Le Haut commissaire aux droits Anne Eastwood dresse le bilan de huit années d'actions au service des usagers à Monaco

Le Haut commissaire Anne Eastwood fait le bilan de huit ans passés à développer une nouvelle institution autonome et indépendante. Elle attend aujourd’hui une nouvelle nomination.

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Joelle Deviras Publié le 22/02/2022 à 08:30, mis à jour le 22/02/2022 à 09:44
Anne Eastwood a officiellement quitté ses fonctions vendredi 18 février, après deux mandats de quatre ans ; soit le maximum qu’elle pouvait faire selon les textes qui définissent le cadre et l’organisation du Haut Commissariat à la protection des Droits, des Libertés et de la Médiation. Photo Studio Phenix

Après deux mandats, Anne Eastwood cède sa place à Marina Projetti, jusqu’alors inspecteur général de l’Administration. Quelques heures avant de fermer définitivement la porte de son bureau au poste de Haut Commissaire à la protection des Droits, des Libertés et à la Médiation, elle tire le bilan de son action.

Car Anne Eastwood a été la toute première "défenseur des Droits" (ou "ombudsman" selon le terme des pays anglophones) nommée par le prince Albert II il y a huit ans.

Elle a donc donné l’impulsion et la tonalité à une institution nouvelle et indépendante; donnant, par là même, un autre regard sur Monaco.

Vous vous apprêtez à quitter un poste qui a marqué votre carrière autant que la Principauté et l’histoire de ses institutions. Que ressentez-vous?
Huit ans, c’est la durée maximum du mandat du Haut Commissaire. C’est une échéance à laquelle je m’étais préparée. Je quitte malgré tout ces fonctions avec nostalgie parce qu’elles ont constitué un moment unique dans ma carrière, où j’ai vraiment eu le sentiment de bâtir pour mon pays et de pouvoir servir en toute indépendance l’État et la population au mieux de mes compétences. Et puis ce n’est pas évident de laisser derrière soi une équipe talentueuse et dévouée qui m’a accompagnée durant toutes ces années et à laquelle je voudrais rendre hommage: Cécile Vacarie, Marisa Blanchy, Christelle Revel et Meryl Thiel qui la remplace aujourd’hui. Ce sont les forces vives du Haut Commissariat. Mon successeur peut être sûr de trouver en elles un appui solide pour le seconder et continuer à faire grandir cette institution de l’État de droit à Monaco. Quant à moi, je passe le relais avec confiance et la satisfaction d’avoir donné sans faiblir le meilleur de moi-même pour remplir la mission exigeante que le Souverain m’avait confiée.

Quel bilan tirez-vous de toutes ces années?
Ces huit années ont été d’une richesse extraordinaire. J’ai beaucoup appris sur moi-même, autant au travers des succès que des difficultés. Implanter un nouvel acteur au sein du paysage institutionnel représente un défi unique. C’est un processus qui demande de la détermination, de la persévérance, une bonne dose de créativité et de l’adaptation. Avec le soutien constant et bienveillant du Souverain, je crois être parvenue à bâtir une institution solide, à la compétence reconnue et qui remplit aujourd’hui tout son rôle auprès des autorités administratives et du public. Je suis fière aussi du travail accompli à l’international, qui a toujours été une de mes priorités et qui m’a énormément apporté en termes d’ouverture et d’expérience. L’organisation à Monaco, à l’été 2021, d’une grande rencontre consacrée aux droits des générations futures restera pour moi un des points d’orgue de mon mandat; de même que la récente réélection du Haut Commissariat au Conseil d’Administration de l’Association des Ombudsmans et des Médiateurs de la Francophonie.

Avez-vous constaté des évolutions dans les relations entre administrés et administration?
En tant que premier Haut Commissaire, mon rôle a surtout consisté à ancrer la médiation dans les usages et à obtenir que l’administration accepte de dialoguer et si nécessaire de se remettre en question, pour fonctionner de façon plus efficace au service des administrés. Avec le temps, ce processus est entré dans les mœurs, même s’il achoppe encore parfois sur des réticences ou des rigidités. Des évolutions positives ont pu être apportées aux pratiques, pour garantir que les droits des administrés soient mieux respectés. Bien entendu tout n’est pas encore parfait, mais il me semble que l’administration a progressé et progresse encore dans le sens d’une plus grande attention portée à l’usager. Quant aux administrés, ils savent qu’ils peuvent trouver au Haut Commissariat une oreille attentive et une aide institutionnelle précieuse lorsque leurs doléances sont fondées. Je crois que ce processus a globalement mis de l’huile dans les rouages et permis un rééquilibrage de la relation entre l’administration et les administrés, qui bénéficie finalement à tous.

"Le public fait aujourd’hui naturellement appel au Haut Commissariat"

Pensez-vous que les pouvoirs publics autant que les administrés ont su pleinement profiter des services du Haut Commissariat?
L’augmentation importante des saisines en 8 ans (+50%) montre que le public fait aujourd’hui naturellement appel au Haut Commissariat, à la fois comme porte d’accès aux droits et comme voie de recours amiable. Dans les suites de leur examen, le Haut Commissariat a formulé près de quatre-vingt-dix recommandations qui, si elles n'ont pas toutes été suivies d’effet, ont contribué à améliorer l’action administrative dans de nombreux domaines. En parallèle, ce sont plus d’une vingtaine d’avis qui ont été rendus sur les projets de loi, principalement à la demande du Conseil national. Depuis deux ans, le gouvernement lui-même a pris davantage l’habitude de nous consulter, même si je dois regretter qu’il ne joue pas le jeu jusqu’au bout puisqu’il refuse encore de rendre publics les avis que nous lui adressons. C’est malgré tout le signe que le Haut Commissariat est pleinement reconnu aujourd’hui dans sa dimension d’institution nationale de défense des droits humains. En témoigne l’impact de nos observations lors du vote de lois essentielles comme celles sur le contrat de vie commune, la violence et le harcèlement au travail, les agressions sexuelles ou encore le harcèlement scolaire par exemple.

Si vous deviez choisir trois dossiers dans lesquels votre rôle a été déterminant ou décisif ?...
C’est une question difficile parce que le Haut Commissariat a traité beaucoup de sujets en huit ans et que nous essayons toujours d’avoir un apport concret. Mais s’il fallait en retenir trois, le premier qui me vient à l’esprit parce qu’il est d’actualité concerne la gestion de la crise Covid. Que ce soit par rapport à l’obligation vaccinale des soignants, à la vaccination des adolescents ou très récemment encore à l’extension du "pass sanitaire" dans le travail, nous avons agi pour accompagner la politique des autorités tout en veillant à ce qu’elle s’inscrive dans le respect du droit et dans une juste pesée entre les impératifs de protection de la santé et le respect des libertés individuelles. Je pense ensuite aux avancées réalisées dans le domaine de l’égalité femme-homme, notamment en matière d’ouverture des droits sociaux pour les enfants. Fin 2018, j’avais donné une interview dans vos colonnes pour appeler à la suppression de la notion obsolète et discriminatoire de "chef de foyer". C’est chose faite aujourd’hui dans le régime CAMTI et en partie dans le régime SPME. C’est un mouvement de fond que nous avons accompagné par nos recommandations et nos avis. Je citerais enfin notre travail depuis cinq ans sur les conditions de détention à la Maison d’Arrêt. Je me réjouis que des évolutions longtemps attendues aient pu se concrétiser tout récemment grâce à l’écoute attentive du secrétaire d’État à la Justice, Robert Gelli. Elles serviront l’image d’une Principauté respectueuse des droits humains et de la dignité des détenus.

"Je suis consciente des limites auxquelles je me suis parfois heurtée
sur ce terrain"

Quelle est votre ou vos plus grande(s) déception(s)?
Je regrette de n’avoir pas été entendue par le gouvernement sur l’idée de mettre en place une charte de bonne administration des services de l’État, qui permette au plan général de mieux encadrer l’action administrative et le travail des fonctionnaires sur le terrain. C’est un outil dont se dotent toutes les administrations modernes pour améliorer de façon systémique les fonctionnements administratifs et la qualité du service délivré au public. J’espère que le travail important que nous avions engagé sur ce sujet au travers de l’analyse des réclamations portées devant le Haut Commissariat et de l’élaboration de notre propre référentiel de bonne conduite administrative finira par porter ses fruits.

Quelles sont, selon vous, les marges de progrès à faire pour développer la mission du Haut Commissariat?
Il me paraît essentiel que les conditions de travail avec l’administration soient assouplies pour fluidifier les échanges et faciliter l’accès à l’information dans le cadre de l’instruction des saisines. J’estime qu’il y a encore une marge de progression importante à ce niveau pour que le dispositif de médiation fonctionne avec toute l’efficacité souhaitable. Outre les évolutions à apporter en ce sens au texte qui régit le Haut Commissariat, il y a aussi une question d’état d’esprit et de bonne volonté de la part de nos interlocuteurs. Je suis consciente des limites auxquelles je me suis parfois heurtée sur ce terrain. Un changement de personne peut parfois permettre de faire sauter certains verrous, de même qu’un regard neuf peut permettre d’avancer différemment. C’est tout l’intérêt d’une institution personnalisée comme le Haut Commissariat qui est appelée à changer régulièrement de tête. Mon successeur saura à n’en pas douter lui imprimer sa patte et le renforcer encore dans ses possibilités d’action.

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