On vous rappelle pourquoi la nomination de Bernard Cazeneuve à Matignon serait une mauvaise nouvelle pour Christian Estrosi

Les relations entre l’ancien ministre de l’Intérieur de François Hollande et le maire de Nice sont exécrables depuis l’attentat du 14 juillet 2016. Circonstance aggravante: Bernard Cazeneuve a toujours clamé son amitié pour Éric Ciotti…

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Lionel Paoli Publié le 12/12/2024 à 11:46, mis à jour le 12/12/2024 à 12:37
Éric Ciotti, le préfet Adolphe Colrat, Bernard Cazeneuve et Christian Estrosi à Nice en février 2016. Photo archives Nice-Matin / Jean-François Ottonello

Parmi les différents choix qui s’offrent au chef de l’État pour Matignon, celui de Bernard Cazeneuve serait assurément le plus mauvais pour Christian Estrosi. Les relations entre l’ancien ministre de l’Intérieur de François Hollande et le maire de Nice sont exécrables depuis l’attentat du 14 juillet 2016.

À l’époque, les deux hommes s’étaient violemment heurtés par médias interposés, chacun renvoyant l’autre à ses responsabilités. Dans le troisième tome de ses mémoires (1), publiés début 2022, le leader socialiste avait livré sa vérité.

"Lorsque j’atterris [...], Christian Estrosi m’attend à la coupée de l’avion, racontait Cazeneuve. Il se montre immédiatement hostile. Il me dit avoir eu François Hollande au téléphone, qui lui aurait confié que l’agresseur venait de la région parisienne et qu’il était arrivé à Nice quelques heures avant l’attentat. Je m’isole pour appeler le président de la République qui tombe des nues. D’emblée, je ressens qu’on cherche à me manipuler."

"Une manière de détourner l’attention"

Dans quel but? L’ancien locataire de la place Beauvau accusait: "Je pense que le maire de Nice (2), soit parce qu’il disposait déjà d’informations, soit par intuition, savait, dès cet instant, que le camion du terroriste pouvait avoir été repéré, bien avant le drame, par les caméras de surveillance de la ville. Au moment des attentats de Paris, il avait imprudemment déclaré que, dans une ville aussi bien protégée que la sienne, jamais de tels drames n’auraient pu se produire. Attaquer frontalement l’État, mettre en cause sur-le-champ la police nationale, abaisser le préfet, salir du même coup le ministre de l’Intérieur, était donc pour lui une manière de détourner l’attention."

Et l’ex-ministre de tacler: "Nice avait été frappée mais, dans son esprit, il importait d’abord que son maire demeurât, par principe, intouchable. En fait, il ne l'était pas plus que je ne l'étais moi-même. Peut-être y avait-il eu des failles dans la sécurisation de la Promenade des Anglais, peut-être étaient-elles imputables à l’État, mais c’était à l’enquête de le démontrer et aux responsables publics de garder leur sang-froid et de faire montre de dignité. Dans un contexte où plus de quatre-vingts victimes venaient de tomber sur cette avenue, toute polémique était une faute."

"Des informations frelatées"

" Tout tendait à me faire comprendre que Christian Estrosi n’avait pas agi sous le coup de l’émotion, poursuivait Bernard Cazeneuve. Pas un seul jour ne s’est passé, après l’attentat, sans qu’il distille dans la presse – Libération et le JDD en l’espèce – des informations fausses et frelatées, toutes destinées à montrer que la police nationale n’avait pas fait son travail, que le préfet qu’il poursuivait de sa vindicte était incompétent, que le ministre de l’Intérieur était un menteur. C’est ainsi que j’ai été accusé par une responsable du centre de vidéosurveillance municipale d’avoir cherché à faire modifier, par l’entremise d’un membre de mon cabinet, son rapport sur le déroulement exact de l’attentat."

Sur ce dernier point, l’ex-premier policier de France dénonçait "une polémique indécente".

"Une enquête minutieuse m’avait montré que les accusations portées contre nous ne tenaient pas, grinçait-il. J’ai donc déposé une plainte en diffamation contre mon accusatrice, dont je pensais qu’elle était instrumentalisée. La justice, plus tard, a tranché, en relaxant l’intéressée au motif que, si elle m’avait bien diffamée, elle l’avait fait ‘‘de bonne foi’’..."

"Il y aurait tant de choses à dire…"

La réponse de Christian Estrosi avait été cinglante.

"Je pourrais manifester ma révolte, tant [ces pages] sont éloignées de la vérité, et ma colère qu’il vienne évoquer ce sujet dans le cadre d’une campagne présidentielle dans laquelle [il] cherche à se faire entendre, s’était agacé l’édile. Je pourrais m’étonner que l’ancien ministre n’exclut plus désormais des dysfonctionnements dans la conception du dispositif, alors même qu’il a refusé cette nuit-là et les jours suivants d’admettre que cette question méritait d’être posée. Je ne le ferai pas ici et maintenant, car ce ne serait pas digne."

"Cette nuit-là comme toutes les autres qui ont suivies, je n’ai eu qu’une seule obsession: accompagner les victimes, d’abord au Centre universitaire méditerranéen transformé en hôpital de guerre, puis ensuite durablement à la maison pour l’accueil des victimes et par tous les moyens, ajoutait le maire. Il y aurait tant de choses à dire sur le refus du ministre, cette nuit-là, de venir rencontrer les victimes, d’écarter les collectivités des discussions avec les services de l’État, sur ses incohérences au Parlement consignées au Journal officiel de la République, sur le manque de médecins légistes qui auraient conduit les corps à rester plusieurs jours sur la Promenade des Anglais, sur l’attitude du préfet qui avait dès le lendemain choisi de comptabiliser l’auteur de l’attentat parmi les victimes. Mais ici et maintenant, ce ne serait pas digne pour les victimes."

Et d’ironiser: "Aujourd’hui, le ministre et son préfet dont il était si proche nous apprennent qu’ils ont été émus. Même si j’aurais jugé utile qu’ils affrontent la peine des victimes qu’ils n’ont finalement pas vue, je le respecte. En revanche, je ne crois pas que le témoignage d’un ministre, qui a passé quelques heures seulement dans notre ville cette nuit-là, permette une vision complète de la tragédie, alors que nous avons passé plusieurs années à porter la résilience de la ville et à panser les plaies de cette tragédie."

Une "amitié légendaire" avec Éric Ciotti

Avant ces échanges acrimonieux, les deux hommes s’étaient déjà heurtés à maintes reprises – notamment sur les arrêtés anti-burkinis défendus bec et ongles par l’élu azuréen. Mais plus encore, aux yeux du maire de Nice, Bernard Cazeneuve avait commis une faute irréparable en évoquant quelques mois plus tôt son "amitié légendaire" avec Éric Ciotti.

"Je dois dire qu’il est plus modéré dans votre département qu'il ne l'est à l'Assemblée nationale (3), avait plaisanté le ministre socialiste à Cannes. C'est pour cela que je prends plaisir à venir l'écouter ici. Il y subit moins la pression de ses amis que dans l'hémicycle."

Il avait conclu sur un trait d’humour: "Je pense que je suis en train de ruiner définitivement la réputation d'Éric Ciotti dans ce département, mais ce n'est pas pour cela que je le dis. Je le dis parce que c'est la vérité."


1. Le Sens de notre nation, de Bernard Cazeneuve. Éditions Stock. 221 pages, 19,90 euros.

2. Bernard Cazeneuve commettait ici une erreur: Christian Estrosi n’était à l’époque "que" premier adjoint au maire de Nice. Réélu premier magistrat en mars 2014 mais frappé par la loi sur le cumul des mandats, il a cédé son écharpe du 13 juin 2016 au 15 mai 2017 à Philippe Pradal.

3. Éric Ciotti était à l’époque député LR et président du conseil départemental des Alpes-Maritimes.

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