"Ici on a le droit de craquer, de rire, de pleurer": immersion avec les soignants d'un service de soins palliatifs hors du commun

Fondé en 1994 à Gardanne, La Maison est un service de soins palliatifs au fonctionnement extraordinaire. Montée sous la forme d’une association loi 1901, la structure de santé cultive une philosophie du bien-être tant pour ses résidents que pour les soignants qui y travaillent. Pour comprendre le fonctionnement de ce modèle vertueux, nous y avons passé deux jours en immersion.

Aurélie Selvi et Franck Fernandes - solutions@nicematin.fr Publié le 27/05/2025 à 11:30, mis à jour le 29/05/2025 à 15:06
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L'impression de courir partout, de ne jamais avoir le temps pour les patients et cette tenace sensation de malaise... Quand elle repense à ses débuts dans le soin à domicile ou en maison de retraite, le visage de Julie Lapopre, aide-soignante de 36 ans, se ferme. "Le soignant était maltraité dans beaucoup d'endroits où j'ai travaillé", résume-t-elle. 

Si elle en parle désormais au passé, c'est que, depuis 10 ans, cette professionnelle de santé travaille 100% différemment, au sein de l'hôpital de jour de La Maison de Gardanne, un service de soins palliatifs hors du commun, situé à une dizaine de minutes d'Aix-en-Provence, dans les Bouches-du-Rhône. 

Le droit de pleurer

"Ici, on a le droit de craquer, de rire, mais aussi de pleurer. Tandis qu'à l'hôpital, ce n'est pas possible. Il faut garder cette distance professionnelle qu'on nous apprend en formation", abonde Isabelle Morisot, aide-soignante au sein de l'un des services d'hospitalisation pour personnes en fin de vie.

Car dans ce lieu où 350 des 500 résidents trouvent la mort chaque année, l'accent est mis sur le lien à l'autre, l'humanité, quitte à engager ses émotions dans son travail. Et la démarche infuse un bien-être palpable au sein des équipes comme des patients.

"Ici, je me sens bien. Je sens que ma place, elle est là", Christian Labbé, infirmier à La Maison de Gardanne

Suivi psychologique, massage, entraide, moment de vie et de convivialité abolissant la notion de hiérarchie... Dans cette structure, tout est pensé pour créer les meilleurs conditions d'exercice. 

"Je pense que ce sont des lieux où l'on peut redorer le blason de soignant. La priorité, c'est d'être très attentif aux équipes car à partir de là, on sait que les patients seront bien pris en compte", dixit Jean-Marc La Piana, médecin et cofondateur de La Maison de Gardanne. 

Pour comprendre comment cette alchimie opère, regardez notre vidéo en immersion dans ce service de soins palliatifs pas comme les autres. 

Le soin comme à la maison

De cossus fauteuils colorés, un piano à queue ivoire, une cheminée et sa panière de bois coupés, des murs envahis d'œuvres d’art, un chat déambulant, nonchalamment, sur le carrelage couleur terre cuite… À Gardanne, tout près d’Aix-en-Provence, difficile de croire qu’on met les pieds dans un service de soins palliatifs quand on franchit le seuil de La Maison.

Fondée en 1994, cette structure de santé (qui porte bien son nom) fait vivre une culture du soin hors du commun, pensée en amont de sa conception.

"J’étais généraliste à Aix en 1983 quand l’épidémie du VIH est arrivée. Il y avait une vraie stigmatisation de cette pathologie. Avec deux collègues, nous avons voulu créer un lieu de vie où les gens puissent se poser, sans être jugés, et être accompagnés dans une fin de vie qui était complexe car aucun traitement n’existait à l’époque", explique Jean-Marc La Piana, directeur.

Pour imaginer ce lieu hybride, le trio de professionnels fait alors de nombreuses visites au-delà des frontières françaises et s’inspire du modèle canadien, centré notamment sur le partenariat entre le soignant et le patient. Côté montage, à Gardanne, la structure est créée sous la forme d’une association loi 1901 reconnue d’utilité publique et financée par l’Etat. Mais pas que.

300 000 à 400 000 € de dons par an

"Nous avons 8,5 millions de budget par an sur lequel on peut facilement faire un déficit de 700 000 à 800 000 €. L’Etat finance les salaires des professionnels de santé, l'association ceux des administratifs. A côté de cela, nous levons 300 000 à 400 000 € de dons par an, et fonctionnons aussi avec des legs, le soutien de collectivités locales, de fondations, d’associations privées ou encore avec l'argent collecté lors des manifestations que nous organisons", détaille le Dr La Piana.

Des revenus complémentaires au bénéfice de l’innovation, du confort des résidents mais aussi de la valorisation des équipes.

"Avec les dons, une prime est versée aux salariés proportionnellement à leur temps de travail", Dr La Piana, directeur de la Maison de Gardanne

"On peut aussi rendre des services à des familles de patients, en participant en partie aux frais des obsèques, par exemple", ajoute le médecin. Pour cela, tout le monde s’investit à fond. Ici, l’élan est vraiment collectif. En 2024, une grande comédie musicale faite "Maison" se jouera ainsi au Dôme de Marseille. Au casting: des salariés mais aussi des bénévoles de la structure.

Car c’est l’autre originalité de cette structure de soins palliatifs. La Maison et sa petite sœur, La Villa Izoï, inaugurée en 2016 pour des séjours palliatifs de plus longue durée, fonctionnent avec 120 salariés mais aussi une cinquantaine de bénévoles, qui sont de vrais maillons de la chaîne de soin. "Dans les autres structures, les bénévoles ne sont là que pour faire de l’écoute. Ici, avec l’accord des résidents et tutorés par des soignants, ils peuvent aider à des toilettes, à la prise de repas…", détaille le Dr La Piana. "Si ce n’est le paradis, on s’en approche ici de la meilleure des manières", sourit Catherine, l’une de ses volontaires emblématiques du lieu.

Jean-Marc La Piana, médecin généraliste, a co-fondé La Maison de Gardanne en 1994. Photo Franck Fernandes.

Pas étonnant que les dossiers de demandes d’admission s’entassent sur le bureau du Dr La Piana. "En ce moment, nous avons une quarantaine de personnes en attente", explique le directeur qui se charge d’appeler un à un les praticiens qui s’occupent du suivi de ces futurs résidents potentiels pour évaluer, au cas par cas, la pertinence de leur venue. Cancer, VIH, maladie de Charcot, de Parkinson…

Au total, 500 personnes sont prises en charge ici chaque année, dont environ 350 y décèderont. En ayant vécu, "jusqu’au bout".

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