseur du mouvement "business angels" en investissant massivement dans des dizaines d’entreprises. Il fonde Radio Monaco ou encore la Brasserie de Monaco. Mais son flair de businessman s’illustre avec le rachat, en 2000, de Venturi alors spécialisé dans les voitures de sport. Il en fait très vite un pionnier de l’automobile électrique. "On s’est dit qu’on allait faire une voiture qui avançait avec l’énergie du soleil, qui pouvait marcher la nuit: l’Astrolab. On l’a fait en 3 mois et on l’a présenté au Mondial de l’automobile", se souvient-il.

Avec Gildo Pastor, ça va vite, très vite. Outre les records du monde de vitesse - 549 km/h avec la VBB-3 en 2016 puis 408 km/h avec la moto Wattman en 2021 - ou son engagement en Formula E, ce sont surtout les projets qui se concrétisent à vitesse grand V.

En février 2026, six ans après le partenariat stratégique acté avec les Américains de Venturi Astrolab, le premier rover ira sur la Lune.

Un rêve d’enfant.  "Ça a démarré avec mon grand-père [Gildo, N.D.L.R.] avec qui je déjeunais souvent. Il était certes bloqué dans l’immobilier mais tout ce qui touchait à l’innovation lui plaisait. Il me parlait toujours de la Lune en me disant ‘‘Tu sais, un jour, les Américains retourneront sur la Lune’’, témoigne-t-il. Le désir d’aller vers l’espace était un désir inaccessible." Plus maintenant. "Une part de nous-mêmes va aller sur la Lune."

Aujourd’hui, outre la fourniture de technologies critiques à Venturi Astrolab, Gildo Pastor à la tête de Venturi Space se donne les moyens de ses rêves et ambitions en proposant un financement colossal à l’Agence spatiale européenne: 150 millions d’euros.

Le fondateur et P.-D.G de Venturi Astrolab, Jaret Matthews Photo Venturi/Hataway, T.P. et Venturi Astrolab.

Jaret Matthews, un ancien de la NASA et de SpaceX

C’est vers cet ingénieur aérospatial américain, fondateur et P.-D.G. de Venturi Astrolab, que Gildo Pastor s’est tourné pour sceller un partenariat stratégique avec sa société Venturi Space. Nous sommes en janvier 2020 et les locaux basés à Hawthorne dans le comté de Los Angeles, à deux pas du siège de SpaceX, sont alors désaffectés. Cinq ans plus tard, plus de 120 personnes y travaillent pour envoyer des rovers sur la Lune.

Jaret Matthews a consacré deux décennies de sa carrière à créer des systèmes spatiaux révolutionnaires. D’abord à la NASA, pendant 10 ans, où il a œuvré au développement de plusieurs rovers lunaires et martiens, dont les célèbres Spirit, Opportunity et Curiosity pour explorer la planète rouge.

Puis, pendant 7 ans chez SpaceX, il a travaillé sur le programme Dragon qui transporte les astronautes jusqu’à la Station spatiale internationale et a même dirigé le développement et la certification de son système d’amarrage. "Il est certainement possible que, de mon vivant, des gens vivent continuellement sur la Lune et sur Mars. La Lune ressemblera davantage au pôle Sud sur Terre, à l’Antarctique, c’est-à-dire à une sorte de base de recherche spatiale. Mais il est plausible que Mars devienne un lieu où des branches distinctes de l’humanité y vivent", estime-t-il.

Aux côtés de Gildo Pastor, Sacha Lakic suit les aventures de Venturi depuis 25 ans Photo Venturi/Hataway, T.P. et Venturi Astrolab.

Sacha Lakic, le designer qui donne vie aux rovers

Depuis le rachat de Venturi par Gildo Pastor il y a 25 ans, Sacha Lakic est de toutes les aventures. Celui qui noircissait ses cahiers scolaires de dessins a été choisi pour sa passion de l’automobile, née de la contemplation d’une Ford Mustang à l’âge de 8 ans. De son coup de crayon est ainsi née l’intégralité de la flotte électrique de Venturi, de la Fétiche à l’Antarctica en passant par les rovers lunaires. "Le point commun de tous ces engins est que j’applique au pied de la lettre le précepte du design: la forme doit suivre la fonction, et inversement, résume-t-il. Mais a contrario d’une carrosserie automobile, je ne peux pas être en freestyle sur un rover car les contraintes de conception sont drastiques. Chaque rayon, chaque vis doit être placée au bon endroit. Changer quelque chose peut modifier son fonctionnement."

D’où une étroite et constante collaboration avec les ingénieurs, apôtres de la technique. "Je suis à leur écoute et si j’ai une fenêtre de tir esthétique, je m’engouffre (...) Travailler pour le spatial peut paraître frustrant mais moi, ça me challenge", sourit celui qui rêvait d’au-delà en dévorant les aventures de Tintin. Né dans des délais contraints, le rover Flex a toutefois été pensé comme un robot avec une personnalité, un visage. "Ce n’est pas juste un objet fonctionnel qui transporte des charges énormes. C’est un robot avec une personnalité, un côté sympathique et presque humain : les roues lui donnent un aspect arachnéen, les panneaux solaires sont comme des ailes qui se déploient, les feux comme des yeux. "

Antonio Delfino est le créateur de la roue hyperdéformable, capable d’épouser les irrégularités du sol lunaire et de gravir des pentes à 20% Photo Venturi/Hataway, T.P. et Venturi Astrolab.

Antonio Delfino, l’inventeur de la roue hyperdéformable

Autre personnage phare de l’aventure "Venturi", Antonio Delfino, titulaire d’un doctorat en physique et notamment co-inventeur de la pile à combustible Michelin où il a passé 25 ans de sa carrière, est le créateur de la roue hyperdéformable, capable d’épouser les irrégularités du sol lunaire et de gravir des pentes à 20%. Une technologie aux antipodes des roues rigides utilisées, exception faite des missions Apollo, dans l’histoire de l’exploration spatiale.

"Vu les contraintes environnementales sur la Lune, comme l’abrasivité de la régolite et les températures oscillant entre -240 degrés et +120 degrés au pôle Sud, il a fallu inventer certains matériaux qui conservent leurs propriétés et les combiner avec d’autres existants, et ce afin de satisfaire le cahier des charges", confie le directeur des affaires spatiales de Venturi Space et membre du conseil consultatif de Venturi Astrolab.

192 câbles et ressorts lui confèrent ses capacités de déformation. Son endurance dépasse les 5.000 kilomètres et elle peut résister à 500 cycles de nuits lunaires de 180 heures ainsi qu’à une intense radiation solaire et cosmique. "C’est unique au monde, assure-t-il. Cette technologie a nécessité 4 ans de recherche et développement. Cette dernière année et demie, on a vécu la partie la plus complexe avec la qualification vol. Il a fallu réaliser des centaines de tests et répondre aux standards drastiques de la NASA."

Franck Baldet, directeur Venturi Space Monaco a développé les batteries haute performance qui iront sur la lune dès 2026. Photo Venturi/Hataway, T.P. et Venturi Astrolab.

Franck Baldet dirige l’équipe "batteries" à Monaco

Ingénieur performance chez Ferrari durant 9 ans, Franck Baldet a intégré en 2010 la maison Venturi, séduit par le challenge des véhicules électriques. Basé à Monaco, le directeur technique a enchaîné les projets entre développement et homologation des véhicules, Formula E, challenges de vitesse et missions extrêmes en Antarctique. "C’est là-bas que Gildo nous a annoncé ses idées pour le spatial et le développement d’un rover. Cela paraissait inatteignable, se souvient-il. On ne connaissait rien de ce milieu et des exigences de fiabilité. On a appris grâce aux collègues de Venturi Astrolab, aux experts, en s’informant, en testant, en échouant, en répétant, en améliorant… "

Dans le laboratoire 209 dessiné par Sacha Lakic, les équipes de Venturi Space Monaco développent des packs batteries conçus pour résister au voyage spatial puis aux conditions hostiles de la Lune et, notamment, à un delta de températures de 400°C. Chaque cellule a été analysée puis testée pour éviter tout emballement thermique. Il est vital, surtout si les astronautes pilotent un jour le rover, que ce dernier ne tombe jamais en panne d’énergie. Une technologie développée en un temps record grâce à la passion des équipes. "La première idée de faire Flip a émergé en septembre 2024. Il décollera en février 2026. Un programme lunaire, spatial, c’est normalement 5 à 10 ans de travail. Mais là, c’est la vision de Gildo: aller très vite et être en avance."

Le prototype Mona Lisa, le rover 100% européen Photo Thibaut Parat.

Gildo Pastor met 150 millions d’euros sur la table pour un rover 100% européen

La récente présentation du prototype Mona Luna - un rover 100% européen de 750 kg - a levé le voile sur les ambitions de Venturi Space, détenu par l’homme d’affaires monégasque Gildo Pastor, dont le leadership des activités va désormais se concentrer à Toulouse, berceau de l’aérospatial français. Et ce, sans pour autant délaisser les branches monégasques et suisses où sont développées les batteries haute performance et les roues hyperdéformables.

"Gildo a décidé d’investir massivement et son objectif est de faire émerger le leader européen de la mobilité multiplanétaire à Toulouse. Pour être crédible, il faut avoir une infrastructure ainsi qu’un bureau d’études très puissant", confie Antonio Delfino, directeur des affaires spatiales de Venturi Space. Selon nos informations, Gildo Pastor et ses équipes ont fait une proposition de 150 millions d’euros à l’Agence spatiale européenne (ESA), l’équivalent d’un financement étatique et la perspective d’un partenariat public-privé inédit. À titre de comparaison, selon le budget de 7,68 milliards d’euros de l’ESA rendu public en janvier 2025, seulement 9 pays européens financent au-delà de cette somme colossale.

D’ici fin 2026, donc, une usine de plus de 10.000 m² sera érigée à Toulouse à deux pas du Centre national d’études spatiales (CNES) pour y employer 150 personnes, principalement des ingénieurs, qui travailleront au développement de Mona Luna. "Pour l’heure, Mona Luna n’a pas vocation à transporter des astronautes car l’ESA n’en est pas à cette étape. Mais le rêve, le Graal ultime, c’est d’en développer un et que des astronautes européens conduisent un rover européen de Venturi Space", confie Gildo Pastor. Un projet conditionné à l’établissement d’un consortium européen.

Après la Lune, objectif Mars

Déjà explorée par des rovers depuis plusieurs années voire deux décennies - Curiosity, Spirit ou encore Opportunity -, la planète rouge pourrait connaître de nouvelles arrivées à l’avenir. Venturi Space, avec son partenaire stratégique américain Venturi Astrolab, travaille à un rover martien polyvalent, en s’appuyant sur leur expérience du rover lunaire Flex. Aucune échéance n’a, pour l’heure, été fixée.

"Sur Mars, il y a une atmosphère, plus de gravité, les températures y sont moins extrêmes que sur la Lune. On peut prendre la même architecture des véhicules, utiliser nos technologies lunaires et les adapter sur Mars", décrypte Franck Baldet, directeur technique de Venturi Space à Monaco.

Ses missions: détecter et extraire des ressources hydriques, grâce à un dispositif intégré de forage et de prospection sous-surface, en vue de ravitailler les véhicules spatiaux au terme de procédés chimiques.

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